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Les ressources et les capacités au sein du parcours client

Section 3. Les capacités nécessaires à l’entreprise pour manager l’expérience client

1. Les capacités et leurs dynamiques en RB

Nous développons, dans ce point, le concept de capacité marketing, les différentes capacités marketing détectées dans la littérature ainsi que celles nécessaires au management de l’expérience client (1.1). Nous continuons ce premier point en abordant la dynamique de ces capacités (1.2) pour terminer sur la nécessité d’orchestrer les ressources afin de pouvoir intégrer les ressources apportées par le client (1.3).

1.1. Les capacités marketing et de management de l’expérience client

Les capacités mobilisées par le marketing font l’objet d’une littérature récente. Le premier article à aborder ce point définit plusieurs capacités marketing nécessaires pour qu’une entreprise soit

orientée marché (Day, 1994). La principale contribution provient de Morgan (2012). En reprenant la typologie de Grant (1996), il propose trois niveaux de capacités marketing.

Les capacités marketing spécialisées sont limitées au périmètre du marketing et permettent d’assembler des ressources. Pour Morgan, ces capacités sont limitées au mix marketing. Par exemple, il cite les capacités de communication qui visent à communiquer efficacement avec les clients et les prospects.

Les capacités marketing cross-fonctionnelles sont plus larges et rassemblent plusieurs capacités spécialisées. Par exemple, la capacité de management de la marque en est une.

Les capacités marketing architecturales, sont des capacités structurantes, regroupant des capacités marketing cross-fonctionnelles permettant de les déployer correctement et d’y associer les ressources nécessaires. Par exemple, la capacité de mise en œuvre de la stratégie marketing. Plus récemment, un article, fondé sur une étude qualitative de 48 marketers, définit quatre capacités marketing nécessaires pour la management de l’expérience client (Homburg et al., 2015: 11) :

- La capacité de design de point de contact (Touchpoint journey design), “the capability

of planning potential touchpoint journeys as a means for business planning and modeling and disseminating requirements across functionally oriented capabilities such as product development, sales, and communications”;

- La capacité de priorisation des points de contact (Touchpoint priorization), “the

capability of directing the constant implementation and modification of touchpoints and, thus, the continuous (re)allocation of monetary, technical, and human resources by drawing on a data-driven prioritization scheme for a given planning period”;

- La capacité de pilotage du parcours client (Touchpoint journey monitoring), “the

capability of coordinating and depicting the comprehensive collection of touchpoint- specific performance indicators in accordance with the firm’s touchpoint journey orientation”;

- La capacité d’adaptation des points de contacts (Touchpoint adaptation), “the

capability of continually interpreting and enriching touchpoint-specific performance indicators with in-depth customer research for creating and disseminating propositions of incrementally and radically new touchpoint(s) journeys”.

1.2. Les capacités dynamiques

Nous expliquons, dans ce point, pourquoi nous nous situons dans le courant des capacités dynamiques par l’origine de l’avantage concurrentiel puis nous présentons le concept de capacités dynamiques.

En 1991, Barney considère que l’entreprise, afin obtenir un gap de performance, doit détenir des ressources et des capacités de Valeur, Rares (non détenus par les concurrents), Inimitables par le marché et Non-substituables par d’autres ressources (caractéristiques VRIN). Selon l’approche classique en Resource Based View, toutes les ressources ne sont pas forcément sources d’avantage concurrentiel. Seules les ressources ayant les caractéristiques VRIN sont capables de fournir une différenciation à l’entreprise. Nous considérons que cette vision est limitative car elle trace un lien direct entre ressources et avantage concurrentiel. Selon nous, les ressources ne sont alors qu’un maillon primaire causal et ce sont les capacités à organiser et combiner dans le temps ces ressources qui permettent de créer un avantage concurrentiel.

En reprenant les définitions conceptuelles ci-dessus, on comprend que le modèle VRIN ne s’applique plus aux ressources mais plutôt aux capacités. On considère donc que la capacité est un actif supérieur aux ressources et que c’est la capacité qui doit détenir les caractéristiques VRIN et non forcément les ressources (Makadok, 2001). Cette vision est partagée par d’autres chercheurs, qui considèrent que c’est la capacité qui est idiosyncratique et non forcement les ressources (Eisenhardt et Martin, 2000). Un article (Newbert, 2007) montre qu’en analysant 166 articles donnant des résultats empiriques fondés sur la RBV: “the findings suggest that it may well be the

firm’s organizing context and its valuable, rare, inimitable capabilities (dynamic and otherwise) and core competencies rather than its static resources that are essential to determining its competitive position.”

