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Sc de la nature et Sc.humaines Sc d e l’artificiel

Section 3. Choix épistémologique : le réalisme critique

Le travail du chercheur s’accompagne d’une réflexion sur sa posture épistémologique, cohérente vis-à-vis du paradigme scientifique choisi et de la stratégie de recherche. L’épistémologie est « l’étude de la constitution des connaissances valables » (Piaget, 1967). Dans un premier point, nous reprendrons la présentation des différents questionnements auxquels nous devons répondre afin de définir notre posture (1). Puis, nous présenterons notre posture : le réalisme critique (2).

1. Les questionnements pour fonder ses choix épistémologiques

Selon Thiétart (2014), le chercheur doit exercer sa réflexivité, et s’interroger sur quatre points : - Quelle est la nature du réel que l’on veut connaître ? C’est la question ontologique

permettant de déterminer si le monde est « réel » ou « construit » ;

- Quelle est la nature de la connaissance produite ? C’est la question épistémique afin de savoir si la réalité existe en dehors du chercheur dans une vision objective ou si la connaissance est relative ;

- Quels sont les critères de connaissance valable ? C’est la question de la validité ;

- Quels sont les incidences de la connaissance produite sur le réel étudié ? C’est la question axiologique du rôle de la recherche sur le monde réel.

Ces quatre points permettent de définir, au sein d’un continuum épistémologique, cinq grandes familles : Le réalisme scientifique positiviste, le réalisme critique, le constructivisme pragmatique, l’interprétativisme et le constructivisme.

Dans le tableau ci-dessous, nous reprenons ces cinq courants en les croisant avec les quatre éléments de réponses aux questions posées ci-dessus afin de définir la posture épistémologique (d’après Gavard-Perret et al., 2012) :

Réalisme Scientifique (McKelvey, Hunt)

Réalisme Critique (Bhaskar)

Constructivisme Pragmatique (Von Glaserfeld, Le Moigne)

Interprétativisme (Heidegger, Sandberg, Yanow) Constructivisme (Guba et Lincoln) Question ontologique

Il existe un réel en soi indépendant et antérieur à l’attention que peut lui porter un humain qui l’observe

Le réel est organisé en trois domaines stratifiés : le réel

profond (c’est le domaine

des forces, structures et mécanismes), le réel actualisé (évènements et états de fait) et le réel empirique (l’expérience et les impressions)

Aucune hypothèse fondatrice. Il existe des flux d’expériences humaines qui vont faire avancer la connaissance

Il existe de l’activité humaine structurée. La signification

consensuellement attribuée par des sujets à une situation à laquelle ils participent est considérée comme la réalité intersubjective objective de cette situation

Le réel est relatif : il existe de multiples réalités socialement construites, qui ne sont pas gouvernées par des lois naturelles, causales ou d’autres sortes

Question épistémique

Le réel (en soi) n’est pas forcément connaissable (faillibilité possible des dispositifs de mesure)

Le réel profond n’est pas observable. L’explication scientifique consiste à imaginer le fonctionnement des mécanismes générateurs qui sont à l’origine des évènements perçus

Est connaissable l’expérience humaine active. Dans le processus de connaissance, il y a une interdépendance entre le sujet connaissant et ce qu’il étudie, lequel peut néanmoins exister indépendamment du chercheur qui l’étudie.

Est connaissable

l’expérience vécue. Dans le processus de connaissance, il y a interdépendance entre le sujet connaissant et ce qu’il étudie. L’intention du sujet connaissant influence son expérience vécue de ce qu’il étudie

Dans le processus de connaissance, il y a interdépendance entre le sujet connaissant et ce qu’il étudie

Question de validité

Neutralité et objectivité du chercheur sont exigées. Justification de la validité externe via des réplications et tests statistiques d’hypothèses

Se mesure avec le pouvoir explicatif des mécanismes générateurs identifiés. Justification de la validité des mécanismes générateurs via des mises à l’épreuve successives

Adaptation fonctionnelle et viabilité de la connaissance pour agir intentionnellement. Justification de la validité des connaissances génériques via des mises à l’épreuve dans l’action Validité communicationnelle pragmatique et transgressive. Description épaisse du processus (méthodes herméneutiques et ethnographiques) Authenticité (Trustworthiness) Description épaisse de processus (méthodes herméneutiques mobilisées de manière dialectique) Question axiologique

Connaître et expliquer des phénomènes observables (via éventuellement des concepts inobservables)

