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L’orang-outan de Sumatra comme indicateur de la biodiversité 166 

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CHAPITRE III : LES ENJEUX DE PROTECTION DES ORANGS-OUTANS COMME UN

2. Construction sociale de l’espèce « orang-outan de Sumatra », du comptage des individus,

2.6. L’orang-outan de Sumatra comme indicateur de la biodiversité 166 

En plus des indicateurs centrés sur l’orang-outan de Sumatra (nombre, aire de répartition, sites prioritaires, statut) qui forment un ensemble rhétorique cohérent visant à protéger cette espèce, un nouvel argumentaire a récemment émergé avec l’essor du référentiel de gestion. Il s’agirait de conserver l’orang-outan de Sumatra comme un bio-indicateur de la santé de la forêt. Ceci donne une argumentation plus universaliste, portée par les primatologues, qui consisterait à protéger les orangs-outans et leurs forêts pour les services écosystémiques qu’ils fourniraient pour la biodiversité en général et l’homme en particulier.

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C. van Schaik, un primatologue néerlandais à la tête du département d’anthropologie à l’université ETH de Zurich, est le principal auteur de la première publication. Son article est publié dans Oryx, le magazine de l’association de conservation britannique Fauna & Flora International. D. Gaveau, un écologiste français ayant étudié essentiellement en Grande-Bretagne, est, en 2007, l’employé de l’association de conservation World Conservation Society pour lequel il réalise la seconde publication que cette association a ensuite rendue disponible à tous via Internet.

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MITTERMEIER R. et al. Primates in Peril. Op. Cit. p.65. 537

MEIJAARD E., WICH S. Putting orang-utan population trends into perspective. Op. Cit. 538

MITTERMEIER R., SCHWITZER C., RYLAND A., TAYLOR L. CHIOZZA F., WILLIAMSON E., WALLIS J. (eds.) Primates in Peril: The World’s 25 Most Endangered Primates 2012– 2014. IUCN/SSC Primate Specialist Group (PSG), International Primatological Society (IPS), Conservation International (CI), and Bristol Conservation and Science Foundation, Bristol. 2012.

En effet, la conservation de la « biodiversité » en général est un concept qui se révèle sans prise sur la réalité. Considérer l’orang-outan comme un indicateur de cette diversité biologique permet le passage à une réalité tangible.

2.6.1. La conservation de la biodiversité comme un concept sans prise sur la réalité Comme expliqué dans la section 1, les forêts tropicales de basse altitude qui forment l’habitat de l’orang-outan sont d’une grande diversité animale et florale, incluant des espèces protégées comme le rhinocéros de Sumatra, le tigre de Sumatra et l’éléphant de Sumatra. Mais, cette « biodiversité » est impalpable. Bien sûr, il y a une définition officielle de la CDB parlant de la diversité des gènes, des espèces et des écosystèmes. Tous les acteurs la connaissent relativement bien. Certains s’y réfèrent d’ailleurs directement, comme cet avocat travaillant pour le PNUE :

« Je ferais référence à la Convention sur la biodiversité. La biodiversité est simplement le raccourcissement de deux mots, "diversité" et "biologique", mais tout le monde parle de biodiversité. Donc la biodiversité prend une approche écosystémique et respecte toute partie d’un écosystème. C’est le monde entier, toute la terre, qui est en équilibre avec toutes sortes d’organismes et d’espèces… Bien sûr, la diversité biologique dans le contexte de la CDB se rapporte aussi à la diversité génétique »539.

Mais c’est une définition générale abstraite, comme l’explique un représentant du secteur privé :

« La biodiversité, c’est un peu comme le développement durable d’une certaine façon, c’est une auberge espagnole, chacun y met ce qu’il y apporte »540.

Comme l’explique bien un directeur de l’UNESCO, le concept de biodiversité

« est problématique pour une action ciblée. C’est OK pour les négociations. Ce sont des terminologies qui sont utiles pour le niveau politique pour les négociations, les manœuvres politiques. Mais, ces terminologies abstraites, à moins qu’elles ne soient remises dans leur contexte et leurs composants identifiés, rendent très difficile l’action ciblée »541.

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Entretien avec une avocate au PNUE, le 2012-02-06 “I would refer to CBD convention. Biodiversity is just a

shortening of two words: biological diversity, but everyone talks about biodiversity... So biodiversity is looking from ecosystem approach and respecting every part of an ecosystem. It's that the whole world, the whole Earth is balancing on all kind of organisms and species and plants and they all form a variety of ecosystems. Of course biological diversity in the CBD contexts also refers to genetic recourses”.

540

Entretien avec un responsable de plantation pour une multinationale de plantation de palmier à huile à large échelle, le 2012-02-28

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Entretien avec un directeur de l’UNESCO, le 2012-05-11 “It is problematic for focusing action. It’s ok for

negotiations. Political terminologies are useful on political level for negotiations and maneuvering whereas abstract broad term terminologies, unless it’s contextualized and components are identified, it is very difficult to focus action”

En d’autres termes, le concept abstrait et international de biodiversité est important pour établir un accord politique global. Mais, sur le terrain, il doit être contextualisé au niveau local, par des composants clairement identifiés. Sinon, il devient inopérant, voire paralyse l’action. Ainsi que le note un responsable de l’International Finance Cooperation,

« ce mot [la biodiversité], il crispe les gens... Cela leur donne des boutons, ils ne peuvent plus supporter ce mot… Parce qu’il est porteur de complexité et il renvoie ton interlocuteur à sa propre ignorance. Et ça franchement, ce n’est pas de la bonne communication. C’est vrai, et maintenant c’est trop tard. Il faudra trouver autre chose. On continue de l’appeler comme cela, mais on essaie de ne pas être trop arrogant »542.

