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l’Assemblée générale

3.1 Exposer l’imaginaire méthodologique de recherche

3.2.3 Données documentaires

J’ai amassé une quantité impressionnante de données documentaires pour cette recherche. L’expression « writing machine » proposée par Marcus (1999b : 22-25) dans l’introduction de l’ouvrage collectif Critical Anthropology Now qu’il a dirigé (Marcus 1999a) s’est révélée très à propos. « Writing machine » exprime l’idée selon laquelle les contextes institutionnels sont caractérisés par une production de représentations, d’images et d’écrits omniprésents et va jusqu’à défier la tâche ethnographique elle-même (Marcus 1999b : 22). L’enjeu devant cette masse de documents est de distinguer ce qui doit être considéré comme des données et ce que l’ethnographe peut laisser de côté pour éviter de se trouver submergé. Évidemment, certains documents sont incontournables. Le rapport de la CIISE (ICISS 2001a) et le volume supplémentaire (ICISS 2001b) sont de ce nombre, tout comme les trois paragraphes sur la RdP du Document final du Sommet mondial de 2005 (ONU 2005a) et le rapport de Ban Ki-moon (2009) sur la mise en place de la RdP. À cela, j’ajoute les documents obtenus en vertu de la Loi sur l’accès à l’information canadienne dont je reparle ci-dessous. Au-delà de ces documents incontournables, j’ai convenu que les autres documents pertinents seraient ceux mentionnés par mes répondants ou auxquels les

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documents primaires font référence, et que j’allais suivre ces liens intertextuels. Par exemple, un répondant m’a parlé d’une entrevue qu’il a accordée à la radio, un autre du livre que Gareth Evans (2008) venait de publier sur la RdP. Il y a aussi le rapport de Ban (2009) qui fait référence à un autre rapport publié par Annan (2005), et ainsi de suite. J’ai donc ajouté ces documents à la liste des données à analyser. La liste complète des données documentaires citées dans cette thèse se trouve dans la bibliographie du corpus documentaire. J’ai ajouté dans cette bibliographie de la documentation produite par les architectes de la CIISE et les entrepreneurs de la RdP. J’ai aussi mis en annexe la liste complète des documents obtenus en vertu de la Loi sur l’accès à l’information, même si je ne les ai pas tous utilisés dans la thèse. Il m’a semblé que ce travail était nécessaire, pour permettre à d’éventuels chercheurs de prendre en considération la manière dont les travaux de la CIISE et la RdP ont été traités et promus au sein du MAECI.

La majorité des données documentaires amassées fait partie du domaine public. J’ai eu accès à plusieurs d’entre eux par Internet. Les ouvrages et articles publiés étaient, pour leur part, disponibles à la bibliothèque ou dans des bases de données. Les exceptions ont été les documents obtenus en vertu de la Loi sur l’accès à l’information. C’est David Price, prolifique anthropologue qui documente les liens qu’ont entretenus les anthropologues américains avec les agences de renseignement et militaires de leur pays (voir notamment Price 2004, 2008, 2011) qui avance que les lois sur l’accès à l’information devraient être bien davantage utilisées par les anthropologues, notamment par ceux qui étudient vers le haut (Price 1997, 2010). L’usage de la Loi sur l’accès à l’information pour obtenir des documents relatifs à la mise en place et au fonctionnement de la CIISE a été prévu dès le début de l’élaboration de ce projet de recherche. C’est avec l’assistance de Mike Larsen, ancien collègue à YCISS et maintenant professeur de criminologie à la Kwantlen Polytechnic University en Colombie-Britannique que j’ai entamé le processus. Larsen a utilisé la Loi sur l’accès à l’information dans le cadre de ses recherches et m’a donné de nombreux conseils pratiques. Il a depuis dirigé un ouvrage collectif sur la question (Larsen et Walby 2012).

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La première étape du processus a été d’établir la liste des documents qui m’intéressaient. Aucun index n’existant, il me fallait d’abord déduire l’existence d’un document (par exemple, le compte-rendu d’une rencontre entre les commissaires). La deuxième étape était de repérer quel organisme gouvernemental ou quel ministère était le plus susceptible d’avoir les documents qui m’intéressaient. Cette étape s’est révélée assez simple puisqu’il est vite apparu que les documents se trouvaient au MAECI. Il s’agissait ensuite de trouver les coordonnées du coordonnateur de la Loi sur l’accès à l’information du ministère visé26.

Larsen m’avait conseillé d’entrer en contact avec le coordonnateur de manière informelle d’abord afin de m’assurer que les documents visés par la demande n’avaient pas déjà été rendus publics. J’ai fait ce premier contact le 25 février 2009. Il m’a été confirmé que les documents n’étaient pas publics, alors j’ai envoyé une demande formelle le lendemain. Ce n’est que deux ans plus tard, le 16 février 2011, que j’ai reçu un courriel m’annonçant la réception d’un colis au département d’anthropologie de l’Université Laval. Ce colis contenait les 1300 pages de documents que ma requête avait générées. Dans l’intervalle, j’ai échangé un nombre impressionnant de courriels avec au moins cinq différents « analystes responsables de mon dossier ». Vu l’importance de cet outil pour l’étude des institutions publiques et les complexités que ce processus étalé sur deux ans dévoile, je retrace les faits saillants de ces échanges dans les lignes qui suivent. Ceci permet de souligner les impacts des délais et des coûts de l’étude vers le haut.