Volle et Moati (2010) se rapprochent de ce point de vue, car, selon eux, les distributeurs font face à des modifications de leur environnement sectoriel, ce qui les amène à acquérir de nouvelles compétences marketing. Cette transformation de la fonction marketing chez les distributeurs nécessite des capacités pour leur permettre de réorganiser leurs ressources. Ces capacités sont dynamiques dans le temps.

Encadré 1. Exemple de ressources et de capacités dans la distribution

« Cette dynamique est typique de la démarche qui a été suivie par les distributeurs dans le

domaine des bases de données dont la mise en œuvre, l’élaboration des outils d’exploitation, voire le traitement ont d’abord été externalisés, avant d’être progressivement internalisés dans l’organisation des distributeurs, à mesure qu’augmentait la qualification des collaborateurs et que les outils se stabilisaient et gagnaient en ergonomie. Par exemple, lors de la mise en place des ‘Ecobons’ personnalisés, Auchan – tout comme la branche proximité de Carrefour – a opté (comme beaucoup d’autres distributeurs) pour la solution ‘clé en main’ de Catalina, à la fois pour l’hébergement de la base et pour les outils de requête, avant d’internaliser le dispositif quelques années plus tard » (Volle et Moati, 2010: 66)

Les ressources sont ici les bases de données, outils d’exploitations des bases et les compétences des équipes pour traiter ces bases (ressources humaines).

Le processus organisationnel d’internalisation des bases de données client nécessite une capacité nouvelle au sein de l’entreprise acquise par la mise en place de processus organisationnels (formation des collaborateurs et amélioration de l’ergonomie).

Nous choisissons de nous situer dans le courant des capacités dynamiques au sein de la RBV car les ressources des distributeurs sont souvent identiques (magasins, personnels, site Internet, marque forte…) mais ce sont les processus organisationnels et les routines mises en place par les départements marketing qui vont créer des capacités VRIN.

En effet, si l’on étudie les ressources détenues par les enseignes de distribution (magasins, base de données clients…), elles paraissent identiques pour beaucoup d’enseignes. Donc, ce n’est pas la ressource, comme le parc de magasins par exemple, qui a de la Valeur, de la Rareté, de l’Inimitabilité et de la Non-substitution afin de créer un avantage concurrentiel mais la capacité de l’enseigne à réorganiser ses ressources dans le temps en développant des capacités dites dynamiques.

Teece (2007, 2014) développe un cadre théorique pour mieux structurer la notion de capacités dynamiques. Celles-ci sont composées de trois capacités fondamentales à réaliser de façon continues et suivies c’est-à-dire dynamiques :

- Identifier les opportunités et les menaces de l’environnement (sensing capability) ; - Savoir saisir les opportunités (seizing capability) ;

- Mettre en valeur, combiner, protéger et reconfigurer les stocks de ressources de l’entreprise (recombinating/reconfiguring capability)

Ces capacités sont donc dynamiques si elles permettent de changer les routines pour ne pas avoir de dépendance de sentier. Le concept de ‘dépendance de sentier’ (path dependency) décrit la trajectoire des entreprises et leur performance. Cette trajectoire se construit à partir de leur histoire propre et par les routines qu'elles ont accumulées au cours de leur évolution : les choix passés conditionnent le développement futur de nouvelles routines, et restreignent les voies stratégiques futures disponibles pour l’entreprise (Brulhart et al., 2010).

La capacité de sensing doit permettre d’avoir une organisation et des managers capables d’apprendre, de ressentir, de filtrer et de calibrer les opportunités des marchés. L’entreprise doit alors détenir de nombreux processus, microfondations de cette capacité, comme des processus de sélection de nouvelles technologies, de repérage d’innovations et de R&D et des processus pour identifier de nouveaux besoins clients.

La capacité de seizing doit permettre d’avoir une organisation et des managers capables de changer pour se structurer autour de nouvelles procédures afin de saisir les opportunités détectées à la phase précédente. Pour cela, l’entreprise doit détenir des microfondations de cette capacité, comme créer de nouveaux business models, changer les protocoles de prises de décisions et délimiter les besoins en ressources pour capter cette opportunité.

Pour terminer, la capacité de reconfigurating doit permettre d’avoir une organisation et des managers capables de réaligner continuellement le portefeuille de ressources nécessaires au développement de l’opportunité et les ressources détenues par l’entreprise puis de les coordonner entre elles. Pour faire du reconfiguring, l’entreprise doit détenir quatre microfondations : la possibilité de se défaire rapidement d’une ressource pour en acquérir une autre sans que cela affecte le portefeuille total de ressources, une bonne gouvernance des ressources, un management de la connaissance et un bon alignement de ressources afin qu’elles s’assemblent correctement les unes aux autres.

