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CHAPITRE 9

L’ÉCOLE À LA RECHERCHE D’UN SAVOIR REPROBLÉMATISÉ

Précisions épistémologiques

Pour montrer la spécificité de la démarche d’auto-socio-construction (DASC), en tant que situation élaborée par le GFEN, je me suis appuyée durant toute mon enquête sur diverses théorisations réalisées sur l'utilisation du problème en formation : celles de Meirieu (1990), Astolfi (1999), Arsaac, Germain et Mante (1998), De Vecchi et Carmona (1996, 2003), Fabre (1999, 2003).

Etant en recherche sur la question de la situation problème, parce que la « DASC » elle-même est souvent appelée situation-problème, j’ai proposé à Michel Fabre d’animer avec lui, en 2003, un symposium sur la question de la problématisation44. Ma thèse doit beaucoup à cette réflexion poursuivie ensuite avec ce chercheur (Fabre & Vellas, 2006).

On peut parler des situations d’apprentissage en des termes divers. Les pédagogues en parlent plutôt en terme d’outils ou de situations. Ce sont des moyens parmi d’autres mais servant aussi des objectifs parmi d’autres. Ils sont parfois regroupés sous l'appellation

«situations d'apprentissage types». En voici quelques-unes qui peuvent être repérées actuellement dans les classes. Leur mise en évidence, peut permettre de mieux situer la démarche d’auto-socio-construction parmi d’autres situations.

1. La « DASC » comme situation d’apprentissage parmi d’autres

Toute activité d'enseignement propose une situation d'apprentissage. Un ensemble de circonstances existentielles dans lequel se trouve impliqué chaque élève et auquel il donne des significations personnelles. A l'heure des théories constructivistes, les situations proposées cherchent toutes à provoquer l'activité mentale de l'enfant. Mais certaines ont des spécificités

44 Ce symposium était intitulé Situations de formation et problématisation. Il s’est déroulé à Genève les 18 et 19 septembre 2003 dans le cadre du “ Réseau Éducation Formation ” (REF), à l’Universié de Genève. Ce symposium a donné lieu un ouvrage collectif portant le titre du symposium (Fabre & Vellas, 2006).

propres qui se trouvent être en lien direct avec le type de significations des savoirs et des compétences à faire construire aux élèves.

Les situations d’apprentissage possédant certaines caractéristiques définissables permettant d’être distiguées les unes des autres, ont été construites par la recherche en éducation conduite au plus proche du terrain scolaire. Par des enseignants, par des pédagogues, par des didacticiens ou autres chercheurs en éducation travaillant en étroite collaboration avec des enseignants.

Elles apparaissent souvent comme ayant cherché à remplacer le cours ex-cathedra.

1.1 La rupture avec le cours ex-cathedra ; une «situation» trop exigeante

Le cours ex-cathedra est une mise en situation proposée à l'élève pour qu'il apprenne. Et ce type de situation peut être adéquat pour certains. Mais depuis toujours des pédagogues ont écrit que cette situation est trop exigeante pour de nombreux élèves. Souvent, reconnaissons-le, l’ont-ils dit de manière trop forte pour qu’ils ne soient pas violents symboliquement et pour qu’ils soient entendus. En quelque sorte, ces discours pédagogiques, disaient une chose simple : dans la situation d’un cours ex-cathedra beaucoup d'élèves ne sont pas « à la hauteur de la situation » rêvée par le maître. En effet, cette situation exige de celui qui se forme, non seulement une disponibilité à écouter, mais encore une écoute «active» pour qu'il puisse acquérir le savoir que le maître cherche à lui transmettre. Ce qui est exigé dans un cours ex-cathedra, c’est la capacité demandée implicitement à l’élève d'entrer véritablement dans la pensée du maître pour agir et interagir avec les significations du savoir, du savoir-faire, du savoir-être, voire de la compétence en question. C’est par la seule écoute qu’il est demandé à l’élève d’appréhender le discours du maître de manière réflexive et critique pour pouvoir

« détacher le savoir » de la pensée du maître. La critique du cours ex-cathedra chez les militants de l’ Éducation nouvelle porte sur cette double difficulté : 1) il représente une situation à laquelle trop d'élèves peuvent échapper au savoir. 2) il propose une situation trop peu émancipatrice parce que passant par le seul canal du maître. Les sciences de l’éducation sont venues aujourd’hui confirmer, de leurs divers apports, la pertinence de cette critique, montrant trop d’enfants trop seuls face au savoir transmis : les psychanalystes l’ont fait en analysant les enjeux du lien éducatif, de la relation intersubjective, les didacticiens en travaillant la question du contrat didactique, les sociologues en montrant de manière magistrale comment analyses macro et micro sociales sont à voir de manière dialectique pour comprendre les enjeux de l’indifférence aux différences. Ces analyses ont porté un coup sérieux dans la confiance en ces cours ex-cathedra réclamant aux élèves une telle intelligence de la situation qu’ils provoquent leur exclusion de la culture. Et bien souvent sociale.

