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discorde, le tournant de la « désinstitutionalisation »

Chapitre 2. Cadre méthodologique d’une recherche de terrain en psychologie clinique

B. Clinique d’orientation analytique

Il nous a donc fallu définir le statut d’une recherche clinique d’orientation psychanalytique et portant sur les institutions. Cette définition commencera par l’exclusion de trois approches. Premièrement, nous ne nous attarderons pas sur la perspective de la psychanalyse des institutions, menée par René Kaës, Eugène Enriquez et José Bleger entre autres (Kaës et al., 2000) car elle a tendance à assimiler les institutions aux groupes, autrement dit à évincer leur ancrage politique59. Deuxièmement, nous ne nous travaillerons pas non plus

avec le courant de l’analyse institutionnelle, qui en abandonnant le terme de psychothérapie s’est concentré sur l’aspect politique des phénomènes institutionnels – et qui par ailleurs procède plutôt d’un « élargissement de la perspective pédagogique » des sciences de l’éducation (Blanchard-Laville, Chaussecourte, Hatchuel, & Pechberty, 2005; Boumard, 1996), plutôt que d’une filiation directe avec le milieu psychiatrique et l’histoire de la psychothérapie institutionnelle. Schématiquement, nous pourrions dire que la psychanalyse des institutions se propose d’appliquer aux institutions sociales la grille psychanalytique, tandis que l’analyse institutionnelle au sens de René Lourau (Lourau, 1970) utilise tant la sociologie que les outils analytiques pour décortiquer ce qui se passe dans les institutions et en offrir une compréhension. Finalement, nous ne nous attacherons pas non plus au courant de la psychosociologie des institutions (Rouchy & Soula Desroche, 2010), au profit d’une plus grande communauté théorique avec certains praticiens belges inspirés par la psychothérapie

59 En témoigne par exemple cette définition donnée par Franco Fornari, qu’il justifie à partir d’extraits des écrits

dits « sociologiques » de Freud : « les institutions sociales peuvent être considérées et décrites comme des mécanismes de défense contre l’angoisse primaire persécutive et dépressive » (Fornari in Kaës et al., 2000, p. 95)

143 institutionnelle qui ont édité un Manuel de Pratiques Institutionnelles duquel nous nous sentons, dans le positionnement et les résultats de cette recherche, épistémologiquement proche (Meynckens-Fourez, 2013).

Francis Danvers spécifie les contours de l’approche clinique d’orientation analytique en disant qu’elle est « sensible aux vérités de l’inconscient, à la nature pulsionnelle des choix existentiels et aux conflits identificatoires » (Danvers, 2010, p. 110). Nous complèterons cette définition de l’approche clinique d’orientation psychanalytique grâce à la jambe politique du corpus de la psychothérapie institutionnelle. Si la P.I. fait partie du corpus des approches cliniques de l’institution, elle nous paraît avoir une spécificité importante, qu’il s’agisse de sa première vague – celle de l’article princeps de Daumézon et Koechlin - ou de sa seconde vague, plus ancrée dans la psychanalyse lacanienne, lorsqu’elle énonce que la phase d’analyse n’est pas une fin en soi mais un moyen de mettre en œuvre le projet de mieux soigner. Les outils que les professionnels ont pour penser, qu’il s’agisse d’outils sociologiques (et éminemment politiques) ou psychanalytiques, servent donc une visée prescriptive et programmatique : soigner l’institution veut bien dire y changer quelque chose, dans le sens d’un gain thérapeutique.

Cette approche peut paraître en contradiction avec les principes fondamentaux d’autres disciplines issues du champ plus large des sciences humaines et sociales (nous pensons ici notamment à la sociologie, dont le paradigme est plus souvent descriptif que prescriptif), mais elle reste à notre sens compatible avec les méthodes de travail que ces disciplines utilisent dans le monde de la recherche. Nous n’avons donc pas souhaité trouver ou appliquer une méthodologie spécifiquement d’orientation analytique, ni établir qu’il était possible de faire de la recherche « en psychanalyse » ; bien plutôt, la combinaison de méthodes que nous avons utilisées pour cette recherche était destiné à indiquer comment, à travers une méthodologie non-imprégnée de psychanalyse, il était possible d’obtenir un matériel analysable grâce à des outils conceptuels psychodynamiques voire de montrer, en écartant nos biais de départ, la pertinence d’une grille de lecture clinique inspirée par la psychothérapie institutionnelle.

