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Chapitre 1. Différends relatifs au commerce des services à l’OMC

A) L'accès des parties privées au règlement des différends de l'OMC : les voies d’accès

1. La soumission de mémoires d'amicus curiae

103 Ibid., p. 178.

104Rapport de groupe spécial États-Unis — Article 301, Loi sur le commerce extérieur, WT/DS152/R, paras.7.75- 7.76.

105Amicus curiae signifie « ami de la Cour » et le terme « mémoire d’amicus curiae » fait référence à une communication émanant de sources autre qu’une partie ou une tierce partie à une procédure de groupe spécial ou qu’un participant tiers à une procédure d’appel. Ces communications émanant fréquemment d’organisations non gouvernemental, y compris des associations représentant des branches de production, ou de professeures d’université.

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Le phénomène des amici curiae est particulièrement fréquent dans les contentieux liés au droit économique international, dû notamment à la présence d’intérêts d’ordre général qui peuvent être affectés et impliquer des individus et la société civile106. Le seul mécanisme qui permet actuellement aux non-membres de participer à des différends de l'OMC pour leur propre compte est celui de la présentation de mémoires d'amicus curiae devant les organes juridictionnels de l'OMC. Mais il ne s'agit clairement pas qu’il ne s’agit pas d’un droit et, selon le cas, c’est le groupe spécial ou l’organe d’appel qui décide de l’accorder ou non, et, le cas échéant de l’assortir de conditions sous la forme de procédures additionnelles107.

Ni le Mémorandum d’accord ni les Procédures de travail pour l’examen en appel ne traitent précisément de cette question. Les affaires, sous l’égide de l’organe d’appel de l’OMC, ont tout d’abord ouvert la voie, dès 1998, en acceptant les conclusions écrites par des organisations non gouvernementales en tant qu’amicus curiae108. D’après la jurisprudence de l’OMC, les groupes spéciaux, et l’organe d’appel ont le pouvoir discrétionnaire d’accepter, ou de rejeter ces communications mais ils ne sont pas tenus de les examiner.

Les personnes privées peuvent sans doute intervenir dans la procédure de règlement des différends de l’OMC mais pas en qualité de partie car elles ne disposent pas du Locus standi réservé aux seuls membres109. Ainsi, les ONG et les autres entités de droit interne ont tenté de s’immiscer dans la procédure devant les groups spéciaux et l’organe d’appel en qualité d’amicus curiae.110 En effet, l'organe d'appel a clairement indiqué que les groupes spéciaux et l'organe d'appel n’ont « pas l'obligation juridique d'accepter ou d'examiner des mémoires d'amicus curiae présentés spontanément par des particuliers ou des organisations qui ne sont pas Membres de l'OMC », comme « les particuliers et les organisations, qui ne sont pas Membres de l'OMC, ne sont pas fondés en droit à présenter des communications ni à être entendus par » ces organes111. La présentation de mémoires d'amicus curiae dans le cadre de différends commerciaux n'est pas un phénomène nouveau. En effet, à l'époque pré-OMC, à plusieurs reprises non pris en compte, des mémoires non sollicités de type d' « amicus curiae » ont été transmis au Secrétariat du GATT

106MALINTOPPI Loretta, « Procédure arbitrale devant les tribunaux CIRDI et hors CIRDI», in Charles Leben (dir.), Droit international des investissements et de l'arbitrage transnational, Paris, Pedone, p. 665.

107Rapport de l’organe d’appel CE-Amiante, WT/DS135/AB/R, paras. 50-56.

108MALINTOPPI Loretta, « Procédure arbitrale devant les tribunaux CIRDI et hors CIRDI», op. cit., p. 665.

109GHERARI Habib, Les acteurs non étatiques et le contentieux économique international: l'exemple des investisseurs étrangers. in Acteurs non étatiques et droit international, colloque des 6,7,8 avril 2006, sous la direction de Rafâa Ben Achour, Slim Laghmani, Pedone, Paris, 2007. p. 317 .

110Par exemple les affaires Etat Unis-Crevettes I et II, C.E.-Amiante.

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pour l'éxamen par des panels. Sur la base de la dimension profondément intergouvernementale et diplomatique des différends du GATT, ces communications ne sont pas reconnues par les panels.112 Cela représenta aussi la solution dans les premières affaires de l'OMC, les Etats-Unis- Essence et CE-hormones.

