• Aucun résultat trouvé

l’Assemblée générale

Chapitre 4 – Façonner la légitimité de la CIISE – Capital symbolique et sens pratique

4.3 Le Conseil consultatif

La mise en place du Conseil consultatif a permis à la commission d’accumuler plus de prestige, tout en lui conférant, en théorie (je montre plus loin que les membres du Conseil consultatif n’ont pas joué un rôle important dans la commission), davantage de sens pratique de la politique globale. Il a été fondé par John Manley, successeur de Lloyd Axworthy comme ministre des Affaires étrangères du Canada en 2000. Axworthy reste cependant associé à la CIISE en présidant ce Conseil consultatif. Le Conseil consultatif est présenté comme suit :

Canada’s Minister of Foreign Affairs, the Honourable John Manley, appointed an international Advisory Board of serving and former foreign ministers and other eminent individuals to act as a political reference point for the ICISS. The Advisory Board was designed to help Commissioners ground their report in current political realities and assist in building the political momentum and public engagement required to follow up on its recommendations.

97

Le Conseil consultatif est composé de quinze éminents acteurs (voir Annexe II pour une liste exhaustive). Dix des quinze membres sont présentés comme des membres de gouvernements nationaux parmi lesquels huit avaient spécifiquement des tâches orientées vers la politique étrangère de leur pays. Un autre était la directrice générale de la Banque mondiale ou le Secrétaire général de la Ligue des États arabes. Cinq œuvraient dans le milieu académique en relations internationales, dont Axworthy et le directeur fondateur du même groupe de recherche pour lequel le ministre a travaillé après son départ de la politique. Deux de ces cinq spécialistes sont les présidents de fondations qui ont contribué au financement de la CIISE.

Il n’y a eu qu’une seule rencontre entre les membres du Conseil consultatif et les commissaires. Elle a eu lieu à Londres le 22 juin 2001. Dans le volume supplémentaire, on qualifie la rencontre qui a eu lieu de « highly lively and productive debate » (ICISS 2001b : 342). Aussi, tous les membres du Conseil consultatif n’étaient pas présents à la rencontre32.

En entrevue, j’ai obtenu une version des faits plus critique. Le répondant rapporte plutôt une expérience désastreuse : « [...] and that was a disaster. It was really ill-conceived. I mean the idea wasn’t a bad one but it really didn’t work out and it was partly because the commission didn’t really know what it was going to say by the time they started to have this other group meeting. [...] because the report finally got written so late » (Entrevue avec l’auteure, Ottawa, le 24 avril 2009). Plus tard dans l’entrevue, ce répondant explique que la rencontre a eu lieu :

[...] before the commission report has been written so no one knew what the view was, and I think Gareth [Evans] went [at the meeting with the Advisory Board] with quite a strong view of what the report could say, and there was a lot of push back, including from Eduardo Stein, the Foreign Minister from Guatemala, former Foreign Minister who is a member of the commission and so, it was, yeah, the commission didn’t really know what they were going to say [...].

32 Seuls Lloyd Axworthy, Robin Cook (président de la Chambre des communes, Royaume-Uni), Jonathan

Fanton (président de la John D. and Catherine T. MacArthur Foundation), Rosario Green Macías (ancienne secrétaire aux Relations extérieures du Mexique), Ivan Head (directeur fondateur du Liu Centre for the Study of Global Issues, Université de Colombie-Britannique), Amre Moussa (secrétaire général de la Ligue des États arabes) et Juan Gabriel Valdés (ancien ministre des Affaires étrangères du Chili) y ont participé. Des quinze membres du Conseil consultatif, seuls sept étaient présents.

98

Entrevue avec l’auteure, Ottawa, le 24 avril 2009

Selon le même répondant, l’initiative du Conseil consultatif n’est qu’une infime partie de l’histoire et n’a pas vraiment d’intérêt. « But at the end of the day, I think it’s interesting only in that you may want to account for what didn’t work. It’s not a significant part of the story of how responsibility to protect comes into being. It’s a kind of failed effort on the margins that really doesn’t help » (Entrevue avec l’auteure, Ottawa, le 24 avril 2009).