Face à trop d’élèves observés dans une impossibilité de donner du sens au savoir lors de tels cours, d'autres situations d'enseignement/apprentissage ont été envisagées au fil du temps par les pédagogues.

1.2 Les types de situation d'apprentissage repérables dans les classes

Ces situations se trouvent aujourd'hui orientées, le plus souvent, par des finalités humanistes, une lutte contre l'échec scolaire et une tentative de répondre aux exigences des théories constructivistes de l'apprentissage. Ceux qui les proposent pensent en outre que tout moment d'instruction à l'école est aussi un moment d'éducation à vivre en société. Une société vue aujourd’hui, comme étant le plus souvent démocratique. Chez les pédagogues, les fondements des situations d'apprentissage proposées aujourd'hui se trouvent ainsi dans des

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valeurs déclarées et défendues : la démocratie, la culture dans sa diversité, la civilisation dans ses acquis, les droits de l’homme, la culture de paix. Des valeurs parfois défendues comme une forme de résistance à un néolibéralisme critiqué que certaines formes scolaires peuvent servir, quand elles ne sont plus en lien avec des objectifs finaux garantissant une certaine liberté de l'homme.

Prévoir des situations d'apprentissage c'est toujours parler de situations espérées. Car la situation réellement vécue, du moins pour le constructiviste, est toujours celle que chaque personne en formation, enfant ou adulte, vit. Voici un petit tour d’horizon n'abordant qu'une infime partie des situations les plus envisagées actuellement et repérables dans les classes ou situations de formation :

- Situations larges confrontant à des problèmes : Projet individuel, projet collectif, projet coopératif.

- Situations confrontant à des problèmes programmés : Situations-problèmes, problèmes ouverts, problèmes sans question, démarches d'auto-socio-construction, enquête.

- Situations de jeux sociaux : jeu symbolique, jeu de rôle, jeu de simulation.

- Situations de régulation —plus ou moins coopérative— de la vie et du travail scolaire : Quoi de neuf, Conseil de classe, Conseil d'école, Conseil méthodologique. Ou situations provoquées par de petit outils du type « Ça va, ça va pas ».

- Situations d'évaluation : séance d'évaluation portant sur ses avancées personnelles (tests variés, entretiens d'explicitation, séances portfolio, bilans collectifs suivant les situations, mais aussi évaluation des dispositifs, des tâches, des situations elles-mêmes.

- Situations de travail par contrat : Plan de semaine, plan de travail, contrat de travail, plus ou moins individuels ou collectifs.

- Situations de réflexion meta : conseil méthodologique, réunion d'analyse des processus d'apprentissage, etc.

- Situations de découverte : centres d'intérêts, visites de musées, d'exposition, spectacle, rencontre avec des artisans, des artistes, des pratiques sociales ;

- Situations de recherches d'information : consultation de ressources.

- Situations de travail en ateliers : ateliers d'écriture, de peinture, de musique.

- Situations plurielles qui offrent des lieux de paroles mis en place dans les écoles pour donner sens à la vie de classe et aux situations d'apprentissage elles-mêmes : le quoi-de-neuf ou réunion du matin, le conseil de classe et d'école plus ou moins coopératifs, le conseil méthodologique, la réunion «meta» qui analyse les situations d'apprentissage vécues. Nous n'abordons pas plus les divers types de situations vouées exclusivement à l'évaluation des acquis ou à leurs consolidations par exercices.

- Vie coopérative globale conçue comme situation d’apprentissage générale.

- Situations de cours dialogué.

- Situations de cours ex-cathedra, frontaux. Cours en tant que tels. Ou intégrées dans d’autres situation.

La liste de ces quelques types de situations d'apprentissage n'est pas exhaustive mais suffit à montrer, à elle seule, tant la nouveauté de certaines situations que la pérennité d'autres.

Ces types de situations sont, comme tout outil, à découvrir avec prudence, soit en sachant que leurs caractéristiques, même les plus détaillées, ne disent rien des subtilités de l'art de les imaginer, les créer, les animer. Chaque type de situations et les situations elles-mêmes prennent dans l'école, la couleur des conditions dans lesquelles ils sont proposés. La couleur de la pratique réflexive ou de la pédagogie dans laquelle ils s'insèrent et des publics auxquels l'enseignant les proposent.

