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Éducation nouvelle et sciences de l’éducation : une difficile conciliation ?

ÉDUCATION NOUVELLE ET SCIENCES DE L’ÉDUCATION

2. Les apports des historiens

2.4 Éducation nouvelle et sciences de l’éducation : une difficile conciliation ?

Cette recherche sur la LIEN et sa revue est à situer dans une recherche globale s’attachant à montrer les rapports (em)mêlés de l’Éducation nouvelle avec les « sciences de l'éducation »39. Rapports étudiés par des chercheurs des Sciences de l’éducation qui s’attachent à décrire « le processus d’institutionnalisation des sciences de l’éducation » (Hofstetter & Schneuwly, 2002 a). Ces travaux font état de l’apparition de l’Éducation nouvelle comme provenant d’un désir de citoyenneté de plus en plus éclairée, à travers une éducation devenant progressivement une affaire d’État. Un désir qui arrive au moment où les sciences sociales participent à un phénomène de différenciation, d’autonomisation faisant éclater le concept de « nature humaine ». Ces chercheurs voient ainsi émerger de ce processus, des disciplines telles que l’anthropologie, la sociologie, la psychologie. En tant que disciplines universitaires. La science globale de l’éducation rêvée par la pédagogie, mais éclatant par l’institutionnalisation des sciences de l’éducation, y est étudiée comme émergeant de ce même phénomène de différenciation.

Des regards différents portés sur une même époque

J’ai relevé précédemment, en parlant de la pédagogie, que c’est à l’intersection des 19e et 20e siècles que l’enfant devient un nouvel objet d’étude qui intéresse des chercheurs en éducation.

Des chercheurs de tout bords. Mais que j’ai présentés comme conduisant deux types de recherche fondamentalement différents sur le plan de l’épistémologie : scientifique et pédagogique. Certaines nouvelles recherches en histoire, élaborées en sciences de l’éducation, ont ainsi tendance à présenter les choses différemment que je ne l’ai fait. Si l’on voit bien, dans leurs travaux actuels, les recherches scientifiques de diverses disciplines élaborant une véritable science de l’enfant, la question de la recherche de la pédagogie, telle que je l’ai définie, n’est pas prise en compte comme telle. Du moins pas en ces termes. Ils montrent d’autres aspects.

Ainsi mettent-ils en évidence la pédologie et la pédotechnie (Depaepe, 1993 ; Thomann, 1998) qui ont constitué, pour quelques années, les références de ce qui était envisagé être «la» science de l’éducation. D’autres recherches mettent en évidence que les disciplines de référence de la recherche en éducation ont été la philosophie, la médecine, la biologie, la psychanalyse.

D’autres sciences, comme la sociologie, venant s’y ajouter (Becchi, 2006; Ohayon, 2004,

39 Le terme « sciences de l’éducation » désigne ici un champ disciplinaire (pour la notion de champ voir Bourdieu, 2001) aux références disciplinaires multiples – d’où le pluriel – qui est connu également sous d’autres appellations témoignant de son caractère mouvant et hybride telles que educational sciences, educational studies, educational reserach, Erziehungswissenschaft, Pädagogika ou, plus anciennes, pédologie, science de l’enfant, pédagogie expérimentale.

2006). Le champ des sciences de l’éducation se construisant ainsi dans un continum, il montre le rôle premier jouer alors par la psychologie (Ottavi, 2004, 2006) dans l’ Éducation nouvelle.

Depuis quelques années, des historiens comme Hofstetter & Schneuwly (2006a), mais aussi d’autres, cités par Haenggeli-Jenni, étudient ainsi l’Éducation nouvelle sous l’angle de ses relations avec le champ disciplinaire des sciences de l’éducation. La pluridisciplinarité est ainsi présentée comme une des caractéristiques essentielles de ce champ disciplinaire dont le nom, formulé au pluriel en francophonie, en illustre la spécificité.

Ces chercheurs travaillent, dans cette logique, à définir quel(s) type(s) de relations entretiennent ces deux phénomènes : l’Éducation nouvelle et les sciences de l’éducation. Ils recherchent dans quelle mesure ils sont liés ou dissociés ? Quelle est la participation de l’un au développement de l’autre ?

