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discorde, le tournant de la « désinstitutionalisation »

Chapitre 2. Cadre méthodologique d’une recherche de terrain en psychologie clinique

E. Répartition de l’échantillon des professionnels interviewés par tranche d’âge et sexe

IV. L’approche ethnographique : participer pour mieux entendre entendre.

Notre choix méthodologique, influencé par notre intérêt pour les nombreuses études sociologiques ou anthropologiques publiées sur la santé mentale, s’est porté sur une approche ethnographique par observations, entretiens semi-directifs et rédaction de journaux de recherches. Ce travail de terrain a donc dû commencer par un décentrement de notre point de vue situé de psychologue, qui était requis à deux égards : premièrement parce que notre attachement à notre corps de métier avait généré chez nous, comme nous l’avons dit, un certain nombre de prénotions face auxquelles nous savions devoir être vigilante ; d’autre part, il s’agissait pour nous, dans une recherche qui visait à comprendre le sens donné par les professionnels à leurs pratiques et à leur diversité, de nous méfier de la simplification ou de l’idéalisation des actes inhérente aux discours que nous produisons sur nos actions. Lorsque nous parlons de simplification, nous parlons de deux phénomènes distincts : le premier consistant, hors de l’action, à nous représenter notre action sous forme partiellement fantasmatique, forme dans laquelle la réalité des difficultés ou des ratés peut être amoindrie, le deuxième écueil consistant, comme cela peut être le cas dans des champs ou toute une partie du travail a lieu dans l’informel, en la difficulté des professionnels à nommer et valoriser ce qu’ils font :

169 « L’observation directe est aussi le seul moyen d’accéder à certaines pratiques : lorsque celles-ci ne viennent pas à la conscience des acteurs, sont trop difficiles à verbaliser ou au contraire, font l’objet de discours pré-construits visant au contrôle de la représentation de soi, voire lorsque ceux-ci ont le souci de dissimuler certaines pratiques » (Arborio, 2007, p. 26)

Si l’approche ethnographique est classiquement utilisée en anthropologie ou en sociologie, elle avait dans le cas de notre thèse l’avantage de correspondre à la nature descriptivo-interprétative de notre question de recherche (Anadón, 2006), portant sur les valeurs, représentations et pratiques d’un groupe spécifique : celui des « professionnels du champ de la santé mentale ». Il nous semblait donc important de proposer aux professionnels de les observer, tant afin de valoriser leur travail que d’amorcer les entretiens de façon plus naturelle.

Ceci nous amène à devoir préciser le type d’observation que nous avons choisie pour faire cette recherche, à savoir l’observation dite participante périphérique. L’observation participante est une méthode de travail de terrain non-expérimentale et inductive qui a pris sa source dans les travaux d’anthropologie de Malinowski et vise à placer le chercheur au plus près du quotidien et de la réalité vivante de son champ de recherches, dans des situations les plus variées possibles et toujours en interaction avec les sujets de l’étude (Guest, Namey, & Mitchell, 2013) : « Être un indigène parmi les indigènes et prendre un intérêt personnel à ce qui se passe, voilà sans doute les points d'ancrage fondamentaux de cette approche » (Aktouf, 1987, p. 149). Elle a l’avantage de déclencher chez le chercheur une empathie cognitive qui lui permet de comprendre a minima le point de vue de l’autre et de ne pas lui imposer d’emblée sa propre grille de lecture, engageant une démarche éthique tout au long de la recherche (Brelet, 2015).

Si cette méthode est souvent utilisée dans des protocoles longitudinaux au cours desquels les chercheurs doivent apprendre des langues, coutumes et normes distincts des leurs, notre proximité avec notre terrain de recherches nous a permis d’opter pour des terrains plus courts. Notre méthodologie consistait à demander le consentement du service entier à notre venue avant de déclencher le processus de signature d’un ordre de mission,

170 puis de demander à l’équipe de réitérer son engagement volontaire dans notre recherche au moment de notre arrivée et de notre présentation en réunion. Ce consentement était ensuite décliné en fonction des activités, entretiens et temps informels : façon pour nous de bien « annoncer la couleur » (Soulé, 2007), c’est-à-dire d’être transparente dans nos intentions d’observatrice extérieure quitte à générer - voire dans le but de générer -, en plus de l’expérience quotidienne, une réflexion nouvelle des professionnels à partir de notre présence dans leur service. En cela et du fait de notre positionnement disciplinaire ancré dans la psychologie, nous ne pouvions prétendre à une position d’objectivation participante, définie dans la sociologie bourdieusienne comme « l’objectivation du sujet de l’objectivation, du sujet analysant, bref, du chercheur lui-même » (Bourdieu, 2003, p. 43). La tension caractéristique de la posture dans laquelle se trouve le chercheur pratiquant l’observation participante se retrouvera dans notre quatrième chapitre, qui devra jouer le jeu du « dire sans dire », en relatant nos observations et les discours des professionnels de façon suffisamment anonymisée pour ne pas rompre le contrat passé avec eux (« décrire la réalité le plus fidèlement possible tout en ne dévoilant pas tout », (D’Arripe, 2015)), mais aussi dans une position de non-jugement afin de ne pas céder à une tentative d’analyse institutionnelle des structures visitées qui aurait flirté de trop près avec une démarche d’audit.

