• Aucun résultat trouvé

Les orangs-outans de Sumatra 116 

Dans le document en fr (Page 117-122)

CHAPITRE III : LES ENJEUX DE PROTECTION DES ORANGS-OUTANS COMME UN

1. Les orangs-outans de Sumatra et leur territoire 116 

1.1. Les orangs-outans de Sumatra 116 

1.1.1. La proximité de l’orang-outan et de l'humain

Les orangs-outans (Pongo spp.), les chimpanzés (Pan troglodytes), les bonobos (Pan paniscus), les gorilles (Gorilla spp.) et les humains (Homo sapiens) appartiennent tous à la famille des grands singes (Hominidae), qui fait elle-même partie de l'ordre des primates, qui est dans la classe des mamifères. Ils partagent tous au moins 97% de leur ADN331 avec le génome humain moderne. Les ancêtres des orangs-outans et ceux de la lignée humaine se sont séparés depuis environ 14 millions d’années332. Ils se sont différenciés en deux espèces distinctes, l’orang-outan de Sumatra (Pongo abelii) et l’orang-outan de Bornéo (Pongo

       331

Acide désoxyribonucléique (ADN), contenu des chromosomes dans les noyaux de la cellule. 332

CHEN F.C. LI W.H. Genomic divergences between humans and other hominoids and the effective population size of the common ancestor of humans and chimpanzees. The American Journal of Human Genetics. 2001, 68, p.444-456.

pygmaeus), vivant respectivement sur l’île de Sumatra et sur l’île de Bornéo encore nommée Kalimantan333.

En raison de leur proximité évolutive avec les êtres humains, les orangs-outans partagent beaucoup de leurs caractéristiques biologiques et sociales. En particulier, ils démontrent des traits culturels, c’est-à-dire des comportements appris et transmis de génération en génération, tout comme la culture des sociétés humaines334. C’est dans les forêts côtières tourbeuses d’Aceh qu’une forme de culture originale a été observée pour la première fois au milieu des années 1990, plus exactement à Suaq Balimbing335. Dans ces forêts, les orangs-outans fabriquent et utilisent des outils avec les branches des arbres pour extraire le miel d’abeilles logées dans des troncs d’arbre ou pour prélever des graines de certains fruits, comme ceux des du genre neesia (Neesia spp.), impossibles à casser. Dans d’autres aires géographiques, les orangs-outans n’ont pas découvert ces techniques et sont donc incapables d’extraire le miel ou les graines. Ces exemples documentés dans la littérature scientifique336 font partie d’une liste plus longue de comportements géographiques spécifiques. Parmi ceux-ci on compte la fabrication de gants en feuilles et la technique de fabrication du refuge que les orangs-outans établissent chaque soir dans la canopée pour dormir.

Leur grande capacité cognitive, souvent nommée « intelligence » par anthropocentrisme, serait un des facteurs clefs qui expliquerait le développement de cette culture. En effet, parmi tous les primates non humains, l’orang-outan possède les plus grandes facultés cognitives. Il démontre une capacité à la duperie, une relative empathie pour ses congénères, l’aptitude aux manipulations complexes et à l’utilisation d’outils dans la nature, et enfin la capacité de reconnaissance dans un miroir337.

       333

GROVES C. Primate Taxonomy. Washington, Smithsonian Institution Press. 2001. 334

VAN SCHAIK C., ANCRENAZ M., BORGEN G., GALDIKAS B., KNOTT C., SINGLETON I., SUZUKI A., UTAMI S., MERRILL M. Orangutan cultures and the evolution of material culture. Science. 2003, 299, p.102-105 ;

VAN SCHAIK C., ANCRENAZ M., DJOJOASMORO R., KNOTT C., MORROGH-BERNARD H., NUZUAR, ODOM K., UTAMI-ATMOKO S., VAN NOORDWIJK M. Orangutan cultures revisited in: WICH S., UTAMI-ATMOKO S., MITRA SETIAT., VAN SCHAIK C. (eds). Orangutans: Geographic Variation in

Behavioural Ecology and Conservation. New York, Oxford University Press. 2009, p.299-309.

335

VAN SCHAIK C. et al. Orangutan cultures revisited. Op. cit. 336

VAN SCHAIK C. et al. Orangutan cultures and the evolution of material culture. Op. Cit.; VAN SCHAIK C. et al., Orangutan cultures revisited. Op. Cit.