Les travaux genevois d’Hofstetter, Schneuwly, Lussi et Haenggeli-Jenni (2006), faisant référence à ceux de Cifali et Hameline (1998), mettent ainsi en évidence la difficile conciliation entre science et militance, deux notions qualifiées de constitutives de l’Éducation nouvelle. Ce constat a notamment comme fondement les travaux qui ont été réalisés à Genève sur l’Institut J.-J. Rousseau. Travaux rendant compréhensible la nouvelle orientation prise par l’Institut dès 1929, quant il doit abandonner son activité de militance pour être accepté au sein de la Faculté des lettres de l’Université de Genève (Hofstetter, 2007). D’après ces auteurs, le concept

« d’éducation fonctionnelle » élaboré par Claparède (1911/1930) a permis aux scientifiques militants genevois de cette époque de trouver leur voie pour nouer science et militance.

D’autres chercheurs, à partir d’autres lieux, montrent aussi cette tension entre recherche scientifique et militance. Faisant apparaître que le radicalisme pacifique des premières années laisse la place à une « scientifisation » des débats, où les universitaires prennent de plus en plus de pouvoir et contribuent ainsi au développement du champ disciplinaire des sciences de l’éducation. C’est dans ce cadre d’analyse qu’est reprise la question de l’Éducation nouvelle.

Pour souligner que son apparente homogénéité est en fait parcourue de contradictions. Due, en partie au moins, à l’hétérogénéité de ses acteurs issus d’horizons aussi différents que la psychologie, la médecine, la biologie, la philosophie et les milieux scolaires dont les adminitrateurs de l’école.

Les historiens de l’éducation convergent ainsi aujourd’hui vers une interprétation d’une histoire commune de l’Éducation nouvelle et des sciences de l’éducation. D’autant plus, peut-être, que des chercheurs (Fuchs, 2004) soulignent que le mouvement de la coopération intellectuelle sur l’éducation, le vrai élan de l’émergence des sciences de l’éducation a commencé dans la périphérie de la discipline pédagogique. Parler d’Éducation nouvelle serait-il plus facile à faire aujourd’hui pour des chercheurs des sciences de l’éducation que de parler de pédagogie ? Houssaye (2002) est ainsi cité par les historiens pour sa représentation des liens entre Éducation nouvelle et sciences de l’éducation, pour sa manière de présenter cette histoire à prendre comme les « deux faces d’une même médaille ». D’autres chercheurs parlent de porosité, de symbiose, de « fusion ». Hofstetter & Schneuwly (2006 a), chez qui j’ai retrouvé cette analyse soulignent le phénomène en montrant qu’il se traduit notamment par la double appartenance des acteurs aux deux milieux. Ils montrent que la militance est partagée, commune : scientifiques, enseignants ou inspecteurs, tous militent pour la mise en place des méthodes nouvelles. Cela est dit. Mais où retrouve-t-on dans ces analyses les « théories pratiques » et les savoirs élaborés par les praticiens-chercheurs de l’ Éducation nouvelle ?

Certains historiens font l’hypothèse que le déclin de l’ Éducation nouvelle est lié, après 1945, au développement des sciences de l’éducation. L’hypothèse est que l’Éducation nouvelle perd à ce moment sa fonction de recherche face aux nouvelles structures de recherche investie

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par les sciences de l’éducation. Savoye (2006, p. 376) parle d’une Éducation nouvelle devenant exsangue, comme « vampirisée par son partenaire ». L’équipe ERHISE, et en particulier Béatrice Haenggeli-Jenni avec sa thèse, éprouvent actuellement cette interprétation à l'aune de nouvelles investigations conduites sur des sources empiriques précises et bien délimitées, à travers l’analyse de la revue Pour l’ère nouvelle. En ayant pris la mesure des relations ambigües entretenues entre ces deux « mouvements » ou « phénomènes ». La thèse développée est que l’Éducation nouvelle et les sciences de l’éducation ont formé, à une époque, un couple à la fois « indissociable » et « inconciliable ». Cette recherche clarifiera-t-elle la place de la recherche de la pédagogie ? L’occasion est en tous les cas là.

Conclusion : une médaille à trois faces

L’appréhension de l’Éducation nouvelle par les historiens des Sciences de l’éducation est aujourd’hui passionnante. Vérifier les hypothèses qu’ils posent à son propos est essentielle.

Entendre et vérifer celles posées par les acteurs actuels des groupes d’Éducation nouvelle devrait aussi pouvoir se faire aujourd’hui. Car le problème me semble être posé différemment.

En continuant à filer la métaphore de la médaille, il peut être brièvement éclairé en ces termes : Historiquement, dans le mouvement de l’Éducation nouvelle, la recherche scientifique et la recherche pédagogique ont été les deux faces d’une même médaille, la recherche d’une éducation nouvelle étant le projet commun de ces deux types de recherches. Ces chercheurs s’étant alliés sous le nom de La L.I.E.N pour développer et promouvoir cette recherche commune servant un projet de société digne d’intérêt.

