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discorde, le tournant de la « désinstitutionalisation »

Chapitre 2. Cadre méthodologique d’une recherche de terrain en psychologie clinique

B. Méthode d’analyse du second corpus : la révision des opérateurs.

Notre second corpus de données, récolté au cours de notre travail de terrain, est constitué de plusieurs sets de natures différentes. Les entretiens sont au nombre de 85, allant de 25 minutes à plus d’une heure et intégralement retranscrits et analysés par nous. Comme stipulé dans notre tableau récapitulatif, sept d’entre eux ont été effectués dans un CMPP utilisant la psychothérapie institutionnelle comme référentiel principal des pratiques. Si le monde de la santé mentale infanto-juvénile ne correspondait certes pas à notre terrain de

69 “Thematic networks are presented graphically as web-like nets to remove any notion of hierarchy, giving

180 recherche, la possibilité de faire ces entretiens dits de cadrage peu avant de commencer nos entretiens de thèse nous est apparue comme une opportunité intéressante d’affiner et notre grille d’entretien et notre grille d’analyse, en fonction d’un premier repérage sur le terrain des fondamentaux d’une pratique orientée par la P.I. Ces entretiens porteront la lettre C au début de leur code individuel.

Les entretiens étant cependant insuffisants en tant que tels, ils seront parfois présentés au regard de nos observations de terrain, consignées dans nos journaux de recherche (stylo- papier en cours de journée et dactylographiés en fin de journée).

Le troisième type de document auquel nous ferons référence consistera en les écrits produits par les structures visitées : plaquettes de présentation des services, fiches d’ateliers divers, organigrammes, notes de services (parfois sous formes de photographies prises sur nos terrains). Nous traiterons ces trois sets de données comme des documents ayant une valeur égale devant notre processus d’analyse thématique, étant toutefois entendu que le volume total des entretiens – 1000 pages - dépasse largement le volume des deux autres types de données collectés.

Ces trois sets de données introduits, il nous faut dès à présent dire quelques mots de la construction de notre grille d’analyse. Constituée à partir d’un corpus de textes émanant des psychiatres promoteurs de la « psychothérapie institutionnelle », elle comprend huit thèmes que nous avons opérationnalisé afin de savoir où, quand, et quoi chercher dans notre matériel. Ces thèmes, que nous avons appelés « opérateurs » et dont une description fine sera donnée dans notre troisième chapitre, sont listés ci-dessous. Pour chaque opérateur sont notées les informations que nous souhaitions récupérer dans nos données lors de nos terrains :

- Opérateur n°1 : Distinction statut, rôle, fonction. Dans les entretiens : quel rapport du professionnel à son propre statut ? Quelle définition de sa fonction et de la fonction des autres ? Dans les observations : quel rôle de chacun dans le fonctionnement de l’institution ? Cette seconde question étant particulièrement indiquée pour les directeurs et les cadres, mais aussi pour certains professionnels lorsqu’il apparaît qu’ils sont en position de leader.

181 - Opérateur n°2 : Coefficient thérapeutique de la vie quotidienne. Dans les entretiens : Y a-t-il des occurrences d’exemples de la vie quotidienne (cuisine, logement, informel) ? Met-on en avant l’idée du thérapeutique ou de la réhabilitation ? Dans les observations, notamment de groupes proposés : vers quels types d’attitudes les professionnels s’orientent-ils ? Thérapeutique, éducatif… ?

- Opérateur n°3 : Mode de relation : le « faire avec » ou le « faire ensemble ». Dans les entretiens : trouve-t-on des anecdotes, termes ou formulations évoquant des actions conjointes patients/soignants, usagers/accompagnants ? Dans les observations des groupes : comment les professionnels se positionnent-ils dans les groupes/activités avec les patients ?

- Opérateur n°4 : Fonction de direction clinique et organisationnelle partagée. Dans les observations : des réunions sont-elles mises en place, si oui sont-elles régulières ? Comment s’y distribue la parole ? Dans les entretiens : les entretiens seront utilisés pour compléter, notamment si je n’ai pas pu assister à une réunion. Lorsque c’est le cas, enquête : pour quelles raisons n’y a-t-il pas eu de réunion : manque de temps, une fois tous les quinze jours, inutilité supposée ? Et où se prennent les décisions si ce n’est pas en réunion ?

- Opérateur n°5 : Libre-circulation… ou sa mise en échec. Dans les observations : la libre-circulation dans l’institution sera questionnée mais aussi la possibilité pour les patients/usagers de se déplacer entre les différentes institutions qui les accompagnent, ou simplement dans la ville, et ce que l’institution visitée fait pour garantir leur droit à la libre-circulation. Les entretiens serviront à compléter et approfondir les observations.

