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Les ressources et les capacités au sein du parcours client

Section 2. Les ressources

1. Les ressources de l’entreprise

La notion de ressources est très présente dans la littérature managériale et se développe depuis 2006 en marketing management (Kozlenkova et al., 2014). Nous définissons, dans un premier temps, ressources et capacités en RBV (1.1) puis nous étudions les typologies de ressources de l’entreprise, avant d’observer celles qui sont disponibles pour le travail marketing et en distribution

en RBV (1.2) pour terminer par la présentation des ressources opérantes et opératoires en SDL (1.3).

1.1. Ressource et capacité : des termes équivoques en RBV

Comme l’approche par les ressources a été un courant très prolixe (Acedo et al., 2006) et qui s’est scindé en plusieurs branches, il a fallu attendre de nombreuses années pour voir les concepts de ressources (resources) et les capacités (capabilities) se stabiliser et validés par la communauté de chercheurs (Métais, 2004). Le terme ressource reste un terme équivoque et qui recouvre des réalités différentes suivant le courant qui l’utilise. Le terme de ‘ressource’ est souvent confondu avec celui de ‘capacité’.

Si l’on reprend les travaux de Makadok (2001), cités comme référence pour définir les notions de ressources et de capacités (Acedo et al., 2006; Ambrosini et al., 2009; Barney, 1991), la distinction était déjà présente dans l’article de Amit et Schoemaker (1993). Les ressources sont définies comme suit :“The firm's Resources will be defined as stocks of available factors that are owned

or controlled by the firm. Resources are converted into final products or services by using a wide range of other firm assets and bonding mechanisms such as technology, management information systems, incentive systems, trust between management and labor, and more”, alors que les

capacités sont:“Capabilities, in contrast, refer to a firm’s capacity to deploy Resources, usually

in combination, using organizational processes, to affect a desired end. They are information- based, tangible or intangible processes that are firm-specific and are developped over time through complex interactions among the firm’s Resources. They can abstractly be thought of ‘intermediate goods’ generated by the firm to provide enhanced productivity of its Resources, as well as strategic flexibility and protection for its final product or service”.

Selon Makadok (2001), la capacité se distingue de la ressource par plusieurs éléments :

- La ressource, qu’elle soit tangible ou intangible est un actif observable et définissable facilement alors que la capacité est un processus organisationnel fondé sur des interactions multiples d’agents au sein d’une organisation ;

- La capacité est spécifique à une firme et est intégrée dans l’organisation au sein de processus alors que la ressource n’est pas spécifique. Ainsi, la capacité est difficilement transférable d’une entreprise à une autre (Teece et al., 1997) ;

- La capacité est un moyen d’augmenter la productivité d’un regroupement de ressources détenu par l’entreprise ;

- La capacité est fondée dans le temps et non achetée et le rôle du manager est central dans la construction de la capacité.

On retrouve cette distinction dans les travaux de Javidan (1998) qui considère que “ Each

corporation has a bundle of resources, but not every firm can put its resources into best use. Companies vary in how they leverage their resources. Capabilities refer to exploit its resources. They are the second level in the hierarchy and consist of a series of business processes and routines that manage the interaction among its resources”. Selon Javidan, la capacité est l’association d’une routine et de processus permettant de manager les ressources. La notion de routine indique que le procédé est répétitif et codifié par l’organisation ou/et par le manager. Il existe de nombreuses catégorisations de ressources au sein de l’approche par les ressources. Pour résumer les différents points de vue, on peut reprendre le travail d’Arrègle (1995):

Auteurs Concepts clés

(Wernerfelt, 1989) 3 catégories : actifs « fixes » ayant des capacités à long terme (usines, équipements, employés ayant une formation spécifique…), les « blueprints » ayant des capacités illimitées (brevet, marques, réputation….), les « effets d’équipe » ou routines.

(Barney, 2001) 3 catégories : physiques, humaines et organisationnelles (Spender et Grant,

1996)

6 catégories : financières, physiques, humaines, technologiques, organisationnelles et la réputation.

(Black et Boal, 1994)

2 catégories : les ressources « limitées » (réseau simple, facilement appréhendables, ne permettant pas de générer des avantages concurrentiels durables) et les ressources « systèmes » (réseau complexe, générant des avantages concurrentiels durables)

(Miller et Shamsie, 1996)

2 catégories et 2 sous-catégories : ressources fondées sur la propriété ou sur la connaissance selon leur caractéristique « discrète » (contrats exclusifs ou encore les savoir-faire techniques) ou « systémique » (savoir-faire liés à des équipes, des organisations des réseaux de distribution….)

Tableau 2. Typologie des ressources d’après Arregle, 1995

La création de typologies de ressources reste floue puisque on peut répertorier jusqu’à 26 ressources différentes4 dans 32 articles de recherche (Newbert, 2007). Ces typologies, trop générales, doivent être complétées par une réflexion spécifique sur les ressources en marketing et dans le secteur de la distribution.

