• Aucun résultat trouvé

L’aube optimiste de l’intervention à des fins humanitaires L’intervention pour protéger les Kurdes persécutés dans l’Irak de Saddam Hussein en

5.2 (R)Établir la paix libérale

6.2 Le développement de la légitimité de l’intervention à des fins humanitaires et les polémiques de sa pratique

6.2.1 L’aube optimiste de l’intervention à des fins humanitaires L’intervention pour protéger les Kurdes persécutés dans l’Irak de Saddam Hussein en

est la précurseure du développement normatif dont il est question ici. C’est le 5 avril de cette année-là que le Conseil de sécurité adopte la Résolution 688 (Conseil de sécurité

44 Voir notamment Wheeler (2000) pour le récit des cas de l’intervention de l’Inde au Pakistan ou du Vietnam

159

1991); cette résolution exige que l’Irak de Saddam Hussein mette un frein à la répression de villages kurdes dans les régions septentrionales du pays, répression qui aurait provoqué la fuite de deux millions de civils et une masse importante de réfugiés vers la Turquie (ICISS 2001b : 87). Bien qu’elle soit marquée par la division (les membres du Conseil de sécurité ont voté à 10 pour, 3 contre et 2 abstentions), la résolution est historique en ce qu’elle est la première à interpréter un conflit domestique comme une potentielle menace à la paix et la sécurité internationales. Wheeler résume : « [...] Resolution 688 and the safe havens altered the normative boundaries of legitimate intervention in international society. The significance of this resolution in setting a precedent for UN humanitarian intervention is that the Security Council recognized for the first time that a state's internal repression could have transboundary consequences that threatened 'international peace and security' » (Wheeler 2000 : 168).

Dans le fonctionnement de la politique globale, le Conseil de sécurité est le seul organe qui peut légalement autoriser une intervention armée dans un État souverain. C’est au Chapitre VII de la Charte des Nations unies que l’on trouve les deux circonstances pour lesquelles le Conseil de sécurité peut justifier une intervention qui va à l’encontre du principe de non- intervention. La première circonstance est celle de l’autodéfense, c'est-à-dire que le Conseil de sécurité peut autoriser un État à répondre militairement à une attaque perpétrée par un autre État. La seconde est que le Conseil de sécurité peut autoriser une intervention armée dans un État souverain s’il considère que la situation menace « la paix et la sécurité internationales ». En effet, la Charte précise que la principale responsabilité du Conseil de sécurité est le « maintien de la paix et de la sécurité internationales ». En adhérant à l’ONU, les États confient cette responsabilité au Conseil de sécurité (ONU 1945 : Chapitre V para. 24). La Résolution 688 est donc cruciale et se rapporte à la proposition de la CIISE. Nous avons vu que la légitimité de la RdP a été rendue conditionnelle à l’autorisation du Conseil de sécurité et que les commissaires l’ont identifiée, dans le vocabulaire de la guerre juste, comme l’« autorité appropriée ». Pour cela, il a fallu que le Conseil de sécurité en arrive à accepter l’idée qu’un conflit interne puisse être vue comme une menace à la paix et sécurité internationale.

160

La Somalie est un autre exemple qui permet de démontrer qu’il y a eu développement d’un contexte normatif où l’argument humanitaire permet de justifier une intervention militaire. L’éviction, en janvier 1991, du président somalien Mohammed Siad Barre a créé un vide politique que les Accords de Djibouti de juillet 1991 n’arrivent pas à combler. À partir de novembre, d’intenses combats font rage dans les rues de Mogadishu (ICISS 2001b : 94). En octobre 1992, le Secrétaire général Boutros-Ghali mentionne que 4,5 millions de Somaliens – soit environ les trois quarts de la population du pays – sont menacés de malnutrition sévère et de maladies qui s’y rattachent. La réponse de la communauté internationale face à la situation s’est déployée en plusieurs résolutions du Conseil de sécurité. En plus de la Résolution 746 (Conseil de sécurité 1992a), qui interprète le conflit comme une potentielle menace à la paix et la sécurité internationales, c’est la Résolution 794 (Conseil de sécurité 1992b) qui établit le précédent d’une autorisation du Conseil de sécurité à une intervention militaire justifiée exclusivement par des considérations humanitaires. La Résolution 794 stipule que : « [The Security Council] acting under Chapter VII of the Charter of the United Nations, authorizes the Secretary-General and Member States cooperating [...] to use all necessary means to establish as soon as possible a secure environment for humanitarian relief operations in Somalia » (Conseil de sécurité 1992b §10). Les États-Unis déploient dans ce contexte 28 000 soldats dans l’Opération « Restore Hope », aussi appelée la United Task Force (UNITAF). La mission de l’opération est d’assurer la distribution sécuritaire de l’aide internationale, à laquelle sont ajoutées de nouvelles tâches comme le désarmement des factions et de l’arrestation des commandants par la Résolution 814 (Conseil de sécurité 1993). À cela, ajoutons que la Résolution 794 a été adoptée à l’unanimité, contrairement à la Résolution 688 concernant la situation des Kurdes en Irak. Pour Wheeler, ceci est une preuve incontestable du développement normatif de l’intervention à des fins humanitaires. « There was none of the controversy over the legal competence of the Security Council to act in relation to Somalia that had characterized members' arguments in the Iraqi case. Nor was there any opposition to giving the USA a Chapter VII mandate for military enforcement action in Somalia, a groundbreaking decision by the Security Council given its previous reluctance to cross this normative Rubicon » (Wheeler 2000 : 173). L’intervention en Somalie en 1993 a sans doute été le pinacle de l’optimisme face aux possibilités de

161

l’intervention à des fins humanitaires – de Waal (2010 : 295) en parle comme le « hopeful dawn of humanitarian internationalism ». Elle est cependant devenue plus tard le symbole des risques associés à l’intervention à des fins humanitaires.