L'évolution vers un système davantage fondé sur des règles de règlement des différends provoquée par la création de l'OMC et de son mécanisme de règlement des différends, ainsi que le désir d'accroître la transparence dans le système, a finalement conduit à une évolution, dans l'approche, vers des mémoires d'amicus curiae. Dans l’affaire EU-crevettes, l'organe d'appel a infirmé le raisonnement du groupe spécial selon lequel :

« Accepter des renseignements non demandés émanant de sources non-gouvernementales serait [...] incompatible avec les dispositions du Mémorandum d'accord113 ».

L'organe d'appel a considéré que le pouvoir fort accordé aux groupes spéciaux de l'OMC par le Mémorandum d'accord, de demander des renseignements (article 13.1), et de modifier leurs procédures de travail (article 12.1) permet aux groupes spéciaux d'accepter ou de rejeter tout renseignement ou avis qu'il pourrait avoir demandé et reçu, ou d'en disposer d'une autre façon qui soit appropriée114. Dans une conclusion qui a établi la jurisprudence actuelle, l'organe d'appel a estimé que :

« Dans le présent contexte, il n'y a pas lieu d'assimiler le pouvoir de demander des renseignements à une interdiction d'accepter des renseignements qui ont été présentés à un groupe spécial sans avoir été demandés. Un groupe spécial a le pouvoir discrétionnaire soit d'accepter et de prendre en compte soit de rejeter les renseignements ou avis qui lui ont été communiqués, qu'il les ait ou non demandés »115.

S’agissant de la procédure d’appel, l'organe d'appel fait observer, par exemple, dans l’affaire États-Unis - Plomb et bismuth II que s’il n’a pas l’obligation juridique d’accepter ou d’examiner des mémoires d’amicus curiae de particuliers ou d’organisations non membres de l’OMC. L'organe d’appel a conclu que :

« Tant que l'organe d'appel agit conformément aux dispositions du Mémorandum d'accord et des accords visés, l'organe d'appel est habilité légalement à décider de l'opportunité d'accepter et

112MARCEAU Gabriella; STILWELL Matthew, “Practical Suggestions for Amicus. Curiae Briefs Before WTO Adjudicating Bodies”, Journal of International Economic Law, Vol. 4, Issue 1, 2001, pp. 157-158.

113Rapport de groupe spécial États-Unis— Crevettes, WT/DS58/R, para. 7.8. 114Rapport de l’organe d’appel États-Unis — Crevettes, WT/DS58/AB/R, para. 104. 115Ibid., para. 108.

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d'examiner ou non les renseignements que nous estimons pertinents et utiles dans le cadre d'une procédure d'appel »116 .

Suite à ces décisions, un certain nombre d'amicus curiae est soumi aux groupes spéciaux et à l'organe d'appel de l'OMC par des ONG, des associations de l'industrie, des particuliers, et même par le gouvernement d'un Membre de l'OMC qui n'a pas endossé le rôle de partie ou de tierce partie au différend.

La possibilité de soumettre des mémoires d'amicus curiae a été initialement considérée par de nombreux acteurs privés comme un moyen d'améliorer la transparence de l'OMC et de positionner l'institution plus proche de la société civile. Les partisans de la participation d'amicus curiae font valoir l'idée que, la transparence, et la participation, vont renforcer le soutien public à l'OMC, et, finalement, renforcer l'institution117. La question n’est pas aisée, car les États sont divisés : certains sont résolument hostiles à une telle intrusion, d’autres plus favorables aux risques d’instrumentalisation que l’on suppose, cela dans un contexte de critiques de l’OMC par la société civile internationale pour son manque de transparence118.

En revanche, certains commentateurs et de nombreux gouvernements ont exprimé un point de vue à l'octroi des droits aux acteurs non-étatiques que les membres de l'OMC eux-mêmes ne possèdent pas. La participation d'amicus curiae a été décrite par les opposants comme élévatrice d'une manière inappropriée du statut des acteurs privés à celui d'un gouvernement. 119 Selon Steger, la question de l'intervention des amicus curiae n'est pas en soi une question de la participation, elle se rapporte davantage à l'obligation des groupes spéciaux et de l'organe d'appel d'évaluer objectivement les questions devant eux120.

116Rapport de l’organe d’appel États-Unis — Plomb et bismuth II, WT/DS138/AB/R, para. 39.

117DURLING James, HARDIN David, "Amicus curiae participation in the WTO dispute settlement: Reflections on the past decade", in Rufus Yerxa and Bruce Wilson (eds.), Key issues in WTO dispute settlement : the first ten years, Cambridge : Cambridge University Press, 2005, p. 221.

118GHERARI Habib, « Le recours aux procédures intégrées des organisations internationales économiques : le système de règlement des différends de l'OMC » in Droit de l'économie internationale, Paris, Cedin Paris X, 2004, p.946.