Selon les mots du psychiatre Jean-François Allilaire, l’observation participante a fondé la démarche psychiatrique elle-même (1998) ; plus encore, si notre discipline de rattachement, à savoir la psychologie clinique d’orientation analytique, demande au praticien en position de thérapeute d’abandonner le regard au profit de l’écoute, l’utilisation de l’observation participante fait aussi partie intégrante des outils à sa disposition :

« L’observation de la socialité avec une démarche implicative est appelée « observation participante ». Un exemple en est l’observation d’un sociologue ou d’un anthropologue qui va vivre avec une communauté pendant un certain temps pour en comprendre l’organisation, les logiques. Dans nos pratiques, on reprend ce type d’observation lorsqu’on va à domicile, dans un lieu de vie d’un enfant (l’école, la crèche, etc.) ; on fait de l’observation clinique participante. » (Ciccone, 2012, p. 56)

171 Cette méthode de recueil de données prenait donc toute sa pertinence à plusieurs égards : elle était en premier lieu la méthode de travail principale des professionnels dans les structures que nous étudiions. Mais plus encore, partant du principe que notre présence allait nécessairement modifier le travail fait dans les services où nous nous rendions (Arborio, 2007) dans la mesure où ce travail était en majeure partie relationnel, et du fait de notre choix d’opérer par semaines de terrain (5 jours ouvrés dans chaque structure, d’un lundi à un vendredi), la participation active aux ateliers et consultations allait devenir notre outil principal afin de nous faire accepter dans les établissements. Les professionnels s’avéraient en effet plus enclins à partager avec nous leur conception de l’activité de soins et d’accompagnement une fois que nous avions, dans une dynamique d’échange, partagé un moment de leur travail et découvert leur savoir-faire. C’est un infirmier avec qui nous avons participé à un atelier d’éveil musical qui nous a donné la confirmation de cette intuition lorsque nous discutions des conditions de notre présence :

« Fascinée par sa présentation des instruments, qu’il me tendait pour que je joue dessus, je lui ai demandé s’il accepterait que je vienne. Il me dit alors : « oui, à une seule condition : que tu participes à l’atelier et que tu ne sois pas qu’observatrice » (47JB-2).

L’observation participante nous permettait donc, en même temps, de nous décaler de notre référentiel thérapeutique pour rentrer dans un processus de recherche, tout en respectant le cadre méthodologique de notre discipline, avec des enrichissements venant des sciences humaines et sociales. En cela, nous rejoignons l’affirmation de Barbara Kawulich (2005), lorsqu’elle écrit :

« le rôle [du chercheur] permettant l’approche la plus éthique de l’observation est celui de l’observateur-participant, puisque les activités d’observation du chercheur sont connues du groupe d’étude, mais que le chercheur se concentre

172 sur la collecte de données plus que sur la participation à l’activité étudiée » (p. 9, traduction libre)68

Cette observation participante, tenant comme nous l’avons dit plus haut d’une forme de clinique de l’activité, n’est pas non plus sans lien avec une démarche de sociologie de la quotidienneté du travail décrite par Pierre Bouvier (Bouvier, 1983), qui s’attache :

« […] aux attitudes de l'homme au travail et aux dysfonctionnements que déterminent organisation et mutation des processus de production. La démarche privilégie, généralement, une approche tournée vers les petits groupes et leurs interactions.[…] Les travaux proches de [cette] démarche se remarquent par leur capacité à interroger en profondeur des pratiques et des représentations quotidiennes. Ce type de recherche s'est développé, entre autres, aux Etats-Unis. Il introduit la psychologie et la psychanalyse dans le champ de l'étude des faits sociaux et permet ainsi une compréhension souvent plus une des interrelations » (p. 134)

Cette observation participante s’est ainsi poursuivie jusque dans nos notes, en fonction des conseils prodigués par le guide de l’enquête de terrain de Beaud et Weber (Beaud & Weber, 2017) :

« Les outils de l’observation, remarquer in situ, mémoriser, noter sont les mêmes […] Là aussi, l’observation consiste en une tension entre la prise de parti, l’ « engagement », et la « distanciation » […] engagé lors de l’événement et

68 “[…] the role providing the most ethical approach to observation is that of the observer as participant, as the

researcher's observation activities are known to the group being studied, yet the emphasis for the researcher is on collecting data, rather than participating in the activity being observed » (Kawulich, 2005).

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détaché lors de la prise de notes : vertu « objectivante », « distanciatrice », de

l’écriture après coup ». (p. 143)

Compte tenu de nos terrains et de l’incertitude liée à l’interprétation que patients et soignants pouvaient faire de nos prises de notes dans des contextes institutionnels parfois complexes, nous avons préféré, le plus souvent possible, user de l’écriture dans l’après-coup. Si nous avions toujours un carnet à la main lors de nos déplacements, nos récits les plus complets sont ceux du journal de bord que nous avons tenu lors de nos semaines de terrain, tous les soirs. Ceci nous amène à devoir préciser l’une des principales limites de notre méthode : l’ensemble des relations mobilisées avec les professionnels nous ont fait jouer de bien plus nombreux rôles que celui de chercheuse. Du fait de notre participation et donc de notre engagement, nous avons été prise dans des alliances, des conflits mais avons parfois aussi été mise en position de clinicienne de l’institution. Nous préciserons ces enjeux lors de l’analyse de notre matériel.

V. Les entretiens. Construction du guide, mode de

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