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« Allons-nous continuer à défendre notre territoire avec le risque d’ériger la psychothérapie institutionnelle en modèle, en idéologie pour pouvoir attaquer et juger « l’autre psychiatrie » ? Ou allons-nous chercher à travers les clivages, les contrastes et les

controverses, l’autre comme

interlocuteur ? » (Ledoux, 2007)

Proposer de parler de la psychothérapie institutionnelle comme d’un agencement d’opérateurs procède à la fois, nous l’avons dit, d’une démarche ancrée dans son histoire, récurrente dans son corpus, et d’un processus de réactualisation de son héritage. La question d’une juste formalisation des axiomes logiques guidant la psychothérapie institutionnelle s’est posée pour nous lors d’une formation (le Diplôme Inter-Universitaire intitulé « Santé mentale dans la communauté »), lorsque nous avons été mise en demeure de dire en quoi nous pensions que la santé mentale dans la communauté (S.M.C.) ou la réhabilitation psychosociale héritaient, à leur corps défendants, de la psychothérapie institutionnelle. Beaucoup de propositions théorico-pratiques portées par le courant communautaire, qui s’appuie officiellement sur la psychiatrie de secteur conceptualisée par Bonnafé et sur l’antipsychiatrie basaglienne, nous avaient en effet paru se réapproprier l’héritage de la psychothérapie institutionnelle sans pourtant s’en revendiquer. On y parle volontiers de repas thérapeutiques, de déhiérarchisation entre les soignants et les soignés, de valorisation de l’expérience des usagers, de constitution d’associations, de mouvement vers la ville, de liberté de circulation, de complémentarité des approches professionnelles, et pour autant, tout lien avec la psychothérapie institutionnelle est explicitement récusé sous prétexte que celle-ci ne concernait qu’un temps où l’hôpital était le seul lieu de traitement des personnes souffrant de troubles psychiques. Cet argument, nous l’avons vu précédemment, tient peut-être historiquement - car dans les années 60 le terme d’institution était en effet utilisé à tort et à travers - mais ignore les tentatives répétées et étalées sur des dizaines d’années de réhabiliter l’institution en montrant en quoi elle était fort différente du concept d’établissement, tout en lui étant complémentaire :

198 « je dois rappeler une fois de plus, que pour nous, en tout cas, il n’est pas question de limiter le concept d’institution à celui d’établissement de soins. Et je ne nie pourtant pas que des établissements de soins soient souvent indispensables et fort utilisables si on se coltine et si on s’attache au service des besoins thérapeutiques, à l’ouverture et au maintien des articulations et des circuits institutionnels d’intérêt, de visée et d’efficacité thérapeutiques. » (Tosquelles in J. Oury, 2001, p. 17)

A. Des opérateurs pour réintroduire la P.I. dans le champ de la santé mentale

La désinstitutionalisation s’est aujourd’hui installée sinon dans le vocabulaire, en tout cas dans l’idéologie guidant les politiques publiques, et l’affaire de la P.I. semble, pour les nouveaux courants en psychiatrie tels que la réhabilitation psychosociale, la santé mentale ou le rétablissement, à classer sans suite74. Comme nous l’avons relaté dans notre premier

chapitre, on pouvait toutefois penser que si les courants « modernes » en psychiatrie faisaient, pour reprendre l’expression d’Hélène Chaigneau, de la psychothérapie institutionnelle « sans le savoir » (1983), c’est qu’elle était d’une manière ou d’une autre toujours utile dans les services de soins et d’accompagnement, qu’ils soient d’orientation psychodynamique ou non. Nous nous formulions au début de notre travail de mise à plat du corpus de la P.I. que toute pratique institutionnelle guidée par certains concepts psychanalytiques spécifiques (l’Inconscient, le transfert, le repérage des mécanismes de défense) avec des personnes atteintes de troubles psychiques relevant de la psychiatrie était en puissance une façon d’opérer une psychothérapie institutionnelle, sous réserve qu’un certain nombres de paramètres – ce que Lin Grimaud nommait des « propositions théorico- pratiques » (2005, p. 142) - soient réunis. A la lumière de nos observations et de nos entretiens, nous pensons aujourd’hui pouvoir aller plus loin. Les équipes se posent en effet au

74 Quelques psychiatres ont toutefois tenté dans la dernière dizaine d’années d’ériger des ponts entre

199 quotidien les mêmes questions qui ont amené leurs prédécesseurs à inventer la psychothérapie institutionnelle ; ces mêmes équipes réinventent et redécouvrent alors à leur mesure et à leur rythme, qu’elles utilisent ou non la psychanalyse, ses principes fondateurs. C’est ainsi que nous avons finalement compris la phrase énigmatique des promoteurs de ce mouvement selon laquelle la psychanalyse n’était qu’un cas particulier de la psychothérapie institutionnelle (Ayme, 2009) : en psychiatrie, contrairement peut-être à la plupart des disciplines médicales, l’organisation prime sur la technique. Dans le contexte actuel, c’est donc peut-être par la réintroduction de principes de la P.I. dans les services sanitaires et médico- sociaux que l’utilité de certains concepts analytiques pourra de nouveau s’imposer non comme un dogme, mais comme une nécessité théorico-pratique.

Cette réintroduction pose cependant le problème de sa médiation. De nombreux textes produits sous la bannière de la psychothérapie institutionnelle donnent l’impression de n’avoir été écrits que pour des professionnels déjà convaincus par sa démarche. La psychothérapie institutionnelle génère méfiance et réticence dans des cercles non- analytiques, et les articles à son sujet se retrouvent en effet prioritairement dans des revues comme Vie Sociale et Traitement (émanation des CEMEA) ou Empan, plusieurs revues de psychanalyse (Topique, Figures de la Psychanalyse) voire de schizo-analyse (Chimères), parfois dans des revues classiques de l’histoire de la psychiatrie française comme l’Information

Psychiatrique, l’Evolution Psychiatrique ou encore Neuropsychiatrie de l’enfant et de l’adolescent. Toutes ces publications sont notoirement ouvertes à la psychanalyse, et leur

lectorat peut compter sinon parmi les convaincus de ce mouvement, au moins parmi les avertis. La psychothérapie institutionnelle a certes besoin d’être délimitée dans sa relation à la psychanalyse ; elle nécessite régulièrement, pour ceux qui y sont formés, d’expliciter et d’approfondir les concepts sur lesquels elle s’appuie et l’histoire de laquelle elle se revendique. Les rappels historiques proposés par de nombreux articles récents (Cano, 2006; Chebili, 2017; Duprez, 2008; Grimaud, 2015; Robcis, 2016; Schaller, 2011) émanant de cliniciens mais aussi de chercheurs d’autres disciplines font vivre son héritage. Ces piqûres de rappel ne sont toutefois pas suffisantes pour lui garantir une pérennité dans le paysage de la santé mentale actuel ni, puisque l’enjeu se trouve là, pour montrer à ceux qui ne sont ni convaincus ni même avertis qu’elle précédait de loin toutes les contributions actuelles sur le

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