Figure 10. L’enchainement des processus et les étapes de reconfiguration dans l’organisation (Helfat et Peteraf,

Le travail de Teece a fait l’objet de nombreuses critiques, principalement sur la nature VRIN de ces capacités et leur propension à développer un avantage concurrentiel (Peteraf et al., 2013). Selon Eisenhardt et Martin (2000), les capacités dynamiques existent dans un environnement turbulent mais contenant des stocks de ressources proches et s’assimilent à des ‘best practices’. Ces pratiques pouvant être captées sous forme de nouvelles routines, elles sont donc imitables. Cela remettrait en cause le fait que les capacités dynamiques soient l’origine de l’avantage concurrentiel d’une entreprise. Ce désaccord entre Teece et Eisenhardt tend à se réduire par la recherche sur l’orchestration des ressources et les capacités managériales (Peteraf et al., 2013). Selon ces derniers, « In the case of dynamic capabilities, the exception may be in the details. A

particular type of best practice, such as those for acquisition-integration, may have many elements that are widely shared by practitioners of this type of capability. But this does not necessarily mean that all such practitioners are equally adept at the practice » (Peteraf et al., 2013: 1403).

Si, comme le suggère la littérature sur le management de l’expérience client (Arnould, 2008; Moati et Volle, 2012; Verhoef et al., 2009), les ressources sont un constituant des parcours client, alors c’est l’étape de reconfiguration des actifs qui devient centrale dans notre travail ainsi que le rôle du manager.

Une deuxième critique fait jour concernant les capacités dynamiques : il n’existerait pas de véritable théorisation de cette reconfiguration, qui passe forcément par le réarrangement du portefeuille de ressources détenues par l’entreprise (Sirmon et al., 2007). Afin de fournir une théorie de moyenne portée liant la théorie des capacités dynamiques et la RBV à la pratique, des chercheurs travaillent sur le processus d’orchestration des ressources c'est-à-dire de gestion du portefeuille de ressources détenues par l’entreprise afin de l’augmenter, le modifier et/ou le redéployer pour créer une reconfiguration des capacités dynamiques sur le long terme. Cette orchestration nécessite des capacités managériales spécifiques (Helfat et Peteraf, 2014). Ces auteurs mettent en avant le rôle déterminant des dirigeants dans la reconfiguration des capacités. Ils mettent en lumière les capacités managériales qu’ils doivent détenir.

Nous décidons de nous centrer sur la phase de reconfiguring car elle inclut la combinaison de ressources de l’entreprise afin de répondre à une stratégie prédéfinie. C’est la phase la plus critique car elle implique les plus grands changements organisationnels et fait passer l’entreprise de vouloir saisir une opportunité à pouvoir la saisir et la mettre en place. Cela implique que la firme puisse reconfigurer continuellement les processus au sein de l’entreprise mais aussi les structures organisationnelles et les actifs face à des environnements de plus en plus turbulents afin de ne pas s’enfermer dans une trajectoire stratégique prédéterminée. Or, le distributeur fait face à un environnement économique, sociétal et technologique très fluctuant (Leeflang et al., 2014), ce qui l’oblige à créer des réponses adaptatives et des nouvelles sources de création de valeur passant

par des acquisitions de nouvelles capacités marketing (Day, 2011). Cette reconfiguration implique la mise en place de processus organisationnels afin d’acquérir la capacité de reconfiguring mais aussi des capacités managériales.

1.3. L’orchestration des ressources

Nous nous concentrons ici sur l’orchestration des ressources, processus managérial central dans notre conception de parcours client, pour terminer par le rôle du manager dans le processus d’orchestration des ressources conformément à notre niveau d’analyse.

Nous centrons notre recherche sur le travail de réarrangement des ressources par les managers, appelée communément « asset orchestration » (Helfat et Peteraf, 2009) et nous l’appliquons à notre objet de recherche : le parcours client cross-canal. Cette théorie est susceptible de nous permettre de comprendre comment les entreprises managent et conçoivent des parcours client. Depuis 2009, quelques chercheurs travaillent, à la suite de Teece, sur l’orchestration des ressources.

Ces recherches théoriques récentes se sont développées pour répondre aux critiques sur l’absence de compréhension des mécanismes générateurs de capacités dynamiques. Ces mécanismes sont appelés des microfondations de capacités dynamiques (Helfat et al., 2009; Teece, 2007). L’orchestration des ressources n’approfondit l’étude que de la troisième phase de constitution d’une capacité dynamique : reconfiguring.

