• Aucun résultat trouvé

L’échec de parcours causé par la non-prise en compte des compétences des clients (« On met extrêmement peu de choses en œuvre pour développer la compétence de notre client

3. Etude des représentations graphiques classiques existantes (Q2)

Les représentations graphiques classiques sont les représentations signalées dans la presse professionnelle comme HBR ou dans des articles académiques. Elles sont à nos yeux aussi importantes que les verbatim des professionnels car elles permettent de comprendre la construction mentale des managers. Nous définirons, tout d’abord, des outils classiques (3.1), puis nous étudierons leur utilisation par les praticiens (3.2). Ensuite, nous présenterons leur intérêt managérial (3.3) pour enfin montrer leurs limites (3.4).

3.1. Les outils classiques dans la littérature

La technique de service Blueprinting (Shostack, 1982, 1987) a été initialement introduite comme un processus de contrôle technique de la qualité des services car elle avait de nombreux avantages : elle était plus précise qu’une définition verbale, elle permettait de découvrir les points défaillants

et de résoudre des problèmes rapidement (Bitner, Ostrom, et Morgan 2008). Cette technique est différente des diagrammes de flux (flowtasks) car elle met en exergue les actions du client en définissant deux lignes : une ligne d’interaction entre le client et l’organisation ainsi qu’une ligne de visibilité définissant ce que le client voit et ce qu’il ne voit pas. Il permet de repérer les incidents ou les incohérences d’un parcours client linéaire.

L’outil de service blueprint est cité dans un article de recherche de référence comme le seul outil valable pour représenter graphiquement un parcours client (Lemon et Verhoef, 2017) car cet outil est le plus solide pour présenter des points de contacts, et l’incidence de ces points sur l’organisation interne de l’entreprise mais aussi car il oblige les marketers à intégrer la perspective du consommateur et requiert des données clients.

Encadré 9. Les représentations de parcours client par Blueprint ou Matrices

Un schéma de service (blueprint)(Shostack, 1987) est composé de cinq éléments : les preuves matérielles du service, les actions réalisées par le consommateur, les actions du personnel en contact direct avec la clientèle, les actions du personnel invisible pour le client, les supports techniques de procédures.

Une grille matricielle intègre le temps de prise de décision du consommateur (Blackwell et al., 2005) en colonne, auquel on associe des canaux de communication et de transaction en ligne. On indique ensuite quel canal peut être utilisé à chaque étape de la décision d’achat par le consommateur.

Quelques papiers académiques (Kabadayi et al., 2007; Van Baal et Dach, 2005) font référence à la grille de Moriarty et Moran (1990). Payne et Frow (2004) conseillent d’utiliser un diagramme de chaîne de valeur de canaux créé par Mac Donald et Wilson, qui intègre, dans une matrice, un cheminement temporel logique matérialisé par des flèches. Cette dernière inclut les étapes de prise de décision du consommateur : prise de conscience du besoin, recherche d’informations, comparaison des offres, achat, post-achat (Blackwell et al., 2005) auxquelles on associe un canal. Ces représentations matricielles sont souvent citées dans les articles managériaux et par les personnes que nous avons interrogées.

Enfin, depuis 2010, David Edelman a publié plusieurs articles dans HBR sur la conception de parcours client et développe une nouvelle forme de représentation en forme de cercle en reprenant les étapes classiques de décision d’achat du consommateur :

Figure 27. La représentation en cercle du parcours client (Customer Decision Journey Circle) (Edelman, 2010)

Cette représentation a été reprise par le cabinet Forrester dans un de ces livres blancs. Edelman travaillant pour le cabinet Mac Kinsey, certains répondants trouvent intéressant ce type de représentation : « De même, le Customer journey mapping, comme celui d’Edelman, est une

visualisation très macro, qui va étudier à partir de la décomposition des étapes de parcours client, va entrer dans chaque étape de parcours client pour comprendre les perceptions des clients, ses problèmes et ses points critiques, identifier les leviers pour les résoudre avec des logiques qui peuvent aller jusqu’à l’innovation » [15].

3.2. Le recours aux outils classiques par les praticiens

Les outils cités assez spontanément sont les logigrammes (flowtasks) et les matrices, principalement auprès des responsables marketing chez les distributeurs. Les représentations matricielles, souvent citées dans les articles et les livres managériaux, sont les représentations les plus utilisées par les personnes que nous avons interrogées. Ci-dessous, des exemples de matrices réalisées par les répondants plus ou moins détaillées et avancées.

Figure 28. Exemple de matrice pour un parcours d’achat conçu par [2]

Puis une représentation matricielle par un cabinet de conseil est présentée ci-dessous : le parcours prioritaire est indiqué en vert et certains parcours alternatifs ont été indiqués en gris.

Figure 29. Exemple de matrice avec un logigramme intégré pour un parcours de facturation chez un énergéticien français conçu par [19]

Par contre, peu citent le blueprint et quasiment aucun ne l’utilise, souvent par méconnaissance de l’outil.

Le fait de représenter les parcours semble être un élément structurant dans le travail stratégique du manager comme le soulignait cette citation: « Utilise mapping tools to improve the customer

experience: Both TNT and Guinness mapped out the perfect customer experience to understand and identify opportunities for improvement. Several tools can be used to undertake this task including: process mapping, service-blueprinting, customer activity cycles and customer-firm touchpoint analysis. These techniques are useful in highlighting opportunities for improving customer experience, identifying failure points, re-engineer processes and support differentiation. Another outcome can be enhanced employee understanding of their role in achieving a perfect experience for their customers » (Frow et Payne, 2007: 98). De même, dans les sources

secondaires, le recours aux représentations graphiques est présenté comme incontournable. Ci- dessous, une page d’un livre blanc d’un consultant.

