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Chapitre I. Opportunités et risques pour la clinique institutionnelle dans le système de santé actuel

I. Contexte national : la qualité de vie au travail dans le monde de la santé.

Quiconque connaît la maxime fondatrice de la psychothérapie institutionnelle, « soigner l’institution pour soigner les malades », ne peut rester de marbre devant le récent mouvement – dont on peut espérer qu’il ne soit pas qu’une tendance passagère – qui a fait de la qualité

35 de vie au travail un enjeu national du système de santé, sous un titre évocateur : « Prendre soin de ceux qui nous soignent »8.

En juillet 2017, la Fédération Hospitalière de France, désireuse de constituer un groupe de travail sur la question, nous a confié la mission d’écrire une revue de littérature scientifique portant sur la qualité de vie au travail (QVT) à l’hôpital. Ce rapport avait pour but d’informer les membres du groupe dont nous faisions partie de l’état de l’art en la matière avant de rédiger collectivement un livret de préconisations à destination des acteurs décisionnaires du monde de la santé. Notre revue devait répondre à quatre questions :

- Quel est l’impact de la QVT sur la performance des établissements de santé ? - Quels sont les déterminants psychologiques de la QVT ?

- Quels sont les styles managériaux et les modes d’organisation les plus propres à améliorer la QVT ?

- Quel a été l’impact des réformes dans le monde de la santé sur la QVT des soignants ? Si le domaine de la santé et du travail à l’hôpital paraissait à première vue éloigné de ce qui nous préoccupe dans ce travail de recherche, nous avons au contraire découvert tout un champ clinico-organisationnel dans lequel gravitaient des acteurs qui, pour n’avoir jamais lu ni entendu parler du travail des promoteurs de la psychothérapie institutionnelle, semblaient tel monsieur Jourdain9 en redécouvrir les principes et parfois même la terminologie. C’est à

ce titre que nous pensons nécessaire de proposer, pour débuter ce chapitre, un premier élément de contextualisation autour de la QVT, en tant que les recherches faites en son nom

8 Le slogan avait été choisi par le Ministère de la Santé lors du lancement de la campagne éponyme début

décembre 2016. Cette campagne faisait suite à la réception d’un rapport de l’IGAS consacré aux risques psychosociaux des personnels médicaux des établissements de santé. Le rapport est disponible en ligne à l’adresse suivante : http://solidarites-sante.gouv.fr/professionnels/ameliorer-les-conditions-d-exercice/qualite- de-vie-au-travail/article/la-qualite-de-vie-au-travail.

9 Nous empruntons la référence à Molière à Hélène Chaigneau, psychiatre de secteur impliquée dans le

mouvement de psychothérapie institutionnelle : « M. Jourdain faisait de la prose. Il en fut le premier surpris. Tout ce que je viens d’écrire est si banal et prosaïque que je me demande si mes lecteurs ne vont pas déclarer que de la psychothérapie institutionnelle ils en font depuis toujours, ce qui serait plutôt une bonne nouvelle » (Chaigneau, 1983, p. 446).

36 nous renvoient depuis d’autres champ que celui de la psychiatrie l’actualité brûlante du soin porté à l’institution dans un contexte de difficultés pour tous les soignants. Ainsi, à chaque fois que nous emploierons l’acronyme « QVT » dans les lignes à suivre, il faudra à la fois y entendre ce que la recherche désigne comme « qualité de vie au travail » du côté de la psychologie positive et du management mais aussi la préoccupation, plus proche dans son vocabulaire d’une clinique d’orientation analytique, du care indissociable de l’activité soignante (Molinier, 2016), auquel doit répondre un nécessaire « prendre soin » des soignants.

Disons tout d’abord que le caractère d’urgence conféré aux questions de QVT en France est plurifactoriel : la forte prévalence du stress, de l’anxiété et de la dépression chez les médecins français par rapport à la population générale (caractéristiques que l’on retrouve à l’international), les difficultés dans le recrutement des soignants, les multiples contraintes budgétaires et organisationnelles des hôpitaux ainsi que les récents cas de suicides de personnels hospitaliers ont joué des rôles complémentaires dans l’accession de cette thématique au rang de stratégie nationale. La psychiatrie, moins visible dans le contexte français car ayant échappé au régime de la tarification à l’activité tel qu’il est pratiqué dans les disciplines somatiques, n’a pourtant pas été en reste du point de vue des difficultés budgétaires, avec de nombreux remous de la fin 2017 qui perdurent encore au moment où nous écrivons ces lignes10.

Au départ de cette préoccupation pour le soin apporté aux soignants, nous retrouvons un autre vocabulaire : celui des risques psychosociaux, auxquels la résolution des situations

10 Suite à des visites de députés dans des hôpitaux psychiatriques particulièrement en difficulté et une

proposition de loi du député François Ruffin concernant le financement de la psychiatrie, de nombreux journaux avaient titré autour de la « grande misère » de la discipline. Les difficultés sur le terrain et leur amplification médiatique avaient amené la Ministre de la Santé Agnès Buzyn à annoncer une préservation des budgets de la psychiatrie en janvier 2018, mais de nombreux hôpitaux partout en France (Rouen, Le Havre, Amiens, Saint- Etienne, Allonnes…) se sont depuis et tour à tour lancés dans des grèves durables. Source disponible en ligne à l’adresse suivante : https://www.santementale.fr/actualites/agnes-buzyn-s-engage-a-preserver-le-budget-de- la-psychiatrie.html. Consulté le 14 août 2018.