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C. La « psychologie fondamentale de terrain »

Au fur et à mesure de nos expériences de terrain, nous avons toutefois aussi ressenti le besoin de nous référer, même momentanément, aux paradigmes de la psychologie du travail les plus proches d’une clinique d’orientation analytique, à savoir la psychodynamique du travail, portée par Dejours, et la clinique de l’activité, portée par Yves Clot et l’équipe de psychologie du travail du Conservatoire National des Arts et Métiers. Même si la clinique de l’activité n’est pas notre référentiel théorico-pratique, la méthodologie adoptée par Clot et ses collaborateurs pour articuler théorie et pratique de terrain tout en leur gardant des espaces et des temps séparés (contrairement à la recherche-action60) nous a paru pertinente

pour décrire la relation que nous souhaitions développer entre notre présence sur le terrain et la présentation de nos résultats de recherche. Qualifiée de « psychologie fondamentale de terrain », cette façon de faire permet selon lui d’échapper à ce qu’il appelle une antinomie épistémologique :

« soit une recherche-action ouvrant sur un savoir fonctionnel mais localisé ; soit une recherche experte où la généralisation bute sur les impasses de « l’application ». Or, on peut échapper à ce dilemme inhibiteur en provoquant un développement de l’expérience et en étudiant ensuite les mécanismes généraux d’un tel développement. Ce dernier devient alors objet et méthode de recherche. L’analyse des mécanismes migratoires grâce auxquels un fonctionnement vécu change de place dans l’activité pour accéder à d’autres fonctions en s’y développant peut alors devenir l’objet d’une psychologie fondamentale de terrain » (Clot, 2007, p. 90)

60 « À propos du rapport entre action et recherche par exemple, la clinique de l’activité, à la différence de la

psychosociologie du travail, ne relève pas de la « recherche-action » mais de ce que l’on appelle une « recherche fondamentale de terrain » (Clot, 2008a). Dans cette voie, le temps de l’action et le temps de la recherche se veulent nettement distincts » (Bonnefond & Clot, 2018, p. 3)

145 S’il nous paraît difficile d’affirmer que notre présence dans les établissements où nous nous sommes rendue a donné lieu à un « développement de l’expérience », il est cependant évident que le fait même de notre présence a modifié les phénomènes que nous étions venue observer. L’observation n’avait alors pas le but premier de restituer objectivement la réalité des pratiques professionnelles, mais bien de se faire le support d’un discours que les professionnels volontaires allaient, en notre présence et parce que nous étions présente, être amenés à porter sur leurs propres pratiques.

Tenter de déterminer le degré de convergence ou de divergence des problématiques soulevées par les promoteurs de la psychothérapie institutionnelle et les professionnels d’aujourd’hui a toutefois impliqué de comparer deux corpus de données distincts et différents. Nous nous sommes donc penchée sur les travaux méthodologiques d’autres disciplines, notamment pour l’enquête de terrain, mais aussi sur des travaux plus proches de nous, en psychologie, afin de définir une méthode commune d’analyse des données recueillies : l’analyse thématique.

Nos données sont certes de natures différentes, car elles ont été récoltées selon deux méthodes distinctes (étude de documents et enquête de terrain), mais elles constituent deux parties complémentaires de nos résultats de recherches car l’analyse de l’une n’aurait pas de sens sans l’analyse de l’autre. Ainsi notre corpus « ancien », issu de documents produits par les auteurs de la psychothérapie institutionnelle et qui a été traité par analyse thématique séquenciée, a-t-il donné des résultats qui ont servi de base à l’analyse des données issues de nos recherches de terrain. Plutôt que de présenter notre méthodologie dans l’ordre chronologique des actions réalisées, nous décrirons les étapes de cette recherche en fonction de l’ordre dans lequel apparaîtront les résultats ci-après : l’étude de documents proposée à partir d’un corpus bien délimité d’écrits référés à la psychothérapie institutionnelle dans un premier temps, et le travail sur les données récoltées grâce à nos observations et nos entretiens sur le terrain dans un second temps.

