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l’Assemblée générale

Chapitre 4 – Façonner la légitimité de la CIISE – Capital symbolique et sens pratique

5.1 La fin de la guerre froide et l’avènement de la paix libérale

5.1.5 Jus ad bellum

Le jus ad bellum – le droit de faire la guerre – réfère à six considérations à prendre en compte pour décider d’entrer en guerre. La majorité du rapport de la CIISE y est consacrée et le respect de ces principes auraient pour effet, selon les commissaires, de s’assurer que l’intervention « remains both defensible in principle and workable and acceptable in practice » (ICISS 2001a : 29 §4.2). La plus fondamentale considération du jus ad bellum est la cause juste, c'est-à-dire à quelles sortes de préjudices l’action guerrière permettrait de répondre. Elle repose traditionnellement sur l’idée qu’un État a le droit de faire la guerre lorsqu’il voit une agression comme menaçant directement l’intégrité de son territoire ou son indépendance politique (Orend 2008 : 4). Les commissaires reprennent la considération de la cause juste et tentent de répondre à la question suivante : quels préjudices humanitaires justifient une intervention militaire (ICISS 2001a : 32 §4.17)? Pour les commissaires, le seuil de la cause juste est atteint et l’intervention militaire justifiée si des pertes considérables en vies humaines sont anticipées dans les situations qui sont le produit de l’action délibérée ou non de l’État, de sa négligence ou inhabilité d’agir ou de son état de défaillance. Ils ajoutent aussi que le seuil de la cause juste serait franchi lorsqu’une campagne de nettoyage ethnique est menée par des meurtres, des expulsions forcées, des actes de terreur ou des viols (ICISS 2001a : 32 §4.19).

Une deuxième considération du jus ad bellum est celui de la bonne intention, c'est-à-dire qu’un État ne devrait mener cette guerre qu’au nom de la cause juste (Orend 2008 : 6). Pour les commissaires, la considération de la bonne intention est plus nuancée. Ils affirment que le but primordial de l’intervention est d’éviter ou de faire cesser des souffrances humaines. Les membres de la CIISE conviennent cependant que la motivation humanitaire est

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rarement la seule. « Complete disinterestedness – the absence of any narrow self-interest at all – may be an ideal, but it is not likely always to be a reality: mixed motives, in international relations as everywhere else, are a fact of life » (ICISS 2001a : 36 §4.35). Afin de remédier à ce problème, les commissaires proposent des solutions comme de prioriser l’intervention multilatérale, de s’assurer que la population censée bénéficier de l’intervention la soutient et de considérer l’opinion des pays voisins (ICISS 2001a : 36 §4.34).

La troisième considération du jus ad bellum est celle de l’autorité appropriée, c'est-à-dire que la décision d’aller en guerre devrait être prise par une autorité légitime, traditionnellement spécifiée dans la constitution d’un État lorsque l’on parle de guerre interétatique classique (Orend 2008 : 7). Cette considération est délicate dans le cadre d’une intervention décidée au niveau supranational. D’ailleurs, les commissaires y consacrent tout un chapitre dans le rapport, intitulé « The Question of Authority » (ICISS 2001a : 47-56). Ils y désignent le Conseil de sécurité de l’ONU comme autorité principale de l’intervention à des fins humanitaires. « [...] the Commission is in absolutely no doubt that there is no better or more appropriate body than the Security Council to deal with military intervention issues for human protection purposes » (ICISS 2001a : 49 §6.14). Évidemment, cette désignation est liée avec des éléments cruciaux des relations internationales et avec le rôle du Conseil de sécurité tel qu’inscrit dans la Charte de l’ONU et dont nous reparlerons au Chapitre 6.

La quatrième considération du jus ad bellum est celle du dernier recours. Celui-ci réfère à l’idée que toutes les solutions pacifiques doivent avoir été tentées, mais qu’elles ont échoué (Orend 2008 : 7). Les commissaires stipulent en effet que l’intervention militaire n’est pas justifiée tant que toutes les possibilités énumérées dans la section de la responsabilité de prévenir, notamment les discussions diplomatiques et les sanctions de toutes natures, n’ont pas été explorées (ICISS 2001a : 36 §4.38).

La cinquième considération du jus ad bellum est celle des perspectives raisonnables, c'est- à-dire que la guerre ne peut être considérée comme juste s’il n’y a pas de possibilités

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d’influencer le cours des choses. « Military action can only be justified if it stands a reasonable chance of success, that is, halting or averting the atrocities or suffering that triggered the intervention in the first place. Military intervention is not justified if actual protection cannot be achieved, or if the consequences of embarking upon the intervention are likely to be worse than if there is no action at all » (ICISS 2001a : 37 §4.41).

Nous pouvons lire dans la littérature de la théorie de la guerre juste que cette considération n’est pas formalisée dans le droit international, car elle amène un désavantage quant aux possibilités des États faibles de mener une guerre juste (Orend 2008 : 7). Les commissaires, eux, réifient plutôt les relations de pouvoir telles qu’institutionnalisées par le Conseil de sécurité. Ils affirment en effet qu’une intervention à des fins humanitaires ne peut être déclenchée si elle a des chances de provoquer un conflit encore plus important. Pour cette raison, les membres de la commission conviennent que l’application de la considération des perspectives raisonnables « [...] would on purely utilitarian grounds be likely to preclude military action against any one of the five permanent members of the Security Council [i.e. China, France, Russia, United Kingdom and United States] even if all the other conditions for intervention described here were met » (ICISS 2001a : 37 §4.42). Ainsi, les commissaires mettent l’accent sur une position qui suppose les doubles standards : « the reality that interventions may not be able to be mounted in every case where there is justification for doing so, is no reason for them not to be mounted in any case » (ICISS 2001a : 37 §4.42).

La sixième considération du jus ad bellum est la proportionnalité des moyens. Les commissaires affirment qu’une intervention à des fins humanitaires projetée doit, dans son ampleur, dans sa durée et dans son intensité « be the minimum necessary to secure the humanitarian objective in question » (ICISS 2001a : 37 §4.39).