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Démarche participative et care en santé : revalorisation des savoirs empiriques des équipes.

Chapitre I. Opportunités et risques pour la clinique institutionnelle dans le système de santé actuel

C. Démarche participative et care en santé : revalorisation des savoirs empiriques des équipes.

Au milieu des nombreux modèles anglo-saxons plutôt portés sur la cognition collective - au risque de passer à côté des conflits professionnels -, le modèle français de la démarche participative, issu des soins palliatifs et élaboré par le Pr Philippe Colombat et son équipe au début des années quatre-vingt-dix, nous semble particulièrement porteur – mais aussi, compte tenu des éléments que nous aborderons dans notre 3e chapitre, très familier.

Le principe de départ de la démarche palliative, plus tard renommée démarche participative, est de considérer l’absentéisme, le burnout et les erreurs médicales comme des symptômes d’une souffrance liée à l’intensité émotionnelle du travail. Partie d’une préoccupation plutôt axée sur les risques psychosociaux, cette démarche clinique visant à faire de l’environnement même du travail l’outil de traitement primordial de la souffrance a donné naissance à un modèle de management participatif d’équipe d’abord reconnu officiellement dans le cadre de la fin de vie – la démarche participative étant obligatoire dans ces services depuis 2008 (Picard, 2017) - puis dans d’autres spécialités traitant des pathologies chroniques, comme l’oncohématologie.

La démarche participative et ses valeurs ont sans aucun doute inspiré les grands principes du Pacte de Confiance pour l’hôpital (Couty & Scotton, 2013), mais son intérêt principal réside à notre sens dans le fait qu’elle a popularisé, sous couvert d’un vocabulaire

47 clinico-organisationnel, un certain nombre de principes (réunions pluriprofessionnelles non- hiérarchiques, pouvoir de décision partagé, soin porté à l’ambiance des services) déjà théorisés dans les années par les promoteurs de la psychothérapie institutionnelle.

Les quatre pilliers de la démarche participative, que sont les réunions (« staffs ») pluri- professionnelles, la formation interne, le soutien aux équipes et la démarche projet (Moret, Anthoine, Gillet, Fouquereau, & Colombat, 2014) ont l’avantage d’être conceptuellement accessibles et facilement opérationnalisables, ce qui explique certainement l’aisance et la rapidité avec laquelle les médias ont valorisé ce modèle13. Les valeurs d’équipe promues par

la démarche participative tiennent d’une conception humaniste des soins et des relations

interpersonnelles : respect, reconnaissance, responsabilité, cohérence, communication,

complémentarité, confiance, coordination, coopération, concordance, concertation et collaboration.

Le style managérial promu par la démarche participative repose sur la création d’une ambiance permettant l’échange, une amélioration et une responsabilisation des acteurs : « directeur, conseil de direction, pôles, fédérations et départements, services, unités et équipes. Ce principe doit irriguer la conception des outils, la diffusion et le partage de l’information, afin de favoriser la transparence » (Philippe Colombat et al., 2014). La démarche participative est par essence délégative, puisqu’elle repose sur la confiance en une équipe intrinsèquement motivée qui respecte les règles et les objectifs fixés par un management conçu comme une fonction support pour des équipes auto-gérées (P Colombat et al., 2011). Cette façon de concevoir le management vaut en effet d’être mise en lumière, puisque d’autres études montrent que les styles managériaux traditionnels de la fonction publique, plutôt directifs ou axés sur la persuasion, peuvent être sources de diminution de la qualité de vie au travail au travers du manque de communication transparente et de reconnaissance.

13 Un exemple de cette publicité médiatique est disponible à l’adresse suivante :

https://www.lemonde.fr/sciences/article/2017/01/16/demain-des-soignants-

heureux_5063593_1650684.html. Consulté le 14 août 2018. La démarche participative s’est par ailleurs vue décerner, en septembre 2016, le trophée « innovation managériale » de la chaire de l’ESSEC en conduite du changement.