1.2. Les ressources en marketing et en distribution en RBV

Depuis 1998, il existe plusieurs articles de recherche qui cherchent à définir des typologies de ressources en marketing (Hooley et al., 1998; Morgan, 2012; Srivastava et al., 1998). Nous

4 Human capital, Knowledge, Experience, Social capital, Innovation, Reputation, Service climate, Economies of scale, Financial, Culture, Physical, Entrepreneurial, Customer-related, Organizational, Racial diversity, Top management team, Property-based, Business, Environmental performance, Intangible, Managerial, Price, Tangible, Work–family policy, Technological, Tenure

décidons de nous emparer du travail de Morgan (2012) car c’est le plus complet et le plus détaillé. Il propose neuf types de ressources en marketing, qui sont des ressources spécifiques au travail marketing mais aussi accessibles pour le département marketing. Ils considèrent que ces ressources sont le socle premier nécessaire à la constitution de capacités marketing de l’entreprise.

Ressources Définition Exemples

Ressources de savoir tacite

Connaissances implicites participant du savoir-faire.

Sélections de créations publicitaires ou insight d’un chef de marque concernant l’essence de la marque qu’il gère Ressources

physiques

Actifs tangibles Magasins, mobiliers mais aussi

l’appareil productif qui permet de créer des produits de qualité

Ressources réputationnelles

Résultat de nombreuses actions marketing et de communication qui permettent de développer la

réputation de la firme

Notoriété et image de marque de l’entreprise (corporate et marque) ainsi que sa « brand equity »

Ressources humaines

Toutes les personnes intégrées dans le processus marketing, en y intégrant leurs compétences personnelles et leurs savoirs

Equipe marketing et personnel en front- office qui délivre de la valeur aux clients

Ressources organisationnelles

Caractéristiques de l’organisation Systèmes organisationnels formels et informels de la société, des systèmes de communications, structure et culture Ressources

financières

Budget alloué au département marketing pour investir

Budget de communication, de

promotion mais aussi de formation du personnel

Ressources informationnelles

Toute information importante pour le département marketing

Base de données, étude de marché, benchmarking concurrents, mix marketing, planning marketing Ressources

relationnelles

Relations nouées avec les parties prenantes sur le marché

Relations avec les clients, relations avec les entreprises de la chaine de valeur, relations avec les employés

Ressources légales Instruments légaux permettant de protéger les autres ressources

Propriété intellectuelle de la marque, brevet.

Tableau 3. Typologie de ressources marketing, d’après Morgan, 2012

Cette typologie est appliquée au département marketing. Elle intègre les ressources humaines et relationnelles, et permet de prendre en compte les compétences des salariés de front-office. Nous complétons ce travail académique par les travaux liant ressources et secteur du commerce afin de vérifier si les ressources énumérées dans la typologie de Morgan sont applicables à notre objet de recherche. Nous n’avons pas trouvé d’étude sur l’analyse des ressources au sein des canaux de distribution. Nous avons décidé de reprendre la typologie de ressources marketing et de l’enrichir avec les ressources citées dans des articles sur le multi-ou le cross-canal. Cela nous

permet de faire apparaître un type de ressource supplémentaire : les ressources technologiques. Nous faisons ce choix, car les ressources technologiques regroupent des ressources physiques technologiques (matériel informatique) mais aussi des ressources légales (logiciels) et forment un ensemble cohérent. Nous présentons ci-dessous un tableau synthétique rapprochant la typologie de Morgan (2012) avec la littérature sur la distribution et l’expérience client. Cette pratique académique est courante dans les articles empiriques en RBV (Cui et Pan, 2015).

Ressources Littérature académiques sur les ressources en distribution Ressources de

savoir tacite

Sélections de créations publicitaires (Morgan, 2012), capacité de modifier l’architecture des canaux (refaire l’ergonomie du site Internet marchand par exemple dans Zhuang et Lederer, 2006), compréhension de l’expérience client vécue passée (Verhoef et al., 2009)

Ressources physiques

Magasins, mobiliers (Morgan, 2012), assortiments et canaux (Verhoef et Lemon, 2013), localisation géographique des magasins (Müller- lankenau et al., 2004), services annexes aux clients (Müller-Lankenau et al., 2006), services cross-canal (click and collect) (Cao et Li, 2015) Ressources

réputationnelles

Notoriété et image de marque de l’entreprise (Morgan, 2012) visibilité sur Internet (Zhuang et Lederer, 2006)

Ressources humaines

Personnel en front-office (Morgan, 2012) compétences des équipes IT (Müller-lankenau et al., 2004) compétences des personnels en cross- canal (Cao et Li, 2015)