Conception

représentationnelle de la connaissance. Enoncés sous forme réfutables

Mettre à jour les mécanismes générateurs et leurs modes d’activation

Conception

représentationnelle des mécanismes générateurs

Construire l’intelligibilité dans le flux de l’expérience à fin d’action intentionnelle. Conception pragmatique de la connaissance

Comprendre les processus d’interprétation, de construction de sens, de communication et d’engagement dans les situations. Conception pragmatique de la connaissance Comprendre les constructions de sens impliquées dans le phénomène étudié. Pas de généralisation Conception pragmatique de la connaissance

La posture épistémologique est donc liée à notre paradigme scientifique ainsi qu’à notre stratégie de recherche. Marie-José Avenier (2010) considère qu’en sciences de l’artificiel, la posture est soit réaliste critique soit constructiviste pragmatique à cause de la volonté d’action du chercheur. La différence est faite aussi sur la posture du chercheur: dans le cas du réalisme critique, le chercheur est extérieur au réel alors qu’en constructivisme pragmatique, le chercheur agit sur le réel (Avenier, 2009a, 2009b, 2010). Ces écarts de postures épistémologiques font naître de grandes différences sur les stratégies de recherche et vont lier les stratégies de recherche-action au constructivisme pragmatique et les stratégies de DSM au réalisme critique (voir Avenier, 2010, Table 3, p32). Cette posture réaliste critique est confirmée par d’autres recherches en DSM par Van Aken et Romme (Pascal et al., 2013; Romme et Endenburg, 2006; Van Aken et al., 2012).

2. Notre posture : le réalisme critique

Si nous reprenons les questions ci-dessus et que nous y répondons suivant le paradigme scientifique et la stratégie de recherche choisis, cela nous permet de présenter le tableau suivant qui recouvre largement la définition ci-dessus du réalisme critique. Cette posture considère que le réel est organisé en trois domaines stratifiés : le réel profond (c’est le domaine des forces, structures et mécanismes), le réel actualisé (évènements et états de fait) et le réel empirique (l’expérience et les impressions).

Question Notre posture et notre justification Quelle est la nature

du réel que l’on veut connaître ?

Le chercheur n’a pas accès au réel profond. Il ne peut étudier que les deux premiers niveaux de réalité et ainsi décrire leurs régularités en mettant à jour des « mécanismes générateurs » qui sont ici les règles de conception CIMO

Quelle est la nature de la connaissance

produite ?

La connaissance produite est applicable à une classe de problèmes mais doit être adaptée pour résoudre chaque problème d’entreprise. Quels sont les critères

de connaissance valable ?

La connaissance doit être valable scientifiquement et donc fondée sur des lois qui sont observables dans la réalité actualisée mais qui doivent aussi être de la connaissance en adéquation avec l’action des managers (c’est le double critère rigueur/pertinence de la DSM) Quels sont les

incidences de la connaissance produite

sur le réel étudié ?

Le réel étudié peut être amélioré par le développement de la connaissance et la transmission au monde réel actualisé

Tableau 22. Notre posture épistémologique réaliste critique explicitée

La visée prescriptive de notre recherche nous amène à penser que notre thèse va se fixer comme objectif de concevoir un artefact afin d’améliorer le travail des praticiens. Cela signifie que la conception de parcours client est composée d’une part, d’un réel actualisé présentant des actions des marketers et d’autre part, d’un réel empirique fondé sur les discours des managers, leurs représentations mentales des parcours client et des lectures professionnelles qu’ils consultent ou

qu’ils produisent. Cette observation extérieure nous permet de mettre au jour des ‘mécanismes générateurs’ facilitant la perception des dysfonctionnements de ces mécanismes afin de proposer des voies d’amélioration de ces derniers.

Notre objet de recherche, complexe, sera observé à travers les deux premiers niveaux de réel des acteurs puis nous cherchons à en repérer les régularités en nous appuyant sur des lois de fonctionnement du réel profond observé dans le paradigme des sciences de la nature. Le réalisme critique postule que le réel profond n’est pas observable. L’explication scientifique consiste à imaginer le fonctionnement des mécanismes générateurs qui sont à l’origine des évènements perçus.

Pour résumer, la conception de parcours client cross-canal appartient au réel profond mais peut être observée à travers le réel empirique des impressions et des expériences des professionnels ainsi que par l’observation des faits, afin de révéler des mécanismes générateurs. Nous chercherons ensuite à améliorer ces mécanismes générateurs dans une visée prescriptive.