- Opérateur n°6 : Fonction d’accueil. Seront différenciés accueil et réadaptation : la fonction d’accueil est plus proche d’une forme de tolérance revendiquée à la folie. Dans les entretiens : y a-t-il des discours prônant la tolérance (adaptation de la société à la folie) ou plutôt le mouvement inverse, à savoir la réadaptation du patient à la

182 société des normaux (travail, famille, logement) ? Dans les observations : Comment les patients sont-ils accueillis sur le lieu le matin ou au moment de leur arrivée ?

- Opérateur n°7 : Perspective globale : ne pas suraliéner, autrement dit ne pas rajouter de la pathologie institutionnelle à la pathologie du patient. Dans les entretiens : implique qu’il y ait des références à la dynamique de l’institution, ou à l’effet de l’ambiance sur les patients. Les observations pourront servir d’appui à la parole en entretien. Cet opérateur étant assez spécifique à la psychothérapie institutionnelle, le simple fait de savoir si nous pourrons le retrouver (plutôt que sous quel mode) est en soi une question de recherche. Les occurrences de termes comme la « désinstitutionalisation » seront prises en compte.

- Opérateur n°8 : Greffer de l’ouvert : Axé sur la création de partenariats dans l’institution et au dehors. Dans les entretiens : cet opérateur correspond à notre avant- dernière question au sujet des partenaires et des relations avec eux. Dans les observations : y a-t-il des réunions avec d’autres institutions au dehors, des appels, des visites ?

Malgré la tentative de rationalisation de notre grille de recherche et d’analyse, il est nécessaire de signaler l’une des limites de notre méthodologie : en passant une semaine dans chaque structure, il nous était impossible de tester tous les paramètres énoncés ci-dessus dans chacun des lieux visités. Nous avons donc privilégié, en cohérence avec notre démarche clinique, un recueil de données qui laissait émerger ce qui travaillait le plus les équipes au moment de notre venue. Nous pourrons ainsi émailler notre quatrième chapitre d’illustrations cliniques et d’anecdotes anonymisées lorsque la situation d’une institution viendra particulièrement toucher à l’opérateur traité.

Notre corpus de données sera étudié par analyse thématique hypothético-déductive, à partir des contributions de King (2004), Braun et Clarke (2006) et Paillé et Mucchielli (2013) à ce sujet. La plupart des auteurs ayant théorisé l’analyse thématique distinguent le procédé inductif, fortement ancré dans les données, du procédé hypothético-déductif, par essence

183 plus théorique. Braun et Clarke (2006) soulignent en effet que le type d’analyse choisi est déterminé par la question de recherche ; elles distinguent ainsi les deux grands types d’analyse :

« Une analyse thématique “théorique” a tendance à être guidée par l’intérêt théorique ou analytique du chercheur dans le domaine, et est ainsi plus explicitement dépendante de celui qui analyse. Cette forme d’analyse thématique fournit une description globalement moins riche des données, au profit d’une analyse détaillée de certains aspects. De plus, le choix entre inductif et théorique correspond au pourquoi et au comment l’on code les données. On peut coder soit pour répondre à une question de recherche assez précise (ce qui correspond à l’approche plus théorique) ou la question de recherche spécifique peut évoluer au cours du processus de codage (ce qui correspond à l’approche inductive) »70 (p.

84, traduction libre).

Un bon exemple d’analyse thématique inductive, tenant compte de la richesse du matériel récolté, peut être trouvé dans le rapport du Groupe de Recherches en Soins Infirmiers (GRSI) sur l’impact de l’informel dans le travail infirmier en psychiatrie adulte (2012), dont la grille d’analyse thématique s’inspire de la psychothérapie institutionnelle, de la psychodynamique du travail et de la praxéologie – à ce titre, nos deux recherches nous paraissent d’ailleurs éminemment complémentaires. Toutefois, sur leurs 43 entretiens réalisés, les chercheurs Jean-Paul Lanquetin et Sophie Tchukriel ont extrait par théorisation ancrée 139 fonctions du travail infirmier, tandis que nos 85 entretiens ont servi à l’évaluation

70 “a ‘theoretical’ thematic analysis would tend to be driven by the researcher’s theoretical or analytic interest

in the area, and is thus more explicitly analyst- driven. This form of thematic analysis tends to provide less a rich description of the data overall, and more a detailed analysis of some aspect of the data. Additionally, the choice between inductive and theoretical maps onto how and why you are coding the data. You can either code for a quite specific research question (which maps onto the more theoretical approach) or the specific research question can evolve through the coding process (which maps onto the inductive approach)”

184 de la place de huit opérateurs. Cette différence s’explique, comme le soulignaient Braun et Clarke, par des questions de recherches qui n’appellent pas le même traitement du matériel. La question de Lanquetin et Tchukriel était avant tout exploratoire :

« En quoi l’informel dans la pratique infirmière en psychiatrie constitue-t-il un savoir spécifique susceptible de favoriser l’affirmation du rôle propre infirmier en unité d’hospitalisation adulte temps plein ? »

Notre question était quant à elle hypothético-déductive et focalisée sur un courant particulier :

« Dans quelle mesure la psychothérapie institutionnelle est-elle encore un ensemble théorico-clinique pertinent pour rendre compte du travail pluriprofessionnel en santé mentale et l’analyser ? ».

