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Définition du parcours client cross-canal et démarche de travail

Section 2. Pratiques des managers sur la conception de parcours client cross-canal

2. Perception du problème de gestion par les praticiens

Après avoir exprimé l’objet de recherche selon la vision des praticiens, nous exposons, dans ce point, comment les pratiques de conception émergent dans le quotidien des marketers (2.1). Nous présentons, ensuite, en détail les points de difficultés (2.2) pour finir par démontrer l’importance stratégique de ce travail (2.3).

2.1. L’émergence de la problématique de cross-canal dans les entreprises

La problématique de conception de parcours client est arrivée avec le cross-canal : «Avant tout se

faisait en point de vente, après on a Internet qui était plus considéré comme une vitrine du point de vente. Après le e-commerce est arrivé et là il fallait lier les deux, et puis le drive et le mobile qui sont arrivés, là on a eu différentes demandes, nous le but était de toucher le consommateur dans sa mobilité et dans le point de vente de lui proposer de l’interaction avec Internet et finalement que le mobile répondait à une vraie problématique. Tant que l’on avait que de la multicanalité avec chaque canal ayant chacun des objectifs et un fonctionnement propre tout allait bien mais là on a la possibilité de naviguer d’un canal à l’autre et de faire du cross-canal, il ne faut plus avoir des canaux avec des objectifs différents mais repenser notre démarche. Notre but maintenant c’est de pouvoir occuper le terrain, où est notre client, le client est un peu ubiquitaire

et donc un peu partout, il se déplace beaucoup, il utilise beaucoup le mobile, tout se casse, les usages que l’on pensait les bons ne sont plus les bons : on croyait beaucoup au m-commerce mais en fait ce modèle se transpose aux tablettes. Donc tout bouge en permanence, avec l’avènement du mobile et de l’achat en ligne, ca fait bouger pas mal, donc le site Internet doit s’adapter au mobile, il faut développer des supports spécifiquement mobiles. On a suivi une tendance qui est entrée dans notre quotidien. Tout cela est devenu naturel » [4].

Tant que la multi-canalité avait cours, que chaque silo organisationnel s’occupant d’un canal transactionnel (magasin, Internet..etc) travaillait en parallèle, les notions de parcours client et d’expérience se travaillaient indépendamment sur chaque canal de vente, et le travail était facilité car chaque canal avait un environnement homogène et unique. Le déterminant principal de l’émergence du problème de conception est la transformation digitale qui permet la cross- canalité des clients, qui passent d’un canal transactionnel à un autre, grâce au développement d’Internet et de la mobilité digitale avec les objets mobiles connectés. La transformation digitale développe des usages et rend les pratiques hétérogènes et changeantes, ce qui oblige les managers à des remises en cause continues. Enfin, la transformation digitale crée de nouveaux canaux comme les objets connectés par exemple, ce qui questionne les managers sur l’intérêt d’intégrer ces nouveaux canaux.

Les conséquences de l’arrivée du cross-canal sont fortement organisationnelles : « Le problème

de fond est que, en particulier quand on parle de transactionnel, on avait majoritairement des activités e-commerce qui vivaient à côté de l’activité magasin. On avait assez fortement cloisonné en interne parce que c’est des compétences, des activités, des process, des systèmes d’information assez différents donc la nécessité d’aller vite et de faire simple fait que les entreprises ont créé leur e-commerce pas en mode start-up, il faut pas exagérer, mais de manière assez isolée. Mais les équipes, les process et les standards magasin de l’activité magasin n’étaient pas digitaux, pas du tout et donc étaient dans une logique magasin pure. Donc on a construit les boites de distribution comme un truc différencié, comme ils ne sont pas crétins non plus, ils géraient ….enfin ils faisaient en sorte qu’il n’y ait pas trop d’incohérence, d’incompatibilité, que cela ne se télescope pas trop mais ce n’était pas cross-canal mais multi-canal. Et cela a marché assez bien. Et tant que vous n’avez que 15% de vos clients qui utilisent le site et 2% de votre CA en e- commerce ça ne mange pas de pain. Tant que vous êtes à ce stade de maturité, d’importance des parcours cross-canaux, honnêtement l’intérêt d’être sûr de l’intégration cross-canal est faible au regard de la génération de la complexité, c’est tellement difficile à faire que la solution de facilité c’est de mettre le e-commerce et de l’interfacer avec le magasin mais sans aller trop loin dans cette intégration. Ce n’est pas une solution bête. Dès lors que vous avez, 50 à 60% de vos clients qui vont sur votre site et que cela représente 5 à 10% de vos ventes, il n’est plus possible de le

ghettoïser et, à regret, vous arrivez à la conclusion que vous devez devenir cross-canal, qu’il est important de manager de manière profonde les parcours cross-canaux, à regret, car le bordel commence…. » [8].

Ce point avait été prédit par plusieurs articles sur les enjeux des pratiques marketing actuelles face à la transformation digitale (Day, 2011; Leeflang et al., 2014).

