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PÉDAGOGIE : DE LA FIGURE AU MOUVEMENT

3. Le jeu social des mouvements pédagogiques

3.2 Les mouvements pédagogiques aux prises avec les politiques éducatives

Qu’en est-t-il dans la réalité aujourd’hui ? Quels sont les liens existant entre les Mouvements pédagogiques ainsi reliés ? Et quel est l’état des liens entre l’INRP et les Mouvements pédagogiques ?

Le CLIMOPE se réunit régulièrement. Il permet l’échange sur certains éléments des

« théories pratiques » des différents groupes suivant l’actualité, les luttes à mener. Surtout, peut-être, quand les groupes se retrouvent d’accord sur leurs désaccords communs avec les politiques éducatives. Ils ne représentent pas (encore ?) un lieu de mise en commun des diverses « théories pratiques » de chaque groupe très organisé. Une véritable mutualisation des savoirs construits par les uns et les autres n’a pas encore lieu. Mais celle-ci est aujourd’hui engagée. Ainsi a-t-on vu se tenir en 2007 les premières Assises de la pédagogie à Paris, avec la participation de représentants de tous les groupes du CLIMOPE et d’autres mouvements. Et la présence de chercheurs comme Meirieu ou Rochex. On voit aujourd’hui se mettre en place des colloques organisés en commun, ou sous l’impulsion d’un des mouvements mais n’oubliant pas d’inviter les autres mouvements.

À l’heure de la relecture de ma thèse, j’ai demandé une information complémentaire sur l’état des liens existant aujourd’hui entre le CLIMOPE et l’INRP, demande faite à Michel Ducom, représentant du GFEN pour ce comité. Sa réponse, s’est révélée être aussi celle d’un des co-créateurs de ce comité. Ce qui est intéressant en soit sur le plan historique. Mais elle montre aussi très bien, en quelques mots (écrits rapidement pour répondre à ma question attendant une réponse dans l’urgence), la question des liens ambigus qui existent entre l’INRP et les différents mouvements pédagogiques. On peut percevoir ainsi, dans ce court témoignage, les jeux de pouvoir entre les Mouvements, comme à l’intérieur de ceux-ci, et ceux qui existent entre l’INRP, cette institution nationale mise officiellement au service de la recherche pédagogique et les Mouvements pédagogiques réalisant une recherche pédagogique que personne ne leur a demandé de faire.

Il n’est pas inutile de souligner que si, comme nous l’avons vu, les mouvements pédagogiques du CLIMOPE agissent en France, officiellement soutenus par l’institution nationale comme mouvement de recherche et de formation, ils jouissant aussi d’une liberté critique forte, qu’ils réclament, mais qui peut, à tout moment, leur faire perdre ce soutien national. Moins qu’un pédagogue solitaire néanmoins. Mais cette situation n’est jamais à oublier. C’est en effet parce qu’il y a aujourd’hui des groupes institués agissant à l’intérieur d’un CLIMOPE lui aussi institué, que ces Mouvements pédagogiques parviennent à entretenir un lien avec les institutions d’état et à offrir certaines formations dans leurs lieux. Et je me risque à faire l’hypothèse que c’est parce que certains de ces mouvements pédagogiques jouent actuellement plus le jeu de l’institution que d’autres à travers leurs formations offertes (la Ligue

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de l’Enseignement plus particulièrement) que l’ensemble de ces Mouvements pédagogiques continuent à recevoir des subventions. Très minces pour certains.

Relevons que le lien entre les recherches de l’INRP et celles des Mouvements pédagogiques est actuellement très léger. La Chartes du 21e siècle avait fait espérer l’établissement d’un lien fort. Mais cet espoir a disparu dès le départ de Meirieu. Il est aujourd’hui particulièrement faible.

Voici ce qu’a précisé Michel Ducom22 :

C'est en 1982 qu'a été évoquée pour la première fois l'idée d’une nouvelle coordination.

Le Centre de Liaison des mouvements d’Éducation Nouvelle (le CLEN – créé en 1966 par les CEMEA, le GFEN avec Gaston Mialaretet le CRAP-Cahiers Pédagogiques – était alors dissout depuis quelques années.23

J'ai vu dans un Bureau National du GFEN, Laure Aumigny —qui représentait le GFEN au CLEN— demander la position du GFEN devant l'interrogation qu'avait le CLEN sur sa propre efficacité. Henri Bassis s'était aussitôt prononcé pour sa disparition. À cette époque, quand Henri parlait, la mode c'était d'être d'accord. À la fin de ce BN, Claude François Unger et Gloton me firent la cour (j'étais jeune !) en me disant qu'il fallait tout faire pour rapprocher le GFEN et l'ICEM...