Helfat et collègues considèrent que l’orchestration des ressources consiste en deux mécanismes primaires (microfondations) :

- Recherche/sélection des ressources par les managers (identifier, investir et définir les structures organisationnelles et de gouvernance);

- Configuration/déploiement des ressources par les managers (coordonner et recombiner des actifs spécialisés afin de construire les nouveaux business models décidés en phase de

seizing).

Teece (2012, 2014) intègre l’orchestration des ressources dans sa théorie des capacités dynamiques en ajoutant que ce n’est pas l’orchestration de ressources qui crée un avantage concurrentiel mais la capacité de l’organisation à répéter, diffuser et enrichir ce processus organisationnel afin de réduire les conflits entre les éléments internes et externes de l’entreprise. Il raffine son modèle en ajoutant que les ressources peuvent venir d’autres parties prenantes que l’entreprise, dont les clients. Donc l’orchestration des ressources permet la captation et le

déploiement de ressources internes (internal reconfiguring) comme de ressources externes (external reconfiguring).

Figure 11. Le périmètre des mécanismes d’orchestration de ressources

Dans son article de 2014, Teece va plus loin en souhaitant créer un cadre unificateur en affirmant que les ressources VRIN et les capacités dynamiques sont complémentaires : « The resources

approach implies that competitive advantage flows from heavy endowment or investment in the right (i.e., VRIN) resources. But even high-potential resources must be astutely managed (orchestrated) to boost enterprise performance. Managerial coordination of resources is not featured in the resource-based approach, but is critical in dynamic capabilities” (Teece, 2014). Cet élément conceptuel est fondé au niveau de la coordination par les dirigeants du portefeuille de ressources dans le cas de création de nouveaux business models. Cela affermit son cadre théorique car la reconfiguration externe consiste à capter des ressources extérieures manquantes, et la reconfiguration interne, vise à réarranger le portefeuille de ressources en spécialisant les ressources et en les combinant afin de répondre au business model défini dans l’étape de seizing. Cela serait donc les capacités des dirigeants à créer une nouvelle gouvernance ainsi qu’une nouvelle structure puis une coordination particulière des ressources entre elles qui permettraient d’avoir un avantage concurrentiel unique.

Parties prenantes

Entreprise

Clients Autres : fournisseurs, sous-traitants… Stock de ressources Orchestration de ressources Stock de ressources Internal Reconfiguring Stock de ressources External Reconfiguring

L’orchestration des ressources serait fondée sur les capacités managériales à organiser les ressources entre elles (Hansen et al., 2004). Le développement de ces capacités managériales dans le temps et au sein de plusieurs niveaux hiérarchiques permet le développement d’une capacité dynamique à travers des processus organisationnels pilotés par des managers (Helfat et Peteraf, 2014).

Ce courant affirme que le processus d’orchestration des ressources est porté par le travail des managers et trois types de savoirs : leurs savoirs personnels (Managerial human capital), leurs réseaux sociaux et professionnels (Managerial social capital) ainsi que leurs schémas mentaux et représentations mentales (Managerial cognition) (Helfat et Martin, 2015).

Les savoirs personnels peuvent être définis ainsi : « as a set of abilities, expertise, and knowledge

that managers acquire in part from previous work experience » (Bailey et Helfat, 2003:24). Ces

savoirs proviennent de livres, de formations, de « learning-by-doing», et requièrent de la pratique (Mintzberg, 1973).

Les savoirs ‘sociaux’ des managers sont de plus en plus étudiés et ils représentent le transfert de connaissances de leur entourage, en entreprise ou au sein d’un réseau professionnel de prestataires, consultants, clients. On peut citer par exemple la recherche sur la captation des savoirs marketing des prestataires par les équipes marketing (Moraux-Saurel et Volle, 2015).

Les schémas mentaux des managers jouent un rôle dans leur capacité à reconfigurer des ressources : « Our study suggests that the mental models of leaders play a critical role in directing

resource accumulation process, acquisition and renewal organisation » (Barr et al., 1992:34). Ces

schémas mentaux peuvent prendre la forme de tableaux, supports visuels, dessins, storyboard. On sait aussi que la forme de la représentation de ces schématisations mentales ont un effet sur la capacité de transmission et sur leur interprétation (Fiol et Huff, 1992).

Pour résumer, ce courant d’orchestration des ressources postule donc que la capacité de

reconfigurating nécessite l’existence d’un portefeuille de ressources reconfiguré

régulièrement dans le temps. Cela n’est possible que si l’entreprise détient, en plus de capacités organisationnelles, d’une part, des capacités managériales permettant de modifier le portefeuille de ressources et, d’autre part, un pouvoir de gouvernance sur les organisations et les parties-prenantes (Sirmon et al., 2011).