La médaille à ainsi trois faces. Elle n’est pas lâchée aujourd’hui. Mais qui la tient ? Qui participe à cette recherche tant scientifique que pédagogique qui continue ? Qui porte son projet, se sent responsable de ses acquis, de son futur? Qui peut aujourd’hui travailler explicitement en sciences de l’éducation dans le cadre du projet de société que représente le mouvement actuel de l’Éducation nouvelle ?

Ce qui, aujourd’hui, demeure encore des points obscurs de l’histoire de l’Éducation nouvelle ne pourra être compris sans se pencher sur ces trois concepts et leurs imbrications : Éducation nouvelle, sciences de l’éducation, pédagogie (dans sa définition de « théorie pratique »). Parce que le projet de l’Éducation nouvelle a favorisé et favorise toujours le développement de ces deux types de recherche au moins.

Précisions épistémologiques

Ma compréhension du Mouvement de l’Éducation nouvelle s’est faite en premier lieu à partir d’un intérêt pour une démarche spécifique présentée comme ayant été construite par le GFEN : la démarche d’auto-socio-construction. Intérêt qui m’a habité tout au long de ma recherche en rencontrant la

« théorie pratique » du GFEN. C’est ainsi, à partir de ce que j’ai d’abord observé dans le présent d’une Éducation nouvelle qui se dit toujours vivante et nouvelle (Mialaret, 2003), que je suis remontée dans son passé à travers les documents que j’ai consultés.

Durant ma problématisation de la pédagogie, que j’ai jugée indispensable à réaliser pour comprendre les enjeux d’une démarche d’un mouvement pédagogique, j’ai travaillé les documents de la revue Pour l’Ère nouvelle, à l’intérieur du GFEN. Notamment nous nous sommes plongés avec les participants de

quatre pays, dans l’histoire de la Ligue, à travers une démarche, créée par le Groupe romand d’Éducation nouvelle (GREN) pour un des Congrès du GFEN (Toulouse, 200140). Un moment qui fut très intéressant, car offrant à chacun une possibilité de situer son groupe d’Éducation nouvelle, par rapport à l’histoire de la Ligue. C’était une première pour les participants du GFEN. Ce qui nous étonna, en nous replongeant dans ces documents, c’est l’amnésie dont les acteurs actuels de l’Éducation nouvelle étaient frappé quant à l’implication de leur groupe dans cette histoire. Nous savions tous très peu de choses sur ce passé. À l’intérieur du GFEN, on parlait de l’ancien GFEN et du nouveau GFEN. Soit du GFEN avant Wallon et après Wallon. Comme si celui-ci avait connu un certain trou noir alors que le GFEN n’avait jamais cessé ses activités. Comme si le premier GFEN n’avait finalement plus grand-chose à voir avec l’actuel GFEN. Et pourtant, chacun se revendiquant de l’Éducation nouvelle. Et chacun tissant sa filiation avec l’époque des pionniers. Cette démarche permettant de connaître Pour l’ère nouvelle a été animée plusieurs fois dans le cadre du GFEN. Elle fut un des éléments qui favorisa la création du LIEN, réseau se situant dans la filiation de la L.I.E.N. Des entretiens avec Gaston Mialaret, en ce qui concerne le GFEN, ont été menés depuis, pour tenter de comprendre ce qu’il s’est passé au moment de la création en France des sciences de l’éducation. Pour remettre des mots sur une période étant demeurée non problématisée, mais qui contient des faits expliquant la coupure actuelle entre sciences de l’éducation et recherche pédagogique. Deux histoires sont en train d’être écrite. Il est encore trop tôt pour pouvoir les confornter.

Échos

Quand la distance se fait difficile avec son objet.

Que s’est-il passé ici dans ma démarche de recherche? Mon auto-socio-construction de « ma » ligne du temps de l’Éducation nouvelle. Je récoltais « mes » dates

péniblement, les recherchant et les découvrant le plus souvent au cours de mes lectures sur la démarche d’auto-socio-construction pour en comprendre ses fondements.

Jusque-là tout allait bien. Je récoltais mes repères. Ouverte à toute découverte, à toute surprise.