37 de conflit dans les établissements de santé a failli se réduire11, tant les pouvoirs publics et la

recherche étaient focalisés sur les risques auxquels les professionnels étaient exposés du fait de la nature de leur travail de soin, et des conditions dans lesquels ils l’exerçaient. Une approche du travail par le risque et la souffrance, si elle permet de dénoncer avec justesse et pertinence les dérives des modèles managériaux ou économiques prévalents à l’hôpital, induit avant tout une dynamique de réparation ou de prévention des risques qui n’est, à l’image des techniques thérapeutiques orientées sur la disparition du symptôme, pas suffisante à elle seule. Le problème de toute démarche de « réduction des RPS » est en effet de ne considérer que les capacités ou les difficultés d’adaptation de l’individu au système dans lequel il travaille, évinçant ainsi les questions politiques qui se posent dans chaque établissement de santé. Les études que nous avons consulté pour notre revue de littérature éclairaient l’impasse à laquelle s’était heurtée la logique de prévention et réparation des RPS (Vautier, 2017) : en ne proposant que des actions destinées à soigner les symptômes du mal-être (St-Arnaud, Gignac, Gourdeau, Pelletier, & Vézina, 2010; Svandra, 2011), elle laissait de côté une approche systémique nécessairement plus critique vis-à-vis des organisations traditionnelles du travail. De ce point de vue, les courants de la clinique de l’activité et de la psychodynamique du travail sont précieux : le premier parce qu’il soulève l’importance de l’institution des conflits sur ce en quoi consiste, pour les travailleurs, la qualité de leur activité - le conflit étant là pensé comme un moyen de transformation des relations dans l’organisation de façon ascendante -, le second parce qu’il rappelle le rôle étiologique de l’aliénation au travail dans la souffrance perçue :

« Que le travail puisse créer de la souffrance et de l’aliénation, ce n’est assurément pas une découverte de la psychodynamique du travail. […] la contribution de la psychodynamique du travail porte seulement sur l’analyse étiologique des processus en cause dans l’aliénation par le travail. Elle permet d’élucider les chaînons intermédiaires entre les contraintes organisationnelles d’une part, les

11 L’ampleur de l’intérêt pour ce phénomène a d’ailleurs amené certains auteurs tels Yves Clot à s’insurger contre

38 décompensations psychopathologiques et psychosomatiques d’autre part, ainsi que de décrire les stratégies défensives élaborées par les hommes et les femmes lorsqu’ils parviennent à conjurer la menace de décompensation. » (Dejours, 2016, p. 78)

La réflexion tournée vers la QVT étant caractérisée par un point de vue systémique et par l’impératif de transformation des organisations, celle-ci pourrait être comparée à une démarche clinique : partant du principe que ce ne sont pas nécessairement les individus qui sont malades, mais l’organisation et le travail eux-mêmes (Gaillard, de Terssac, Sarfati, & Waser, 2013; Kornig, Levet, & Ghadi, 2016), le seul traitement des symptômes visibles des professionnels - mal-être psychologique, absentéisme, suicide… -, ne suffit pas : ce sont directement les organisations qu’il s’agit de soigner. Rappelons, à la lumière de ce dernier développement, que si le vocabulaire que nous allons utiliser dans cette première partie peut apparaître très éloigné de celui de notre discipline et de notre orientation analytique, nous soutenons au contraire que l’ensemble des résultats retrouvés dans les études que nous avons rassemblées se prête à une réappropriation de l’ordre de la clinique institutionnelle. Nous présenterons donc dans un premier temps les résultats tels qu’ils apparaissent, dans leur vocabulaire d’origine, avant de montrer les chemins qu’ils ouvrent et les ponts que nous pouvons tracer avec le champ qui nous occupe plus particulièrement : celui de la santé mentale, et signalerons en les soulignant les éléments équivoques, qui se prêtent tout autant à une étude du point de vue managérial qu’un approfondissement clinique et psychopathologique. Précisons pour finir que la question de la performance, si elle apparaît dans les lignes à suivre, n’est pas particulièrement la nôtre mais davantage celle de notre commanditaire, la FHF, et celle des études portant sur les organisations de santé. Le terme de performance recouvre la performance économique – que nous ne souhaitons et ne pouvons pas discuter par manque de recul sur le contexte budgétaire du monde de la santé en France -, mais aussi, et de façon plus importante, la performance sociale, c’est-à-dire la capacité d’une organisation à utiliser ses ressources humaines de façon durable et à ne pas détériorer la santé mentale de ses employés (autrement dit la réduction de ses externalités négatives), mais aussi, pour aller plus loin, la capacité de cette même organisation à produire une réflexion sur

39 la façon dont elle peut contribuer au maintien du lien social dans le territoire où elle s’implante.

A. La redécouverte du travail d’équipe : une pluriprofessionnalité facteur de

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