Ce n'est que plusieurs années après la dissolution du CLEN, que je pus agir avec une certaine latitude : en 1982, c'était le moment ou jamais. La gauche avait pris le pouvoir.

J'ai donc obtenu l'autorisation de faire partie d'une délégation auprès du CECOMCEN (le Comité de Coordination des Oeuvres Mutualistes et Coopératives de l'Éducation Nationale) qui comportait une trentaine d'associations et où le GFEN était parfois invité (pas le temps, disions-nous, d'en faire partie). En fait le CECOMCEN servait de liaison aux mouvements vivants comme le GFEN et quelques autres et de pantouflage à quelques autres. Il était de fait dirigé par la Ligue de l'enseignement, Jeunesse au Plein air et les Francas, et en cette fin 82 tout le monde sentait que la gauche cherchait des propositions pour modifier l'école. Donc nous y allâmes. Réunion catastrophique, rien n'avançait, mais à la sortie Jacques George proposa à Dominique Grandière et à moi-même, qui représentions le GFEN, de nous mettre en coopérative avec l'ICEM pour faire nos revues... Je lui ai proposé d'aller plus loin en faisant une sorte de CLEN qui aurait cet objectif mais aussi celui de mieux nous connaître, de mutualiser nos outils. Cela lui semblait une contre-proposition, mais aussi un compromis, et il accepta. Rendez-vous fut pris pour la réunion suivante du CECOMCEN – toute aussi nulle – pour qu'aussitôt après on voie ce qu'on pouvait faire. Là, Dominique et moi, nous avons fait cette proposition : mettre la réunion sous les auspices de l'INRP, pour que cette sorte de CLEN soit identifié sous son image de coordination de mouvements-chercheurs, et pour nous relier à l'histoire.

L'élargissement à l'ICEM (petit mouvement) s’accompagna de l’accueil de La Ligue de l’Enseignement (gros mouvement). Je pensais —et j'ai eu raison— que le CLIMOPE devait exister avec la Ligue, pour au moins être toléré par elle. C'était ce qu'il fallait

22 Michel Ducom, GFEN (réponses aux question E. Vellas. 28 et 30 novembre 2007)

23 Cette création du CLEN était née d’un effort fait par le président du GFEN Gaston Mialaret pour mettre fin aux petites guerres qui divisaient les forces de l’Éducation nouvelle en France. Après de nombreuses démarches, et avec l’aide d’André Berge représentant le mouvement Montessori, une première rencontre des mouvements avait été organisée aux CEMEA. Qui abouti à cette création du CLEN. EN 1969,au départ de Mialaret pour le Québec, la présidence du CLEN avait été confié à L. Cros.

faire, car chaque fois que la Ligue24 a voulu depuis se débarrasser du CLIMOPE, elle était embarrassée car elle était dedans. L’élargissment a aussi englobé les FRANCAS et les CEMEA.

Il nous fallut trois ans (avec 3 réunions par an) pour aboutir, en 1985, à la création du CLIMOPE et à ses deux règles de fonctionnement :

- Unanimité réclamée pour les décisions du CLIMOPE.

- Responsabilité annuelle d'un mouvement par ordre alphabétique.

Jacques George (CRAP-Cahiers pédagogiques) a été ainsi l'initiateur de la coopération.

Dominique et moi avons transformé l'essai en dépassant le seul point qui intéressait Jacques. Les FRANCAS et les CEMEA de l'époque nous ont apporté une énorme réflexion sur la question institutionnelle.

Le lien avec l'INRP a pris la forme, au début du CLIMOPE, à partir de 1985, d'un travail commun. Puis ça s'est ralenti selon les différents directeurs de l’INRP.

Avec Meirieu directeur de l’INRP25 il y a eu une véritable volonté de travail avec le CLIMOPE, et il a été l'exemple de ce que devrait être un directeur de l'INRP de ce point de vue. Il a associé les mouvements à ses projets d'expérimentations, il a cherché et réussi à ce que l'INRP fasse mieux connaître le CLIMOPE et ses mouvements.

Malheureusement il n'a pas été là assez longtemps pour que nous puissions asseoir fortement un travail commun dans la durée. Mais les choses étaient bien engagées.

Annette Bon a été la cheville ouvrière des relations INRP - CLIMOPE depuis le tout début, tant qu'elle a été secrétaire des différents directeurs de l'INRP, assurant la continuité du souci des relations. Elle a toujours su et voulu maintenir le lien entre nos deux institutions, même quand les mouvements flanchaient. Elle est à la retraite depuis deux ans, mais continue à jouer ce rôle dans l’Association pour la promotion des recherches et des innovations en éducation et en formation (APRIEF) où elle milite.