Pour mieux faire comprendre ce qu’est la DASC en tant que situation, nous allons rappeler les caractéristiques de situations qui lui sont proches. En présentant les enjeux qui sont à leur origine. C'est pourquoi nous sommes plutôt remontés aux sources de ceux qui en ont été les pionniers.

2. Le problème aux sources de l’émergence de l'apprentissage

Les situations-problèmes, problèmes ouverts, démarches d'auto-socio-construction, comme les démarches du projet ou divers lieux de paroles offerts aujourd'hui aux élèves dans les classes, rompent avec une utilisation du problème présenté au terme d'une situation d'apprentissage. La confrontation au problème n'est pas utilisée comme situation d'évaluation (le problème, critère de l'apprentissage réussi, permettant de vérifier si une notion a été bien assimilée), mais comme situation d'apprentissage, permettant aux élèves de construire des savoirs neufs en tentant de résoudre le problème posé. Chacune de ces situations a ses spécificités, mais leurs orientations sont voisines par la modification des rapports au(x) savoir(x) et aux problèmes qui s'instaurent à l'école. Des modifications pour les élèves, mais d'abord peut-être pour les enseignants. Le problème change de signification : il devient source, lieu et mobile de l'apprentissage. Le savoir produit change de sens en profondeur aussi. Il n'est plus la bonne réponse à donner à l'enseignant pour qu'il le vérifie mais une réponse, souvent provisoire, plus ou moins multiple, au problème posé. Le savoir devient ainsi réponse aux questions que les hommes se sont posées, se posent aujourd'hui et se poseront demain en se confrontant à des problèmes.

Les élèves sont appelés dans de telles situations à chercher, inventer, créer des savoirs neufs pour résoudre le problème rencontré et non plus à chercher des réponses dans ce qui leur a été enseigné. Du même coup ils sont appelés à s'atteler aux réelles données du problème et non plus surtout à chercher des indices susceptibles de parvenir à la solution attendue par le maître.

2.1 Rousseau : encore lui !

A leur origine commune : Rousseau… et ce choix de perdre Emile en forêt pour qu'il rencontre des problèmes susceptibles de le faire apprendre. Puis les expériences de l'Éducation nouvelle (de Claparède, Freinet aux groupes militants d'aujourd'hui en passant par Dewey, Cousinet, etc). Il s'agit de faire vivre aux élèves des situations leur permettant de rencontrer de vrais problèmes à résoudre à travers la conduite de démarches de projet, les centres d'intérêts.

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Dès les années 70, le Groupe français d'éducation nouvelle (GFEN) comprenant que tout savoir ne peut pas être rencontré naturellement dans les problèmes de la vie courante, propose de nouvelles situations d'apprentissage, plus artificielles, pour compléter les situations de projet déjà proposées. Il parle alors de situations-impasses. Il s'agit de pouvoir faire vivre aux élèves des situations où le problème rencontré permet de structurer des notions, des concepts, des compétences précises de manière dépendant moins de l'occasionnel. Et aussi de permettre de construire des significations aux savoirs autres que celles construites en situation plus naturelles. Ces situations sont appelées dans les années 70 problème sans question, situations-impasses ou situations-problèmes par le GFEN. La situation impasse se retrouve aujourd'hui au cœur des démarches d'auto-socio-construction qu’il propose.

Des didacticiens des mathématiques, dont certains sont d'ailleurs en lien avec le GFEN parlent aussi de situations-problèmes. Arsac, Germain, Mante, en 1988, différencient alors les problèmes ouverts des situations-problèmes.

2.2 Les élèves éclatent-ils aujourd'hui de rire aux problèmes de l'âge du capitaine?

Les fameux problèmes dits de l'âge du capitaine sont toujours très utiles aujourd'hui pour bien comprendre avec quoi les nouvelles situations proposées tant par les pédagogues que les didacticiens veulent rompre absolument.

Ils veulent rompre avec une utilisation du problème comme seul critère de la réussite de l'apprentissage pour lui redonner toute sa potentialité de situation d'apprentissage. Ils veulent rompre avec un modèle pédagogique qui empêche les élèves d'empoigner les problèmes en tant que problème. Soit fasse perdre le sens même au mot problème. Ils s'agit bien de ne plus offrir des situations d'apprentissages qui aboutissent à dénaturer le sens même du savoir. Il s'agit de ne plus accepter des situations d'apprentissage qui poussent les élèves à répondre massivement que le capitaine a 36 ans quand le problème est le suivant : « Sur un bateau, il y a 26 moutons et 10 chèvres. Quel est l'âge du capitaine? » (Baruk, 1985).