337

DEANER R., VAN SCHAIK C., JOHNSON V. Do some taxa have better domain-general cognition than others? A meta-analysis of nonhuman primate studies. Evolutionary Psychology. 2006, 4, p.149-196.

1.1.2. La population historique et la situation actuelle

Il y encore 8000 ans, l’aire de répartition des orangs-outans comprenait un vaste territoire s’étendant du nord de la Chine jusqu’à l’île indonésienne de Java338. Aujourd’hui l’orang- outan se rencontre uniquement dans la partie nord-ouest de l’île de Sumatra et dans des territoires morcelés de l’île de Bornéo.

Il y aurait environ actuellement 6600 orangs-outans de Sumatra dans leur habitat naturel339. Au cours du XXe siècle, la population se serait réduite de 87% 340. L’orang-outan de Sumatra est classé dans la catégorie « En danger critique d’extinction » sur la Liste rouge de l’UICN341. Il figure aussi dans le top 25 des primates les plus menacés, établi en 2008 342. Si la tendance actuelle persiste, l’orang-outan de Sumatra pourrait bien être le premier grand singe à s’éteindre dans la nature, selon les articles des primatologues faisant référence343 et repris tels quels dans les publications des Nations Unies344.

La population de l’orang-outan de Bornéo est quant à elle bien plus importante. Elle se situerait à environ 54 000 individus345. Mais elle est aussi en déclin rapide. Elle est inscrite dans la catégorie « En danger d’extinction » sur la Liste rouge de l’UICN.

1.1.3. La biologie et la vulnérabilité

Comme son nom l’indique, l’orang-outan de Sumatra - personne (orang) de la forêt (hutan) en malais - ne se rencontre que dans la canopée des forêts tropicales humides de l’île de Sumatra. C’est la plus grande espèce de mammifère arboricole sur la planète : les femelles

       338

JABLONSKI N., WHITFORT M., ROBERTS-SMITH N., QUINQI X. The Influence of life history and diet on the distribution of Catarrhine primates during the Pleistocene in eastern Asia, Journal of Human Evolution. 2000, 39, p.131-157.

339

WICH S., MEIJAARD E., MARSHALL A., HUSSON S., ANCRENAZ M., LACY R., VAN SCHAIK C., SUGARDJITO J., SIMORANGKIR T., TAYLOR-HOLZER K., DOUGHTY M., SUPRIATNA J., DENNIS R., GUMAL M., KNOTT C., SINGLETON I. Distribution and conservation status of the orangutan (Pongo spp.) on Borneo and Sumatra: How many remain? Oryx. 2008, 42, p.329-339.

340

RIJKSEN H., MEIJAARD E. Our Vanishing Relative: The Status of Wild Orangutans at the Close of the

Twentieth Century. Wageningen, Tropenbos Publications. 1999.

341

UICN. IUCN Red List of Threatened Species. Accédé sur http://www.iucnredlist.org. Gland, Suisse. 2012 342

MITTERMEIER R., WALLIS J., RYLANDS A., GANZHORN J., OATES J., WILLIAMSON E., PALACIOS E., HEYMANN E., KIERULFF C., YONGCHENG L., SUPRIATNA J., ROOS C., WALKER S., CORTÉS-ORTIZ L., SCHWITZER C. (Eds). Primates in Peril: The World’s 25 Most Endangered Primates

2008-2010. IUCN/SSC Primate Specialist Group (PSG), International Primatological Society (IPS) and

Conservation International (CI), Arlington, Virginia. 2009. 343

SINGLETON I., WICH S., HUSSON S., STEPHENS S., UTAMI S., LEIGHTON M., ROSEN N., TRAYLOR-HOLZER K., LACY R., BYERS O. (eds.). Orangutan Population and Habitat Viability

Assessment: Final Report. IUCN/SSC Conservation Breeding Specialist Group, Apple Valley MN. 2004.

WICH S. et al. Distribution and conservation status of the orangutan. Op. Cit. 344

NELLEMANN C., MILES L., KALTENBORN B., VIRUTE M. and AHLENIUS H. (Eds). The Last Stand of

the Orangutan- State of Emergency: Illegal Logging, Fire and Palm Oil in Indonesia's National Parks. GRID-

Arendal Norway, UNEP and UNESCO. 2007. 345

adultes pèsent environ 35 kg et les mâles environ 80 kg346. Ils peuvent vivre plus de 50 ans dans la nature347.