Ma demande de documents a donc été déposée le 26 février 2009. Il s’agissait d’envoyer un court formulaire assorti d’une liste des documents sollicités. Un paiement de 5$ est exigé avec chaque demande. Les cinq premières heures de travail que génère une demande ne sont pas facturées au citoyen. Voici ce que m’a expliqué la directrice de l’Accès à l’information du MAECI :

Si votre demande exige plus de cinq heures de recherches et de préparation, vous en serez informé (sic) et vous recevrez un estimé (sic) des frais applicables. Afin d’éviter ces frais, assurez-vous de décrire, de façon détaillée, les renseignements que vous demandez, plus une demande est générale, plus elle est susceptible de comporter des

26 Le gouvernement du Canada maintient une liste de tous les coordonnateurs à cette adresse : http://www.tbs-

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frais supplémentaires. [...] Veuillez noter que nous disposons de 30 jours civils pour répondre à une demande officielle. Cependant, lorsque des recherches longues ou complexes s’imposent pour trouver les renseignements demandés, ou lorsque des consultations doivent être entreprises, nous pouvons prendre plus de temps pour traiter la demande. S’il y a lieu, vous serez avisé (sic) de la prolongation du délai.

Courriel de la directrice de l’Accès à l’information du MAECI, 26 février 2009

J’ai envoyé une liste exhaustive et précise des documents. La liste était longue et incluait des mémorandums, des courriels, le budget de la commission, les différentes versions du rapport (il y en a eu quatre) et des documents de préparation aux consultations régionales (voir l’Annexe IV pour la liste telle qu’envoyée, à laquelle j’ai ajouté les références qui m’ont permis de déduire l’existence de ces documents). Le 26 juin suivant, quatre mois après l’envoi de ma demande initiale, j’ai reçu un message téléphonique me demandant de préciser la nature des documents recherchés. Ce message me laissait perplexe. La personne responsable de mon dossier m’a expliqué que ma demande a généré une quantité importante de documents, dont des factures d’hôtel et des itinéraires de vol. Plus tard, par courriel, elle a spécifié : « La division en charge (sic) de ces documents m'a déjà informée qu'ils (sic) y auraient (sic) quelques semaines de recherche à effectuer. Si c'est le cas, il y aurait des frais de recherche à $10.00/heure [...]. Par la suite, on va devoir déterminer le nombre de pages d'information et les frais qui s'y attache (sic). Il y a de l'information depuis 2001, et même plus » (Courriel de l’analyste responsable de ma demande, 26 juin 2009). J’étais curieuse de consulter ces documents, mais le ton du courriel était sans équivoque et ce type d’informations ne m’apparaissait pas nécessaire pour mener à bien ma recherche. Il fallait préciser la demande. La nouvelle liste n’incluait que les procès-verbaux des rencontres officielles (voir l’Annexe V). Le 2 juillet suivant, j’ai reçu un nouveau courriel me demandant si je voulais discuter avec une autre analyste de la division responsable des documents demandés. J’ai acquiescé et envoyé mon numéro de téléphone. Cette discussion a enfin eu lieu le 23 juillet. Après avoir envoyé ma seconde liste, l’analyste a dit trouver la requête raisonnable et a affirmé qu’elle entamerait les recherches d’ici peu. Je lui ai spécifié que je n’ai aucune preuve écrite de l’existence des comptes-rendus des rencontres de la commission, mais qu’il était raisonnable de penser que ces rencontres aient été consignées. Elle m’a répondu que tout rapport ou compte-rendu pourra être pris en compte et m’être

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relayé. Le 25 août 2009, j’ai reçu un nouveau courriel m’informant que ma demande de comptes-rendus pour huit rencontres avait généré 1300 pages de documents. On m’a alors informée que des « frais de préparation » seraient appliqués et on m’a demandé si je voulais aller de l’avant. Ces frais de préparation découlent du travail de lecture par un analyste du ministère pour s’assurer que les informations confidentielles soient censurées. De plus, dans le cas de ma demande, l’analyste m’a expliqué que certains documents appartenaient à d’autres pays, et qu’il y avait des permissions à demander aux collègues à l’étranger pour rendre ces documents publics. Il y avait aussi des permissions à obtenir de la part des auteurs d’autres documents. En d’autres termes, ma demande avait provoqué une quantité importante de travail pour l’analyste responsable de mon dossier. L’estimation des coûts de préparation s’est élevée à 300$. Je devais en payer la moitié pour que le travail de préparation puisse commencer. J’ai envoyé un chèque en octobre 2009.

En janvier 2010, j’ai demandé des nouvelles de mon dossier. Le courriel est resté lettre morte. Ce n’est qu’en juin 2010 qu’on m’a appris que ma demande n’avait pas du tout cheminé depuis octobre 2009. « J'ai bien reçu votre courriel du mois de janvier, mais votre dossier était déjà en attente de processus. Étant donné que nous avons une charge énorme de nouvelles demandes et en plus d'être à cour (sic) d'analystes, nous n'avons pu procéder au dossier encore » (Courriel de l’analyste principale de l'accès à l'information et protection des renseignements personnels, le 21 juin 2010). J’ai relancé l’analyste de ma demande tous les mois jusqu’en janvier 2011. À chaque fois, il me décrivait l’avancement de la préparation. J’ai finalement mis la main sur ces documents, comme je l’ai déjà mentionné, le 16 février 2011, c'est-à-dire presque deux ans jour pour jour après ma requête initiale. Le paquet reçu était impressionnant. Les quelque 1300 pages n’étaient retenues qu’avec des élastiques et devaient faire vingt centimètres d’épaisseur. Tous les documents étaient en format légal. J’ai inclus la liste exhaustive en Annexe VI. On ne m’a jamais facturé la seconde moitié de la préparation de la demande.

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