Figure 30. L’intérêt de la représentation graphique (Extrait du livre blanc écrit par [15])

3.3. Intérêt stratégique des outils pour les managers

« C’est beaucoup utilisé car cela casse les silos dans l’entreprise en passant de la com à la pub, au service commercial, marketing, logistique et pour finir dans le service-après-vente. Donc le parcours client est là pour mettre de la cohérence dans ces différents départements. Vu du client c’est une et même entreprise. Vu de l’entreprise tout le monde travaille bien au regard des critères créés par l’entreprise, vu du client c’est juste une catastrophe. Le point de base c’était cela. Le parcours client est là pour aligner le travail produit par chacun des acteurs sur la vraie réalité des besoins du client. C’est avant tout cela que cela cherche à faire. Nous, en tant que consultant, quand on tombe sur un problème, il n’est même pas conscientisé par l’entreprise. Les gens pensent

qu’ils ont fait un très bon travail. Le parcours client a été très populaire car il permet de casser la vision par silo. Y’a pas une entreprise qui ne s’est pas posé la question de ses parcours car cela lui permet une vision très opérationnelle. Maintenant si l’on monte d’un cran, plus marketing, et qu’on cherche à avoir un coup d’avance on tombe sur ces logiques d’usage, personas. Quand vous aurez fait communiquer vos silos, le job n’est pas fini, on a une vision plus stratégique qui arrive avec des réflexions sur l’enrichissement de l’offre » [4].

Les représentations classiques permettent aux managers de définir les points d’amélioration des parcours actuels. Ils servent aussi beaucoup à communiquer l’intérêt stratégique de la démarche et à transmettre leur vision. C’est pourquoi, au sein de notre échantillon, les consultants utilisent plus les représentations graphiques, surtout matricielles, que les marketers au sein des entreprises de distribution. Nous retrouvons dans les pratiques, les apports du modèle de ‘cognition fit’ qui conclut que les représentations graphiques permettent de développer les représentations mentales et l’aide à la décision stratégique (Lurie et Mason, 2007; Vessey, 1994). Les outils de représentation de parcours étudiés permettent de lutter contre les dépendances de sentier en facilitant la reconfiguration du parcours client par la représentation mentale (Helfat et Martin, 2015) car :

- Ils permettent une compréhension rapide pour les dirigeants en phase stratégique des scénarios de parcours possible, « Le partage passe, si on veut éviter des processus

fastidieux où les gens se démobilisent, par des outils de visualisation des parcours client. Rien n’embête plus le comité de pilotage, que de voir apparaître un parcours client saucissonné en plein d’étapes et de micro-taches. Les outils de visualisation ont ce pouvoir» [15] ;

- Ils deviennent des supports de communication internes pour les personnels en front- office afin d’adapter les procédures de travail, « On a créé sept scénarios qu’on a pu diffuser en interne. Pour montrer un parcours client magasin je considère que c’est le film qui est le meilleur support parce que un service ou un parcours ça n’a pas d’existence matérielle ni rien de palpable » [18].

3.4. Les outils classiques restent décevants aux yeux des managers

Globalement, ces outils matriciels restent décevants aux yeux des personnes interrogées car ils gèrent mal la complexité : « On ne veut pas avoir des boites et des flèches dans tous les sens, le

traitement graphique de la complexité et de la profondeur est la principale difficulté non résolue »

[15]. « La difficulté et l’intelligence c’est la contextualisation c’est sur quel client selon quel

critère et selon quel signal je vais pouvoir déclencher tel truc c’est la clé et c’est là où il y a de la

aussi peu adapté : « Je n’ai jamais vu d’outil de construction de parcours client et c’est

quelquechose que je voudrai développer. Car, ok, quand j’ai fait tout le travail de compréhension des manques de mon parcours client actuel, c’est quoi l’outil pour construire un nouveau parcours ? Et là, le seul outil que j’ai vu, et qu’on utilisait chez SFR, mais qui date d’un certain nombre d’années, c’est des blueprint de service, utilisés couramment en hôtellerie, à la SNCF, mais qui ne permettent pas de tout gérer, mais ça a mal vieilli… » [15].

Enfin, l’arrivée du canal mobile crée aussi de nouvelles situations où un canal (le mobile) se retrouve être utilisé au sein d’un autre canal (le magasin). C’est une intégration d’un canal dans un autre et ce n’est, actuellement, pas représentable avec les outils dont les professionnels disposent.

Les outils classiques, sont dépassés car ils sont linéaires et n’intègrent pas la variété des ressources du client et ne représentent que les ressources physiques demandées (par exemple : se déplacer en magasin). L’insuffisance conceptuelle de ces outils se retrouve dans ce verbatim : « Je ne suis

toujours pas satisfait de ma représentation en tableau [en matrice]. Il faudrait avoir les cibles mieux représentées avec leurs compétences et leurs devices » [2] ; « Comment agréger la représentation? On retrouve ce problème de représentation avec les outils de click ou eyes tracking. Au niveau de l’agrégation des parcours on a des pastilles représentant les points les plus cliqués ou regardés, c’est le clickmap. On a même la tentative de faire des trajectoires chaudes mais je reste assez dubitatif car les biais sont aussi importants que l’intérêt. Les outils de représentation sont rarement satisfaisants » [1].

Ces verbatim nous confortent dans notre choix de construire un nouvel artefact de représentation. Les outils utilisés sont tous anciens et ont été imaginés avant la révolution digitale des années 2000. Ils ne doivent pas être ignorés dans notre travail mais ils formeront la base de notre travail de création de l’artefact.