Pourtant, le rôle et l’importance du Conseil consultatif sont exposés de manière prééminente dans la description du fonctionnement de la commission apparaissant dans le volume supplémentaire (ICISS 2001b : 341-344). Il est difficile de démontrer que cela a été une tactique pour donner au Conseil consultatif plus d’influence qu’il semble avoir eue sur la teneur de la proposition de la RdP, mais cela a sans conteste contribué au capital symbolique de la CIISE.

Cela étant, le Conseil consultatif a eu une fonction diplomatique importante pour « [...] assist [ICISS] in building the political momentum and public engagement required to follow up on its recommendations » (ICISS 2001b : 341). Certains répondants m’ont expliqué que le Conseil consultatif a été formé à partir d’un réseau d’éminentes personnalités : « it was kind of the friends of the more senior people and they thought that it was going to be a way to mobilize » (Entrevue avec l’auteure, Ottawa, le 24 avril 2009). Ce à quoi la citation du volume supplémentaire ci-dessus et le répondant font référence est un peu ambigu. Ce sont les documents obtenus en vertu de la Loi sur l’accès à l’information qui m’ont donné la clé de ces descriptions. Il semble que l’exercice du Conseil consultatif a permis de créer d’abord et avant tout du soutien diplomatique autour des travaux de la commission et du rapport qu’elle était en train de produire. Certains des documents obtenus révèlent que des agents au sein du MAECI ont souligné à grands traits la présence d’un ressortissant au sein du Conseil consultatif pour commencer à construire un soutien diplomatique international autour des travaux de la CIISE. Par exemple, un mémo relate une rencontre entre fonctionnaires canadiens et mexicains pour préparer la visite du ministre canadien des Affaires étrangères au Mexique en janvier 2001. On y lit simplement

99

que Jill Sinclair (qui est par ailleurs l’un des architectes de la CIISE et est à la tête du secrétariat) : « [...] gave an overview of the objectives of the ICISS and its progress to date, noting that former Mexican ForMin [Foreign Minister] Rosario Green was on the advisory board of the body » (MAECI 2001o). En lien avec ceci, je discute au Chapitre 7 qu’une des stratégies employées par les entrepreneurs de la RdP a été de sortir le débat de l’intervention à des fins humanitaires des arènes onusiennes et les efforts diplomatiques décrits ici s’inscrivent dans cette stratégie.

Je n’ai pas beaucoup plus de détails sur les activités du Conseil consultatif au sein de la CIISE. J’ai demandé le compte-rendu de la rencontre qui a eu lieu à Londres en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, demande qui est restée lettre morte. Il m’apparaît cependant évident que l’exercice a augmenté le capital symbolique de la CIISE et donc sa légitimité.

4.4 L’équipe de recherche

La pratique de créer une équipe de recherche pour soutenir les travaux des commissions internationales est répandue (Weiss et coll. 2009 : 133). Si les commissaires de la CIISE sont davantage ancrés dans la pratique de la politique globale, l’équipe de recherche est présentée comme la section scientifique de la commission. Elle est officiellement menée par Thomas Weiss et Stanlake Samkange (ICISS 2001b : 343). Le volume supplémentaire (ICISS 2001b) publié se compose de trois grandes parties, en plus de l’avant-propos des coprésidents, des remerciements et de la préface de Thomas Weiss et Don Hubert , auteurs principaux du volume supplémentaire (je reviendrai sur le travail de Samkange plus loin). La première partie (Part 1 – Research Essays) constitue le rapport de recherche, la deuxième partie (Part 2 – Bibliography) renferme une impressionnante bibliographie et la troisième partie (Part 3 – Background) explique le fonctionnement des différentes équipes ayant constitué la CIISE et contient les comptes-rendus des consultations régionales dont il sera question plus en détail dans une prochaine section.

La section intitulée « Research Essays » se présente sous la forme de neuf essais, répartis dans trois grandes thématiques. Je les énumère pour donner une idée des thèmes abordés,

100

bien que je ne reviendrai pas sur la teneur du volume supplémentaire. La première section s’intitule « Elements of the Debate » et présente des essais sur la souveraineté des États, sur l’intervention et sur la prévention. La deuxième thématique, « Past Humanitarian Interventions », contient un essai sur les interventions qui ont eu lieu avant 1990 et un second sur celles qui ont été mises en œuvre après la guerre froide. La troisième section est nommée « Morality, Law, Operations, and Politics » et renferme les essais suivants : « Rights and Responsibilities », « Legitimacy and Authority », « Conduct and Capacity », et « Domestic and International Will ».