Les orangs-outans ont besoin d’un régime diététique varié. Ils se nourrissent de manière prédominante de fruits, en particulier ceux des ficus (Ficus spp.), mais aussi de feuilles, de fleurs, de l’intérieur de l’écorce des arbres, d’insectes et occasionnellement même de viande348. En différentes occasions, l’orang-outan de Sumatra a été surpris mangeant un loris paresseux (Nycticebus coucang), un petit primate nocturne349.

L’orang-outan est extrêmement vulnérable aux perturbations anthropiques, comme la destruction de son habitat forestier ou l’élimination physique par la chasse ou les maladies350, ceci pour trois raisons biologiques combinées : sa distribution est restreinte aux forêts de basse altitude, il a besoin de grandes étendues de forêts contigües pour vivre et son taux de reproduction est exceptionnellement lent. Ces trois raisons sont détaillées ci-dessous.

Tout d’abord, la population de l’orang-outan de Sumatra est restreinte aux forêts tropicales de basse altitude351. La plupart des orangs-outans de Sumatra vivent sous 500 mètres d’altitude. Ils ne s’aventurent que rarement à plus de 1500 mètres d’altitude. Ce sont plus particulièrement ces forêts de basse altitude qui sont depuis trois décennies colonisées par l’homme pour être converties en terres agricoles, et tout particulièrement pour la culture du palmier à huile, une plante qui a les mêmes besoins pédoclimatiques (type de sol, température et humidité) que les forêts abritant les orangs-outans.

       346

SMITH R., JUNGERS W. Body mass in comparative primatology. Journal of Human Evolution. 1997, 32, p.523-559.

347

WICH S., UTAMI-ATMOKO S., MITRA SETIA T., RIJKSEN H., SCHÜRMANN C., VAN HOOFF J., VAN SCHAIK C. Life history of wild Sumatran orangutans (Pongo abelii). Journal of Human Evolution. 2004, 47, p.385-398.

348

MORROGH-BERNARD H., HUSSON S., KNOTT C., WICH S., VAN SCHAIK C., VAN NOORDWIJK M., LACKMAN-ANCRENAZ I., MARSHALL A., KANAMORI T., KUZE N., SAKONG R. Orangutan activity budgets and diet. A comparison between species, populations and habitats. In: WICH S., UTAMI- ATMOKO S., MITRA SETIA T., VAN SCHAIK C. (eds). Orangutans: Geographic Variation in Behavioural

Ecology and Conservation. Oxford University Press, New York. 2009, p.119-133.

RUSSON A., WICH S., ANCRENAZ M., KANAMORI T., KNOTT C., KUZE N., MORROGH-BERNARD H., PRATJE P., RAMLEE H., RODMAN P., SAWANGA. A., SIDIYASA K., SINGLETON I., VAN SCHAIK C., Geographic variation in orangutan diets. In: WICH S., UTAMI-ATMOKO S., MITRA SETIA T., VAN SCHAIK C. (eds). Orangutans: Geographic Variation in Behavioural Ecology and Conservation. New-York, Oxford University Press. 2009, p.135-155.

349

UTAMI S., VAN HOOFF J. Meat-eating by adult female Sumatran orangutans (Pongo pygmaeus abelii).

American Journal of Primatology. 1997, 43, p.159-165.

350

Les orangs-outans sont sensibles aux mêmes maladies que l’homme. 351

MARSHALL A., LACY R., ANCRENAZ M., BYERS O., HUSSON S., LEIGHTON M., MEIJAARD E., ROSEN N., SINGLETON I., STEPHENS S., TRAYLOR-HOLZER K., UTAMI-ATMOKO S., VAN SCHAIK C., WICH S. Orangutan population biology, life history and conservation. In: WICH S., UTAMI-ATMOKO S., MITRA SETIA T., VAN SCHAIK C. (eds). Orangutans : Geographic Variation in Behavioural Ecology and

Ensuite, toute population viable à long terme d’orangs-outans a besoin d’un bloc forestier d’au moins 500 km² 352. Ceci s’explique par un mode de vie semi-solitaire. Les femelles sont territoriales, avec un territoire s’étendant sur au moins 1 km² et les mâles semi-nomades, avec un territoire pouvant atteindre plus de 100 km² 353. En conséquence, la densité moyenne des populations d’orangs-outans est très faible, environ un individu par km². Cette densité peut néanmoins augmenter momentanément à Sumatra jusqu’à près d’une dizaine d’individus par km² en période exceptionnelle d’abondance de fruits354.