119DURLING James, HARDIN David, « Amicus curiae participation in the WTO dispute settlement: Reflections on the past decade», in Yerxa, R. and B. Wilson (eds), Kye issues in WTO dispute settlement: the first ten years, Cambridge, 2005, p. 221.

120STEGER Debra P., Amicus Curiae: Participant or Friend? The WTO and NAFTA Experience, in Armin von Bogdandy, Petros C. Mavroidis, Yves Mény (eds.), European integration and international co-ordination : studies in transnational economic law in honour of Claus-Dieter Ehlermann, The Hague ; London ; New York : Kluwer law international, 2002, p.420.

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La pratique a montré que les mémoires d'amicus curiae, dans l'ensemble, n'ont pas eu un impact réel dans les différends de l'OMC, ainsi, l'échec final a émergé comme une caractéristique importante du système de règlement des différends de l'OMC121.

Au niveau du groupe spécial, les mémoires d'amicus curiae ont été déposés dans seulement 13 affaires sur 113 procédures de groupe, dans les dix premières années de l'OMC. Un mémoire d'amicus curiae a été accepté par un groupe spécial pour seulement 9 de ces affaires. Pour 4 de ces procédures, les groupes spéciaux ont explicitement déclaré que les mémoires d’amicus ne sont pas « d'assistance à rendre une décision », tandis qu’ils se sont abstenus dans les 5 autres122. Une tendance similaire émerge en ce qui concerne l’examen des mémoires par l'organe d'appel. Ces mémoires ont été déposés pour seulement 9 affaires et n’ont été acceptés que pour 6 d'entre eux. De ces 6, l'organe d'appel a expressément noté qu'à 4 reprises, ces mémoires n'aident pas le processus de prise de décision tandis qu’il s'est abstenu dans les 2 autres affaires123.

La principale lacune concerne le fait que, bien que ces communications soient coûteuses, elles n’offrent aucune garantie que les arguments seront pris en compte par le groupe spécial ou l'organe d'appel. En effet, l'organe a clairement indiqué que les groupes spéciaux et l'organe d'appel n’ont « pas l'obligation juridique d'accepter ou d'examiner des mémoires d'amicus curiae présentés spontanément par des particuliers ou des organisations qui ne sont pas Membres de l'OMC », comme « Les particuliers et les organisations, qui ne sont pas Membres de l'OMC, ne sont pas fondés en droit à présenter des communications ni à être entendus par » ces organes124. Il a été constaté qu'aucune amicus curiae, à ce jour, n’a eu un effet reconnu sur la décision du groupe spécial ou de l'organe d'appel. De plus, les mémoires et observations des entités non- étatiques sont très rarement pris en compte125.

En somme, les groupes spéciaux et l'organe d'appel sont, en effet, attentifs sur le continu et le message de mémoires d'amicus curiae, surtout quand ils contribuent à un rapport de haute qualité, en présentant des preuves qui n'ont pas été préalablement soumises par les parties, ou lorsqu'ils

121DURLING James, HARDIN David, « Amicus curiae participation in the WTO dispute settlement: Reflections on the past decade»,op.cit., p.225.

122Ibid., p. 224. 123Ibid., p. 225.

124Rapport de l’organe d’appel États-Unis — Plomb et bismuth II, WT/DS138/AB/R, para.41.

125Rapport de l’organe d’appel Mexique- Mesures fiscales concernant les boissons sans alcool et autre boissons, WT/DS308/AB/R, para.8.

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ajoutent un point de vue nouveau, révèlent des conséquences à long terme d'une décision possible ou renforcent des documents inadéquats déposés par les parties126.

Il ne fait aucun doute que les organisations non-gouvernementales et les particuliers peuvent avoir des informations et des perspectives juridiques, dans certains cas, qui pourraient être utiles aux groupes spéciaux et à l'organe d'appel de l'OMC. Cependant, toute personne ou tout groupe désireux de présenter un mémoire d'amicus curiae doit impérativement opérer selon les règles qui sont énoncées dans le Mémorandum d'accord lui-même127. Ce faisant, les amicus potentiels sont susceptibles d'être plus pris au sérieux et, finalement, d'atteindre leur objectif qui est d'aider les groupes spéciaux et l'organe d'appel dans des différends particuliers.

De plus, la volonté des acteurs privés de participer au différend à l'OMC ne fera qu'augmenter les décisions, commençant à avoir un impact plus évident sur leur comportement, et en fin de compte, cette volonté intensifiera le débat128.

2. Les plaintes privées sur l'action des gouvernements étrangers : l'approbation des