L’imposante deuxième partie du volume supplémentaire est une bibliographie thématique composée de douze sections33 qui suivent sommairement l’organisation de la section

composée des essais. Dans leur avant-propos, les coprésidents commentent : « In order to aid our own work, and as a contribution to future scholarship, we asked our research team to prepare an annotated list – necessarily selective, but as wide-ranging as possible – of the best writing on the subject. The Bibliography thus produced, set out in Part II, is an important component of the present volume » (ICISS 2001b : V). Selon un architecte de la commission, la bibliographie a été complétée par un(e) étudiant(e) gradué(e)34 sous la

supervision de Neil Macfarlane (Entrevue avec l’auteure, Ottawa, le 24 avril 2009). La bibliographie, affirment les auteurs du volume supplémentaire, « is designed to illustrate the range of material published on all aspects of humanitarian intervention and to provide a foundation for future research and policy development » (ICISS 2001b : 225). Quelques principes auraient été suivis pour choisir les titres inventoriés. De manière générale, on a voulu représenter le plus large spectre de visions possibles (ICISS 2001b : 225). Afin de s’assurer que la bibliographie soit la plus complète possible, les membres de l’équipe de recherche auraient consulté des spécialistes provenant du milieu académique et des praticiens (ICISS 2001b : 225). Ils auraient aussi tenté, disent les coprésidents, de mettre

33 Les thèmes vont comme suit : intervention humanitaire; souveraineté et intervention; prévention de conflit;

aspects éthiques; aspects légaux; intérêt et volonté; perspectives nationales et régionales; interventions non militaires; aspects opérationnels des interventions militaires; interventions militaires et action humanitaire; défis post conflits; études de cas.

34 Le répondant ne m’a pas précisé le nom de l’étudiant en question. Mais selon toute vraisemblance, il

d’agirait de Carolin Thielking (qui a d’ailleurs publié avec MacFarlane (Welsh et coll. 2005) un chapitre sur la RdP dans l’ouvrage édité par Thakur sur les commissions internationales (Thakur et coll. 2005)).

101

l’accent sur des sources autres que « transatlantiques », notamment dans la section sur les perspectives régionales et nationales. En outre, il semble qu’un effort explicite aurait été déployé afin que la bibliographie rassemble des textes provenant de gouvernements, d’organisations internationales, d’ONG ; des textes officiels et non seulement des textes universitaires (ICISS 2001b : 225).

Il y a, au sein de l’équipe de recherche, une « division du travail » comme l’a qualifiée Weiss en entrevue. Thomas Weiss et Don Hubert sont responsables de la rédaction du document de recherche, alors que Samkange a comme rôle d’aider les commissaires à rédiger les avant-projets du rapport de la commission. Thomas Weiss, directeur de l’équipe de recherche, est au moment de la mise en place de la CIISE professeur de science politique au Graduate Center de la City University of New York. Il est aussi déjà directeur du Ralph Bunche Institute for International Studies (RBI) (ICISS 2001b : 343), important institut de recherche qui abrite plusieurs projets d’envergure – dont le Global Center for the Responsibility to Protect créé en 2009 et dont je reparlerai au Chapitre 7.

En entrevue avec Thomas Weiss, j’ai demandé ce qui, selon lui, avait motivé le choix de le recruter pour la CIISE : « And, the thing is that I have been writing on the use of military force for human protection purposes, as it’s now called, or humanitarian intervention, for sometime ever since I was at Brown [University – from 1990 to 1998]. I first started at looking at the southern Sudan in 1989 and then wrote a couple of things I called sovereignty is not sacro-saint in the early 1990s, and on the nature of human rights in humanitarian affairs » (Thomas Weiss, entrevue avec l’auteure, New York, le 22 octobre 2009). Prolifique auteur, Weiss a en effet publié entre autres Humanitarian Challenges and Intervention : World Politics and the Dilemma of Help (Weiss et Collins 1996), The News Media, Civil War, and Humanitarian Action (Minear et coll. 1996) et From Massacres to Genocide: The Media, Public Policy, and Humanitarian Crises (Rothberg et Weiss 1996). Un examen plus attentif de son parcours révèle une série d’éléments qui contribuent à donner à Weiss un capital scientifique et culturel considérable. En plus de ses publications et de l’occupation de poste prestigieux au sein du Graduate Center, il a fait ses études de