48 Certaines études provenant du monde du soin s’intéressent d’ailleurs à l’ambiance des services, définie comme un paramètre organisationnel influençant l’efficacité du leadership (P Colombat et al., 2011; Shipton, Armstrong, West, & Dawson, 2008), 187), ou comme un climat ou un environnement de travail propice au développement personnel des individus dans l’organisation (Askari, Rafiei, Montazerolfaraj, Tafti, & Torabi, 2018; Huzzard, 2003; Minvielle et al., 2008). L’idée d’une gestion adhocratique des hôpitaux, autrement dit d’un paradigme organisationnel sur-mesure pour les établissements de santé, revient régulièrement à travers la proposition de faire du care un modèle institutionnel régissant non plus seulement les relations des soignants aux patients, mais aussi les relations des soignants entre eux (Bodenheimer & Sinsky, 2014; Brousseau, Cara, & Blais, 2016). Nous reprenons ici le modèle de Miremont et Valax (2015) sur les quatre niveaux du care dans le management à l’hôpital :

« Nous avons décrit quatre niveaux de manifestations du care au sein du management. Le premier niveau correspond à celui de la personne, avec un « care about » qui soit attentif à l’autre en tant qu’être singulier. Le deuxième niveau professionnel est un « care about » centré sur les compétences mais également les talents individuels dans une perspective de développement, d’épanouissement et de mise en synergie vers les objectifs à atteindre collectivement. Le troisième niveau est un prendre soin de l’intégration et de la socialisation de chacun au sein de l’équipe. Enfin le quatrième niveau vise l’attention toute particulière à permettre à chacun de s’impliquer, en regard de ses compétences et de ses talents personnels, dans les projets institutionnels à la recherche du juste et fort engagement de chacun ». (p. 31)

Cette éthique managériale, définie comme une culture organisationnelle poussant les

professionnels à prendre autant soin d’eux-mêmes et de leurs collègues que de leurs patients

(Browning, Torain, & Patterson, 2011), améliorerait la QVT des soignants en contrecarrant les effets néfastes de l’intensification du travail (Brousseau et al., 2016) et en offrant une alternative durable et crédible au Nouveau Management Public. Ce corpus théorico-pratique

49 est ainsi plébiscité chez les professionnels de santé, qui voient en lui une façon de réintroduire de l’humain dans le soin et dans la gestion et plus largement de redonner du sens à leur travail (Svandra, 2011).

Les travaux dont nous venons de rapporter les résultats, qu’il s’agisse des équipes de soins, de l’utilisation des réunions, de la démarche participative ou du care en santé, font fortement écho, comme nous avons tenté de le montrer, au travail de théorisation de la pratique qui a eu lieu dans le champ psychiatrique et a pu prendre le nom de psychothérapie institutionnelle. Nous tenions à débuter notre contextualisation en rappelant donc l’antériorité chronologique des apports en psychiatrie, afin notamment d’affirmer que les modèles de travail d’équipe à même de prendre soin des soignants se soutiennent certes d’un rapport à la pratique, mais aussi d’un rapport à l’histoire, qui tend aujourd’hui à passer au second plan. De nombreuses innovations managériales n’en sont pas tout à fait : voilà ce que nous dévoile la référence aux archives de l’histoire de l’organisation du travail en équipe. La psychiatrie a toutefois bien été touchée par certains phénomènes relativement nouveaux et qui lui sont propres : c’est à ce niveau d’investigation que nous devons maintenant continuer notre étude.

II. Contexte disciplinaire : quel sens donner à la

« santé mentale » ?

De nombreuses transformations interconnectées touchent depuis plusieurs années la psychiatrie, et plus globalement la santé mentale : hausse du recours aux soins sans consentement, (Coldefy & Fernandes, 2017), hausse du recours aux pratiques d’isolement et de contention dans les services d’hospitalisation (Isolement et contention dans les

établissements de santé mentale, 2016), difficulté à ouvrir les portes des services, insuffisance

des moyens humains (Robiliard, 2013) redoublant la pression mise sur les services d’hospitalisation du fait d’un virage ambulatoire rapide engendrant de nombreuses fermetures de lits et un raccourcissement considérable de la durée moyenne de séjour, déchargement du sanitaire dans le médico-social, et plus récemment fin programmée des

50 exceptions de certains hôpitaux psychiatriques à l’intégration dans des Groupements Hospitaliers de Territoire généralistes14. L’ensemble de ce contexte fait l’objet de multiples

recherches qu’il serait difficile de retracer précisément dans ce travail tant leur étendue disciplinaire est vaste, allant de l’orientation nationale des politiques publiques en matière de santé mentale jusqu’aux réalités des pratiques de terrain. Nous tenterons toutefois ici de brosser un rapide portrait de l’état économique actuel du paysage de la santé mentale adulte.

A. Préambule : financement et gestion des données patients en psychiatrie

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