2.2. Les sources de difficultés de conception de parcours

Plus précisément, nous avons relevé de nombreuses problématiques actuelles pour les managers dans les enseignes de distribution liées à la conception de parcours client cross-canal de trois ordres :

Les problématiques informationnelles :

- La fluidité informationnelle et la continuité dans l’information fournie au client est difficilement réalisable (« On constate que l’on a des clients qui usent et abusent de tous

les canaux et qui utilisent l’appel entrant 3040 quand ils ont loupé l’appel de la télévendeuse. Après, ce n’est pas encore très propre, il nous arrive d’avoir des couacs lors de ces parcours. Et le message ne passe pas encore très bien dans tous les canaux. Ca s’améliore mais il nous arrive d’avoir des bugs dans les parcours client » [2]) ;

- Les caractéristiques et les possibilités de chaque canal sont différentes et doivent être intégrées à la réflexion (« Il y a des canaux synchrones/asynchrones, des canaux avec

acquittement/sans acquittement, y’a des canaux bidirectionnels d’autres unidirectionnels, tout cela pose des contraintes et des possibilités et après on peut imaginer certains services : ce qui est dématérialisé et ce qui ne l’est pas, ne peut pas. Y’a certaines opérations qui ne peuvent être faites que par un ou deux canaux. » [1]) ;

Les problématiques liées à la fluctuation de l’environnement de l’entreprise (usage des clients, concurrents, innovations technologiques..) :

- Les modifications des comportements des clients, en particulier avec l’arrivée du mobile et du multitâche permettent de penser à de nouveaux parcours qu’il faut intégrer aux existants (« Si je prends Disneyland Paris,[…],ils ont pensé toute leur stratégie mobile en

fonction du fait que le mobile est intéressant et devient essentiel quand on est dans un parc car on a que cela dans la poche et surtout dans la queue pour optimiser le temps d’attente et pas en avant ou en aval du parcours où les gens vont sur le web » [5]) ;

- L’évolution perpétuelle des parcours au gré des innovations questionne sur l’intérêt d’intégrer ces nouveautés alors que les usages sont émergents (« cela ouvre pas mal de

canaux supplémentaires, surtout les objets connectés mais cela exclut aussi de nombreuses personnes. Cela révolutionne les canaux de communication car on a des personnes qui ne regardent plus la télé, mais sont sur mobile et tablette. Donc, comment capter ces gens-là ? Il faut trouver des moyens originaux derrière. Ensuite, il y a toutes les problématiques de transaction et de reconnaissance client » [10]) ;

- La modification des parcours doit suivre la concurrence qui définit de nouveaux standards d’expérience pour le client (« Si Uber fonctionne si bien par rapport aux taxis, c’est parce

que la nouvelle expérience client est bien meilleure que l’ancienne. Le contexte concurrentiel rend plus difficile le verrouillage du consommateur qui est extrêmement déjà averti car il a les moyens de comparer, et vit des expériences très sympas avec certaines marques » [20]) ;

Les problématiques internes managériales, organisationnelles et stratégiques :

- Certaines ressources uniques sont accessibles à partir de plusieurs canaux car les enseignes sont dans des logiques intégratives (« Dès qu’ils ont développé leur site e-commerce, ils

ont pensé que c’était la pierre angulaire du cross-canal et ils ont tout de suite pensé à la partie web-in-store. Le site est présent sur des bornes en point de vente. » [4]) ;

- Les logiques relationnelles des entreprises poussent les managers à travailler sur des parcours beaucoup plus longs que la simple temporalité transactionnelle («Après ce qui

est intéressant du parcours chez EDF, c’est qu’il y a finalement que peu d’interactions et là ils vont passer au compteur communicant, ils vont à une relation beaucoup plus continue avec une relation plus intense et c’est souvent ça qui change la nature du parcours et le mobile est aussi, comme dans l’immersion numérique, beaucoup plus en contact avec son prestataire. On passe d’un courant alternatif avec quelques points de contact tous les 2, 3 ans et une relation épisodique à un courant continu avec une relation quasi journalière. Donc, on va avoir du relevé de compteur toutes les 2 minutes et cela va fournir plein d’informations sur la consommation énergétique de la maison et de tous les appareils et donc plein d’informations supplémentaires et donc plein de questions relationnelles qui vont s’ajouter. On va avoir une relation qui va se densifier et donc un parcours client à inventer mais en partant de zéro » [3]) ;

- L’impossibilité de pouvoir actuellement quantifier les trafics des clients sur les parcours pour faire de l’aide à la décision handicape les managers dans leurs réflexions sur les parcours futurs (« On en est qu’aux balbutiements. Quand on aura des traceurs fiables

sur mobile, comme les beacons, cela changera la donne en magasin. L’effet showrooming sera mieux mesuré. Pour l’instant, on ne sait encore correctement comment traiter les données et là c’est le problème du big data. Et là ça change encore la donne. Je pense à

Tesco, qui a collecté des tonnes de datas, tout misé dessus et qui ne sait pas quoi en faire et qui se vautre….[souffle] » [10]) ;

-

L’échec de parcours causé par la non-prise en compte des compétences des clients (« On