102

premier cycle à Harvard et a obtenu son doctorat de Princeton. Son curriculum vitae, trouvé en ligne sur le site du Ralph Bunche Institute, me permet de supposer qu’il a aussi développé un sens pratique dans différentes organisations internationales telles que l’Organisation mondiale du travail, l’Institut des Nations unies pour la formation et la recherche (UNIFAR), la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement, dans ce dernier cas en tant que conseiller supérieur des affaires économiques. Weiss est aussi détenteur d’un important capital social qui a sans doute favorisé son recrutement. En effet, Weiss m’a révélé une série de relations avec les architectes de la commission. Il m’a raconté au tout début de l’entrevue qu’il connaissait personnellement Lloyd Axworthy, car tous deux ont fait leurs études supérieures à Princeton à la même époque (Thomas Weiss, entrevue avec l’auteure, New York, le 22 octobre 2009). Il a parlé de Don Hubert, qui travaillait pour le MAECI et qui était un des architectes de la commission, et qui avait été étudiant de postdoctorat sous sa direction alors qu’il était professeur à l’Université Brown. « [...] Don Hubert had been a post-doc with me at Brown, before I came to New York, three or four years before that. And, Don, I’m sure, I never even asked him, but he must have said something. Anyway, when we got around to putting together a [research] team, I’ve been asked, and Don being part of it, we were quite pleased. So, it’s all a little incestuous but that’s the way it is » (Thomas Weiss, entrevue avec l’auteure, New York, le 22 octobre 2009).

En avant-propos du volume supplémentaire, les coprésidents de la commission présentent l’équipe de recherche. Il importe, disent-ils, que le rapport ne prenne pas place dans un vide intellectuel, notamment en raison de l’importante littérature qui existe sur le sujet de l’intervention à des fins humanitaires et la souveraineté des États (ICISS 2001b : V). Ils ajoutent : « We were particularly concerned to ensure that we had before us, as an input into our deliberations, a thoroughly balanced analysis of all those issues, with all the major arguments and counterarguments fully laid out » (ICISS 2001b : V). D’un même élan, les coprésidents soulignent l’importance du volume supplémentaire dans les délibérations de la commission : « The material gathered and described in this [supplementary] volume has played an important part in the deliberations of the Commission, and we warmly thank all

103

those involved in writing, collecting or contributing to it » (ICISS 2001b : VI). Les coprésidents soulignent l’importance des essais de recherche pour l’écriture du rapport : « The Commission’s Report – and in particular its central theme of “The Responsibility to Protect” – goes in a number of ways beyond the discussion in the Research Essays collected here. But those essays were very much the quarry from which the Report was mined » (ICISS 2001b : V). Les coprésidents affirment qu’il y aurait eu deux sortes de contributions aux essais du volume supplémentaire : les contributions commandées (commissioned papers) et les apports obtenus lors des consultations régionales (ICISS 2001b : V). S’ils attribuent la version finale des essais à deux auteurs principaux, Thomas Weiss et Don Hubert, les coprésidents mentionnent : « [t]heir writing was based, in turn, on substantial contributions from over fifty other scholars and specialists, whose names are listed in the acknowledgements which follow [...] » (ICISS 2001b : V, mes italiques). Ces contributions commandées proviennent d’auteurs associés à de prestigieux établissements et organisations comme les universités Oxford, Columbia ou Princeton, la London School of Economics, RAND Corporation ou le Graduate Institute for International Studies. Outre leurs noms et leurs affiliations prestigieuses, aucune autre information ne transparait sur la nature de leurs contributions au volume supplémentaire. La liste des contributeurs est impressionnante (plus de 50 noms et organisations associées) et fait apparaître le volume supplémentaire comme solidement ancré dans l’expertise sur les questions entourant l’intervention à des fins humanitaires.

4.5 Les normes pratiques mises en œuvre