Compte tenu de notre parcours, de nos présupposés épistémologiques et de la nature de notre question de recherche, une approche totalement inductive n’était pas possible : notre mode d’analyse du matériel récolté est en effet principalement destinée à mesurer la proximité ou l’écart entre les conceptions de notre premier corpus de données et celui des données récoltées pendant nos semaines de terrain.

Le codage du matériel récolté pendant l’enquête s’est fait en deux salves, suivant les termes de Paillé et Mucchielli : « l’analyse thématique consiste, dans ce sens, à procéder systématiquement au repérage, au regroupement et, subsidiairement, à l’examen discursif des thèmes abordés dans un corpus » (2015, p. 232). Il nous a donc premièrement fallu grossièrement repérer, comme nous l’avions fait dans le corpus de la psychothérapie institutionnelle, les concepts opératoires à l’œuvre dans les discours de nos interviewés - ceux-ci étant, dans le vocabulaire de l’analyse thématique, l’équivalent des thèmes. La question sous-tendant ce codage était de savoir si les thèmes abordés par la psychothérapie institutionnelle l’étaient encore par les professionnels d’aujourd’hui. Ce type de codage général ne pouvait être fait ligne à ligne, mais consistait bien plus souvent en des longs

185 paragraphes d’explication, car les concepts opératoires de la P.I. relevaient d’une construction idéique complexe qui demandait à être développée sur plusieurs phrases afin que tous les éléments soient présents. Si nous prenons l’exemple de notre quatrième opérateur, à savoir la fonction de direction et de décision partagée, jamais l’expression n’apparaissait seule et telle quelle dans les entretiens. L’idée fondamentale de cet opérateur, à savoir que les

décisions cliniques concernant l’usager devaient être prises à plusieurs grâce à l’outil de la réunion pouvait cependant être retrouvée lorsque les professionnels parlaient de comment

se passaient leurs réunions, de qui était invité ou non, de qui se sentait autorisé ou non à prendre la parole, de leur frustration de ne pas être écoutés ou de constater que leur chef de service prenait les décisions concernant les patients sans se soucier de leur avis. Ce premier codage par morceaux de nos entretiens a donc reposé sur une analyse interprétative destinée à comprendre, derrière leurs formulations conscientes et concrètes, ce que les professionnels avaient voulu nous dire. Cette approche peut être dite interprétative dans la mesure où elle suppose, en accord avec notre positionnement disciplinaire, qu’un matériel autre que celui du discours conscient existe et qu’il revient au chercheur de le faire émerger.

La deuxième vague de codage a été faite à l’intérieur de nos extraits thématisés afin cette fois de déterminer comment les professionnels abordaient les thèmes/opérateurs, c’est- à-dire quelles justifications et quelles articulations ils utilisaient pour en parler : il s’agissait donc de déterminer le degré de convergence ou de divergence des sous-thèmes avec ceux donnés par la psychothérapie institutionnelle, afin de procéder à une révision des concepts opératoires de la P.I. en fonction des éléments apportés par les professionnels de la santé mentale. Pour reprendre l’exemple de notre quatrième opérateur, si les professionnels semblaient toujours penser qu’il était nécessaire de prendre les décisions cliniques collectivement (même thème/opérateur), la pluriprofessionnalité et la diversité des métiers impliqués dans le soin et l’accompagnement avaient fait de la question des langages professionnels un sous-thème qui n’était pas théorisé comme tel par la psychothérapie institutionnelle mais qui méritait, en tant qu’obstacle potentiel à la communication et objet d’investissements narcissiques forts, de faire partie de sa version révisée. Nous proposerons donc, dans chaque sous-partie de notre quatrième chapitre, de développer les opérateurs de la psychothérapie institutionnelle dans leur version révisée puis de discuter, en fin de sous- partie, de la proximité de cette version révisée avec la version du corpus historique de la P.I.

186 au moyen d’un tableau récapitulatif. Nos observations consignées dans nos journaux de bords et les documents récoltés sur le terrain serviront d’illustrations cliniques lorsque les situations rencontrées sur le terrain semblaient faire jouer un opérateur en particulier, cas de figure qui s’est d’ailleurs souvent présenté.

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Chapitre 3. Premiers résultats de l’analyse thématique : les

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