Ressources organisationnelles

Culture IT du personnel en front-office (Zhuang et Lederer, 2006), flexibilité et adaptabilité des outils IT du personnel de l’entreprise (Zhuang et Lederer, 2006), reporting de la performance du canal (Zhuang et Lederer, 2006), structuration de l’entreprise / canaux (Müller-lankenau et al., 2004), gouvernance des canaux (franchise ou intégré) (Müller-Lankenau et al., 2006), gouvernance des ressources IT (Müller-Lankenau et al., 2006) Ressources financières Budget (Morgan, 2012) Ressources informationnelles

Base de données client (Hooley et al., 1998) Ressources

relationnelles

Relation avec les clients (Morgan, 2012), gestion de communautés virtuelles (Zhuang et Lederer, 2006), outils de marketing direct (Verhoef et al., 2010)

Ressources légales Propriété intellectuelle de la marque, brevet (Morgan, 2012), limitation des ressources technologiques par la contrainte légale (protection de la vie privée par exemple Müller-Lankenau et al., 2006)

Ressources technologiques et IT (Zhuang et Lederer, 2006)

Canal Internet et mobile (Okazaki, 2013) Plateforme CRM (Verhoef et al., 2010)(Wilson et Daniel, 2007)

Tableau 4. Ressources présentes dans les canaux de distribution et de commerce cités dans les travaux académiques

Volle et Moati (2010) ajoutent que les ressources des distributeurs ont quelques spécificités : - Les ressources réputationnelles sont très importantes et très développées ;

- Les ressources informationnelles des clients sont aussi hautement stratégiques et très étendues (données de cartes de fidélité, achats croisés…) ;

- Les ressources humaines en terme d’animation de points de vente sont conséquentes ; - Les ressources physiques sont très lourdes à gérer car les assortiments peuvent être très

profonds.

De façon parallèle, en SDL, une réflexion sur les ressources de l’entreprise a été développée.

1.3. Les ressources opérantes et opératoires de l’entreprise en Service Dominant

Logic (Vargo et Lusch, 2004)

Lorsqu’on étudie le concept du Service Dominant Logic, il peut apparaître que ce dernier a de nombreux points de convergence avec notre problématique de recherche.

A la fin des années 1990 et début 2000, plusieurs auteurs défendent l’idée que le client n’est pas seulement un individu avec des besoins à satisfaire mais un agent agissant avec des compétences et qui peut cocréer de la valeur et/ou de l’expérience (Prahalad et Ramaswamy, 2004). Cette cocréation doit se réaliser au sein de réseaux d’entreprises et de personnes créant une constellation de valeur. L’information est alors découplée de l’acte transactionnel (Normann et Ramirez, 1993). Souhaitant abandonner le marketing néo-classique, Vargo et Lush, dès 2004, créent une nouvelle vision du marketing fondée sur l’échange de services et non plus de biens. Les services sont alors définis comme : « L’application de compétences spécialisées (aptitudes et savoir) au travers

d’actions, de processus et de performances, bénéficiant à une autre entité ou à l’entité considérée elle-même » (Vargo et Lusch, 2004: 2). Ils définissent les ressources opérantes (operant resource)

de l’entreprise, que sont les compétences des ressources humaines, les processus organisationnels, les ressources informationnelles sur les marchés et les clients et ils les distinguent des ressources opératoires (operand resource), qui correspondent aux biens et ressources matérielles. Lors de l’activité de l’entreprise et de la rencontre avec le client, une cocréation de services au-delà des produits échangés va s’établir. En 2008, Madhavaram et Hunt, considèrent que les ressources opérantes basiques ainsi que ressources opératoires sont équivalentes à la typologie de ressources en RBV de Barney (1991) présentée plus haut.

En 2012, Marc Filser considère que cette théorie pouvait être appliquée au secteur de la distribution et porteuse de sens (Filser, 2012) : « Ce renouvellement théorique est de nature à

enrichir la lecture théorique de l’organisation du canal esquissée par le courant de la stratégie fondée sur les ressources, à travers un triptyque ressources-activités-valeur qui pourrait à la fois

s’appliquer à chaque dyade inter organisationnelle du canal (par exemple la relation entre un producteur et un prestataire logistique), mais aussi à l’ensemble des interactions au sein de la constellation que constitue le canal. Il serait particulièrement intéressant de tester la capacité de ce cadre théorique à améliorer notre compréhension de la problématique inépuisable de l’analyse de la productivité dans les canaux ». Ainsi la logique du service dominant permet de réfléchir à

l’apport des ressources par les différentes parties et permet de situer le distributeur au centre d’une constellation d’acteurs créateurs de valeur (prestataires logistiques, producteurs…) où les flux d’informations sont plus stratégiques que les flux de produits. Cependant, peu de travaux empiriques ont été réalisés et les conclusions sont rarement convergentes avec cette théorie. Par exemple une recherche sur la distribution française montre un rapprochement très limité entre les propositions de Vargo et Lush et les pratiques des distributeurs (Munos, 2012).