2.6.2. L’orang-outan de Sumatra comme bio-indicateur de la santé de la forêt tropicale Tout le monde s’accorde à dire que la forêt équatoriale de basse altitude est d’une biodiversité exceptionnelle. Cependant, le terme abstrait de biodiversité ne permet pas de la connaitre comme une réalité tangible en un endroit précis. L’orang-outan de Sumatra remplit ce manque. La plus récente publication de GRASP543 superpose la distribution de l’orang-outan de Sumatra avec la faune et la flore menacée, ainsi qu’avec les différents services écosystémiques que cet habitat rend à l’homme.

Tous les acteurs interrogés s’accordent à dire que la présence de l’orang-outan de Sumatra est l’indicateur d’un écosystème riche en biodiversité. Comme l’explique un responsable d’une organisation de conservation qui résume assez bien le sentiment général :

« Si vous protégez l’habitat de l’orang-outan, cela veut dire que vous conservez un habitat qui va conserver d’autres espèces aussi »544.

Les acteurs comprennent que l’orang-outan partage un écosystème forestier avec d’autres espèces rares. Mais certains pensent aussi qu’ils jouent un rôle actif dans le maintien de l’écologie de la forêt. Ainsi, un ex-sénateur d’Aceh explique :

« Ils [les orangs-outans] rendent le sol fertile et en même temps, ils disséminent les graines. Grâce aux orangs-outans, vous n’avez pas besoin de gens pour le faire »545. Ce rôle actif de l’orang-outan serait renforcé par son intelligence. Le responsable d’une association de développement local explique ainsi que

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Fonctionnaire à l’International Finance Corporation, entretien du 2011-11-28. 543

WICH S. et al., 2011. Orangutans and the economics. Op. Cit. 544

Directeur d'une association de conservation indonésienne -2011-11-22 “if you protect the habitat of the

orangutan, that means we will conserve the habitat that will automatically conserve the other species too”

545

Ex-Sénateur Ouest Aceh, entretien le 2011-11-19 “They make the soil fertile and at the same time they

« les orangs-outans ont l’intelligence qui fait qu’ils sont capables d’une certaine manière de prendre soin de leur environnement »546.

Les personnes s’accordent aussi pour affirmer que la destruction ou la perturbation de l’habitat de l’orang-outan a un impact direct sur leur population. Comme l’explique l’avocate du PNUE,

« l’empiètement des humains sur l’habitat aura des effets très clairs sur le nombre d’orangs-outans »547.

En résumé, toutes les catégories d’acteurs s’accordent à dire que l’orang-outan est comme une espèce emblématique548 et un indicateur d’une grande biodiversité549. Les acteurs vont généralement plus loin que simplement considérer l’orang-outan comme un bon indicateur d’une forêt riche en plantes et espèces animales. Les différents acteurs - comme les Nations Unies, les gouvernements, les organisations de conservation, le secteur privé lié à l’huile de palme - s’accordent à dire que ces forêts seraient aussi très importantes à protéger pour l’être humain lui-même. Ainsi, pour le responsable d’une organisation internationale de conservation :

« Quatre millions de personnes dépendent directement de l’écosystème Leuser [qui recouvre 80% de l’habitat des orangs-outans] pour leur service écosystémique tel que l’eau, la fertilité du sol, la forêt pluviale pour le carbone, en particulier la forêt tourbeuse. Et finalement tout le monde sur la planète [dépend de l’habitat de l’orang-outan pour le stock de carbone limitant les changements climatiques]»550.

Les industriels de l’agrobusiness sont d’accord sur ce dernier point, sauf qu’ils considèrent cette protection pour des raisons climatiques générales comme « un concept de riches »551, car en réalité les gens au niveau local vivent de la petite agriculture, et donc vont tendre à transformer ces forêts pour la petite agriculture sans pouvoir tenir compte de ses bénéfices globaux sur le long terme.

       546

Responsable de communication d’une organisation indonésienne de conservation, entretien le 2011-11-19 “The orangutans have the intelligence that make possible for them to somehow also care about their

environment”

547

Entretien avec une avocate au PNUE, le 2012-02-06 “the encroachment of the humans on that habitat will be

very clearly visible in the amount of orangutans”

548

Les acteurs parlent « d’iconic » ou « de flagship species » ou « de charismatic species ». 549

Les acteurs parlent « d’umbrella species ». 550

Directeur d’une organisation internationale de conservation spécifiquement travaillant sour l’orang-outan de Sumatra, entretien le 2012-02-07 “4 million people directly depend on Leuser ecosystem for their ecosystem

services such as water, soil fertility, rainforest for their carbon, especially the peat forest, and finally everybody on the planet”.

551

En conclusion, les primatologues ont repris à leur compte et porté le nouvel argument de l’importance de la conservation de l’orang-outan pour la biodiversité en général et les services écosystémiques pour l’être humain. Les différents acteurs sont très réceptifs à cette nouvelle approche qui s’inscrit bien dans le référentiel de gestion des écosystèmes dominant globalement. Elle permet aussi de faire le passage d’un indicateur polysémique de « biodiversité » à protéger sans prise sur la réalité, à un indicateur « orang-outan » clairement identifié.

2.7. Conclusion sur les effets d’imposition des indicateurs clefs définissant l’orang-outan

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