Ces fameuses expériences conduites initialement par l'IREM de Grenoble, et reproduites de nombreuses fois par des chercheurs, ont su nous alerter sur le sens que prenaient en classe les problèmes et les savoirs! Pas seulement en mathématiques mais dans toutes les disciplines. Car des élèves répondaient aussi massivement à la question « Quelle est la capitale de la Taxonie? » en répondant Taxi, ou en donnant un nom de ville qu'ils connaissaient.

Des réponses non pas idiotes, mais répondant à une certaine situation scolaire vécue par les élèves. Soit à une certaine règle scolaire longtemps de mise dans les écoles et devenue coutume au fil du temps : pratiquer son métier d'élève c'est devoir d'abord répondre au maître. Et lui donner si possible la « bonne réponse » en recherchant ce qu'il nous a appris. La pratique de l'évaluation sélective est évidemment fortement responsable de cette situation. La réponse est alors obtenue au détriment de toute recherche de sens des données. Le savoir produit comme résolution du problème prenant le sens d'un couperet, les élèves ne risquent pas, en classe, de contester les données ! Ni même de les analyser. Le plus important est de donner la réponse attendue. Le problème perd alors, à l'avance, toute sa fonction didactique et ne peut se transformer en situation d'apprentissage pour l'élève.

2.3 Des apprentissages par problème multiples

Faire du problème une situation d'apprentissage réclame à l'école des conditions d'apprentissage spécifiques : le droit à la recherche de sens; le droit de questionner, de problématiser, de donner des réponses provisoires, plus ou moins correctes ; le droit de contester les données.

Les problèmes dits de l'âge du capitaine demeurent un très bon test à faire dans les classes pour tenter de comprendre le sens donné au problème et au savoir attendu par le maître par nos élèves. Ils demeurent toujours aussi un bon moyen, une fois le test passé, de faire le point sur le sens que nous donnons aux problèmes et aux savoirs scolaires en tant qu'enseignant. Le problème, pour nous, qu'est-il ? Un critère de l'apprentissage déjà effectué? Un mobile d'apprentissage? Un moyen d'apprendre? Un moyen d'enseigner?

Aujourd'hui, on parle aussi de situations qui puissent non seulement faire se confronter les élèves à une résolution de problèmes gardant son sens premier mais encore de leur apprendre à les poser. Parfois même, surtout à les poser. A nouveau, dans tous les champs de savoir. Le métier d'élève est ainsi de plus en plus conçu comme un métier de chercheur qui, pour construire du savoir, se confronte à des problèmes. Le problème hante ainsi aujourd'hui tous les niveaux de l'enseignement : de l'école maternelle à l'université45.

La difficulté des maîtres donnant une large place à la problématisation dans leur classe est de faire en sorte que le savoir construit par cette mise en recherche des élèves soit bien en rapport avec celui mis au programme des institutions dans lesquels ils travaillent! Le produit de la recherche des élèves, de leurs découvertes, de leur créations et inventions doit bien, in fine, aboutir à des savoirs déjà inventés par les hommes!

2.4 Le maître condamné à être Maître Renard

Pour que tous les savoirs puissent prendre leur valeur de résolution de problèmes, le maître semble ainsi condamné (et Rousseau l'avait bien vu), à employer la ruse. Soit à proposer des situations plus ou moins artificielles dans l’espoir de pouvoir faire éprouver les significations les plus riches des savoirs. Le maître est ainsi condamné à se faire, comme le dit avec humour Michel Fabre, Maître Renard46. C'est un paradoxe qu'il nous faut admettre. Et qui permet de mieux comprendre combien les situations proposées aujourd'hui en classe réclament du maître une volonté de permettre aux élèves de régulièrement problématiser avec eux les situations d'enseignement-apprentissage dans lesquelles ils se retrouvent. Pour que le maître ait l'occasion de dire la ruse. D'en faire comprendre le sens aux élèves. D'entrer dans l'analyse de ces situations avec les élèves, pour que le piège soit compris par eux comme un outil du maître pour les faire apprendre. Un outil devenant d'ailleurs très vite attendu par les élèves quant ils en ont compris sa fonction.

45 Cette problématique a été au coeur du symposium du REF de septembre 2003 (Université de Genève) que nous avons animé avec Michel Fabre. Il réunissait : Pour la Belgique : Cécile Vander Borght, Bernard Rey. Pour le Canada : Claude Daviau, Philippe Jonnaert, Domenico Masciotra. Pour la France : Michel Fabre, Christian Orange, Brigitte Peterfalvi. Pour la Suisse : Claude Laplace, Pascale Marro, Alain Muller, Etiennette Vellas. Voir Fabre&Vellas, 2006.

46 Fabre, M. (1999). Situations-problèmes et savoir scolaire. Paris : PUF.