Et puis advint la rencontre avec une recherche universitaire aux prises avec l’histoire de l’Éducation nouvelle. Scientifique, multiple. L’obligation de confronter mes repères historiques à ceux d’autres histoires non seulement ne me posait pas problème, mais encore m’intéressait vivement. Si ce n’est qu’un obstacle conceptuel se mit à surgir : je ne pouvais admettre une histoire montrée comme commune à l’Éducation nouvelle et aux sciences de l’éducation sans que soit posée la question de la recherche

pédagogique. Celle de la « théorie pratique » en tant qu’épistémologie singulière ne trouvant pas place à l’université.

Ce fut un moment très difficile. Je voulais comprendre si l’obstacle était le mien ou s’il se trouvait dans l’oubli ou le déni de la pédagogie par certains chercheurs des sciences de l’éducation.

40 La démarche a été proposée par Andreea Capitanescu Benetti et Etiennette Vellas. Andreea Capitenescu Benetti s’étant passionnée pour la revue Pour l’ère nouvelle avait été l’instigatrice de l’intérêt porté par le GREN à la dite revue. D’où la démarche proposée par le GREN à Toulouse.

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Et puis, il y avait parallèlement cette prise de conscience qui émergeait : ma conception de l’histoire semblait dépassée. Au fond, sans le savoir, j’avais une représentation traditionnelle de l’histoire … Et je rencontrais brusquement des manières actuelles de faire l’Histoire qui avait elle tout une Histoire !

Je me rendis ainsi compte que l’Histoire s’appuyant aujourd’hui sur les sciences sociales était devenue une Histoire diversifiée, s’écrivant désormais au pluriel.

Après avoir rencontré beaucoup de peine à admettre que ma conception de l’histoire était largement dépassée, j’acceptai néanmoins le regard de ceux qui aujourd’hui historicisent le Mouvement de l’Éducation nouvelle : à travers la problématisation des figures ou des faits de l’Éducation nouvelle ; à travers le traitement d’une Éducation nouvelle en tant que phénomène. Je ne réussis en revanche jamais à accepter une histoire de l’Éducation nouvelle montrant celle-ci comme achevée. Dès qu’un livre paraissait sur l’Éducation nouvelle, je transmettais la référence au GIEN. Comme moi, quand je reprenais ma posture de militante de l’Éducation nouvelle (ô utopie que de croire que je puisse parvenir à y échapper pleinement !), les militants actuels de l’Éducation nouvelle, ne « s’y retrouvaient pas ». Ce terme étant à prendre dans ces deux sens : « vous vous trompez …ce n’est pas ça l’Éducation nouvelle, ou en tous les cas …ce n’est pas la nôtre » . Et encore …« que faites-vous de ce qu’elle est pour nous aujourd’hui … pourquoi la jugez-vous passée, morte ?».

Il me fallut problématiser cette situation rencontrée en cours de recherche.

Reconsidérer l’Histoire. Comprendre quel passé les historiens faisaient émerger en tentant de comprendre pourquoi ils le faisaient ainsi. Ce travail me fit constater — alors que je me pensais si constructiviste — que j’avais fait le rêve d’une

Encyclopédiste du 18e siècle : chercher à « rassembler ce qui était considéré comme indispensable, utile et bon à savoir »…( Helmchen, 1995, p.26). Je pensais cet indispensable, cet utile, ce bon à savoir comme un patrimoine émergeant de l’Histoire (avec un grand H). Je dus accepter que quand le passé se constitue comme Histoire aujourd’hui, plusieurs histoires en parallèle peuvent coexister. Admises comme

légitimes, à condition de ne pas oublier que « faire l’histoire est en même temps faire la critique de ce qui se transmet, donc la critique de ce qui est appelé à se prolonger sous la forme d’un savoir » (Helmech , 1995, p.27).

Je compris, en refermant ce chapitre, la responsabilité des historiens, face à la

question de l’Éducation nouvelle. Et ma propre responsabilité dans cette recherche me conduisant, sans être historienne, à collectionner des dates que je livrais comme des témoins fiables. Des preuves. Des repères utiles satisfaisant mon désir de comprendre et de faire comprendre le sens de la démarche d’auto-socio-construction dont une partie est toujours pour moi contenue dans son histoire.

Jusqu’où ai-je ainsi donné la primauté à tel ou tel événement, tel savoir, telle valeur,

telle pratique, telle personne pour répondre à mes besoins propres ? Que n’ai-je pas retenu ? Pourquoi ces mises en évidence-là et pas d’autres ?

Ce chapitre fut rouvert jusqu’à l’heure de la soutenance de ma thèse. Et rouvert lors de la dernière relecture de l’après-soutenance. Il est pour moi un chantier ouvert. Et loin d’être refermé.

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CHAPITRE 8