C'est une femme assez extraordinaire. L'INRP est co-organisateur avec l'APRIEF, association du regretté Jacky Beillerot, de la Biennale de l’Éducation. Le CLIMOPE est amené à faire une intervention importante chaque année dans ce cadre, puisqu'il est chargé d'un des 5 débats majeurs de la Biennale et des ateliers afférents à ce débat, ainsi que d'un café pédagogique, et nous tenons une table de littérature.

Les chercheurs estampillés INRP actuels sont parfois un peu condescendants pour les mouvements qu'ils jugent un peu dépassés, peu scientifiques. En même temps ils sont étonnés par ce que nous faisons et leur distance se transforme le plus souvent en respect, même s'il est parfois - et parfois justement - critique. Il arrive que ces chercheurs craignent un peu les mouvements : peuvent-ils être nos concurrents? Certains mouvements sont très puissants et bien placés... D'autres ont des idées tellement

24 La Ligue de l'enseignement a été créée en 1866. Mouvement d'éducation populaire, elle invite les citoyens à s'associer dans la lutte contre les inégalités, à débattre et à être acteurs dans la cité afin de construire une société plus juste, plus libre et plus solidaire visant àl'émancipation de tous. Pour ce faire, la Ligue de l'enseignement est présente sur l'ensemble du territoire par l'intermédiaire de : - 102 fédérations départementales, - 22 unions régionales, - 30 000 associations affiliées, - 2 000 000 d’adhérents. Ses domaines d'intervention sont très divers : organisation de vacances et de classes de découverte, organisation d'activités sportives et culturelles, actions internationales, débats, formations, lutte contre la précarité... Au travers de ces multiples activités, les principaux objectifs qu'elle poursuit peuvent se résumer ainsi : - agir avec les habitants sur leur lieu de vie, - agir dans les milieux populaires, - être actrice de l'Ecole, - oeuvrer pour la reconnaissance et l'expression de la diversité culturelle, - oeuvrer pour une citoyenneté qui s'exerce dans tous les espaces politiques.

25 Philippe Meireu a dirigé l’INRP de juin 1998 à mai 2000..

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extraordinaires qu'elles peuvent très bien devenir incontournables et faire de l'ombre aux recherches INRP... Comme d'habitude, ces craintes disparaissent chaque fois qu'un chercheur travaille pour une raison ou une autre avec un ou plusieurs mouvements du CLIMOPE, et vice versa...

L’histoire d’un mouvement pédagogique (et ce morceau d’histoire du CLIMOPE, racontée par un membre d’un de ces mouvements) alerte toujours sur le jeu qui existe entre politique de l’éducation, recherche en éducation institutionnalisée et recherche des mouvements pédagogiques.

Rappelons qu’à la naissance de l’INRP, celui-ci était appelé à être : - un lieu d’accueil et de développement de recherches pédagogiques ; - un centre de ressources documentaires en éducation.

Durant la dernière décennie, une politique volontariste de l’institut lui a progressivement donné un caractère universitaire. Depuis 2000, il est défini comme un établissement public national à caractère administratif placé sous la tutelle des ministres chargés de l’Éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Une recherche se voulant désormais scientifique.

Les Mouvements pédagogiques quant à eux, si ils sont reconnus officiellement comme lieux de recherche par l’État, sont finalement plus traités par l’Etat comme des lieux d’innovation que de recherche. Il se voient ainsi attribuer des mises à disposition d’enseignants n’ayant rien à voir avec les moyens financiers offerts aux lieux de recherches en éducation qualifiés de scientifiques.

Actuellement ce sont des équipes comme celle d’ESCOL ou des chercheurs comme Philippe Meirieu ou Michel Fabre qui parviennent le mieux à travailler avec les pédagogues et les Mouvements pédagogiques sur le plan de la recherche, parce qu’ils connaissent parfaitement la spécificité des «théories pratiques» des pédagogues, ne confondent pas leurs recherches et les savoris qu’ils élaborent avec ceux élaborés par la recherche scientifique. Parce qu’ils ont compris aussi qu’ils représentent des intermédiaires précieux, souvent manquant, entre recherches scientifiques et recherches pédagogiques. Chacune ayant leur logique propre.

Ce témoignage nous permet aussi de repérer, au passage, les liens de pouvoir qui existent entre les Mouvements pédagogiques et à l’intérieur de chacun d’eux (par ex. quand le pouvoir du savoir devenait pouvoir tout court chez un Henri Bassis alors leader du GFEN !).