Enfin, le taux de reproduction des orangs-outans est exceptionnellement lent. Une femelle orang-outan ne donne naissance que tous les huit ou neuf ans355. En raison de leur mode de vie semi-solitaire, la mère doit tout apprendre au nouveau-né, ce qui nécessite un temps long de plusieurs années. En conséquence, les populations d’orangs-outans sont susceptibles d’extinction même avec de très bas taux de mortalité. La perte de 1% des femelles chaque année peut placer une population sur une trajectoire irréversible d’extinction356.

1.1.4. Le rôle de l’orang-outan dans l’écosystème

Les premières recherches scientifiques se sont surtout consacrées à la biologie et au comportement de l’orang-outan dans le but de comprendre l’espèce humaine et son évolution. En conséquence, les quelques données sur le rôle de l’orang-outan dans la construction et le maintien de son écosystème forestier n’ont été publiées que très récemment. L’appréciation du rôle de l’orang-outan dans son écosystème relève également de l’analyse croisée des

       352

Ibid. 353

SINGLETON I., KNOTT C., MORROGH-BERNARD H., WICH S., VAN SCHAIK C. Ranging behaviour of orangutan females and social organization. In: WICH S., UTAMI-ATMOKO S., MITRA SETIA T., VAN SCHAIK C. (eds). Orangutans: Geographic Variation in Behavioural Ecology and Conservation. New York, Oxford University Press. 2009, p.205-213.

354

VAN SCHAIK C., PRIATNA A., PRIATNA D. Population estimates and habitat preferences of orangutans based on line transect of nests. In: The Neglected Ape. NADLER R., GALDIKAS B., SHEERAN L., ROSEN N. (eds). Plenum Press, New York. 1995, p.109-116 ;

HUSSON S., WICH S., MARSHALL A., DENNIS R., ANCRENAZ M., BRASSEY R., GUMAL M., HEARN A., MEIJAARD E., SIMORANGKIR T., SINGLETON I. Orangutan distribution, density, abundance and impacts of disturbance. In: WICH S., UTAMI-ATMOKO S., MITRA SETIA T., VAN SCHAIK C. (eds).

Orangutans: Geographic Variation in Behavioural Ecology and Conservation. New York, Oxford University

Press. 2009, p.77-96. 355

WICH S., DE VRIES H., ANCRENAZ M., PERKINS L., SHUMAKER R., SUZUKI A., VAN SCHAIK C. Orangutan life history variation. In: WICH S., UTAMI -ATMOKO S., MITRA SETIA T., VAN SCHAIK C. (eds). Orangutans: Geographic Variation in Behavioural Ecology and Conservation. New York, Oxford University Press. 2009, p.65-75.

356

MARSHALL A., ANCRENAZ M., BREARLEY F., FREDRIKSSON G., GHAFFAR N., HEYDON M., HUSSON S., LEIGHTON M., MCCONKEY K., MORROGH-BERNARD H., PROCTOR J., VAN SCHAIK C., YEAGER C., WICH S. The effects of forest phenology and floristics on populations of Bornean and Sumatran orangutans. WICH S., UTAMI-ATMOKO S., MITRA SETIA T., VAN SCHAIK C. (eds).

Orangutans: Geographic Variation in Behavioural Ecology and Conservation. New York, Oxford University

études avec les grands singes africains et du bon sens empirique : il est le plus gros animal arboricole au monde et il a besoin d’un régime alimentaire varié.

Mangeant des fruits, et en particulier certains fruits peu consommés par d’autres espèces, les orangs-outans transportent les graines sur de longues distances et participent à la dispersion des plantes. Les arbres qui produisent les graines les plus grosses sont le plus souvent ceux dont le bois est le plus dense, et donc ceux contenant le plus de carbone357. Toute graine ingérée par un orang-outan est éliminée accompagnée d’une petite pile de fertilisant. L’élimination des orangs-outans des forêts conduirait donc à une dispersion moindre, voire nulle de ces grosses graines, ce qui changerait la structure de l’écosystème en réduisant le nombre de grands arbres et provoquerait la réduction du stock de carbone.

L’orang-outan jouerait aussi un rôle actif pour préserver l’écosystème forestier en bonne santé. Chaque jour, il construit un ou plusieurs nids en haut des arbres. Ces nids sont souvent réutilisés par d’autres mammifères, par exemple des ours, ou par des invertébrés, comme les fourmis et les termites. Les orangs-outans abattent fréquemment des grands arbres morts restés debout ou font tomber des branches mortes. Ceci crée des éclaircies naturelles qui facilitent la régénération forestière spontanée358.

Dans le document en fr (Page 117-122)

Outline

Documents relatifs