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II. Délimitation et étude du premier corpus : la

« psychothérapie institutionnelle »

« Certains de nous, en effet, se réclament de pratiques qui apparaissent à d’autres difficilement applicables, voire utopiques et, sinon erronées, du moins fort contestables. Un refus d’en débattre aurait sérieusement altéré nos rapports et une communauté de vue, que je crois certaine malgré de multiples divergences, et qui est la raison même de notre existence en tant que groupe de travail » (L. Le Guillant, 1984, p. 139)

« Toute thérapeutique est transformation du milieu au sens le plus large du mot » (Simon, 1929, p. 86)61

Parler de psychothérapie institutionnelle n’a rien d’évident. Le terme a une histoire, et comme le soulignait Philippe Rappard en 1983, « la psychothérapie institutionnelle est aussi liée à la structure de l’état national où elle s’exerce. Daumézon et Koechlin, dans leur article de 1952, titraient « Psychothérapie institutionnelle française contemporaine ». Hic et nunc, c’était la France et l’époque des années 50 » (p. 455). Depuis l’article princeps de Daumézon et Koechlin, le mouvement de la P.I. a en effet connu, de l’avis même de ses créateurs, plusieurs vagues distinctes et il a donné lieu à de multiples expériences partout sur le territoire français. Jean Oury avait prédit en 1970 que cette multiplicité des expériences risquerait un jour de faire le lit de la disparition de ce mouvement :

61 L’ouvrage classique d’Hermann Simon, Pour une thérapeutique plus active à l’hôpital psychiatrique, publié en

Allemagne en 1929, a été traduit à Saint-Alban mais n’a pas été édité en France. Le document dactylographié traduit est toutefois disponible à l’adresse suivante : http://www.dimensionsdelapsychanalyse.org/wp- content/uploads/2017/10/Hermann-Simon-Une-th%C3%A9rapeutique-plus-active-%C3%A0-lh%C3%B4pital- psychiatrique.pdf.

147 « c’est certain qu’il peut y avoir là un danger : tous ces courants de psychothérapie institutionnelle se présentant comme des courants subversifs, cela risque de déclencher une telle réaction que la pratique de la psychothérapie institutionnelle sera barrée ». (J. Oury, 2016, p. 47)

Souvent en effet, dans une tentative de définir les différents courants les uns à partir des autres, l’accent a été mis sur leurs divergences et les particularités expliquant leurs réussites et leurs échecs. La psychothérapie institutionnelle apparaît pourtant aujourd’hui à ses détracteurs comme un mouvement daté et flou, sans cohérence historique d’ensemble. Face à l’unité affichée de courants comme la réhabilitation psychosociale ou le rétablissement, qui proposent aux services de soins de s’orienter vers des buts précis sans pour autant leur fournir de techniques organisationnelles collectives à même d’y parvenir, il nous faut affirmer et prouver le contraire. Ainsi, justifier le choix des textes auxquels nous ferons plus particulièrement référence relève déjà, à notre sens, d’une tentative de montrer que les prescriptions de l’organisation du travail proposées par la psychothérapie institutionnelle sont éclairés par son histoire, sans pour autant pouvoir être confondus avec elle, ni avec ses premiers lieux d’ancrage.

Nous avons utilisé trois coordonnées dans notre recension de ce qui « faisait partie » du corpus de la psychothérapie institutionnelle : la référence à Tosquelles et à l’expérience saint- albanaise, l’auto-identification des acteurs comme faisant partie du mouvement de « psychothérapie institutionnelle » et l’acceptation (ou a minima la neutralité) vis-à-vis des apports psychanalytiques lacaniens. Ce n’est qu’en croisant ces trois axes que nous avons pu définir le périmètre qui a guidé l’écriture de notre grille d’analyse thématique.

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