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Il existe deux grands types de monuments. Les juifs ashkénazes, littéralement « allemands » − ceux de l’est de la France ou issus d’Europe centrale et orientale − dressent des stèles verticales à la tête du défunt. Les séfarades ou « espagnols » − ceux du sud-ouest ou originaires d’Afrique du Nord et du Proche-Orient − posent des dalles horizontales. Cette dernière pratique tend à se généraliser aujourd’hui.

Alors que les stèles alsaciennes sont parfois fine- ment sculptées (Mackenheim), les dalles funéraires des juifs séfarades ne présentent quasiment aucun décor. Les motifs spécifiquement « juifs » sont peu nombreux et inégalement représentés d’un cimetière à un autre : mains bénissantes signalant la tombe

d’un cohen, aiguières de lévite, instruments servant à la circoncision, corne de bélier (shofar) utilisée lors des moments les plus solennels de l’année litur- gique…On observe aussi des motifs populaires uni- versels comme l’arbre de vie ou des symboles solaires tels que des rouelles ou des svastikas (Rosenwiller). À partir du milieu du XIXe siècle, une iconographie funéraire d’origine antique, non connotée religieuse- ment, se généralise (tombes en forme d’obélisques, de colonnes tronquées ou de sarcophages, urnes, voiles funéraires, sablier, torches renversées, cou- ronnes d’immortelles…). Une comparaison avec les cimetières chrétiens environnants révèle souvent le remploi de modèles standards adaptés à la clientèle juive par la suppression des croix ou la transforma- tion de jardinières en réceptacles destinés à recevoir les cailloux déposés sur les tombes conformément à la tradition. Vers 1900, quelques stèles témoignent par leur style orientalisant, de la quête d’un style « israélite » que l’on retrouve dans l’architecture de certaines synagogues. La simplicité étant requise par toute la tradition, les édicules restent rarissimes, sauf dans les grands cimetières parisiens comme le Père- Lachaise, Montmartre ou Montparnasse où la très grande bourgeoisie juive se fait parfois ériger de véri- tables « chapelles » funéraires. Partout ailleurs, les différences sociales sont beaucoup moins marquées que dans les cimetières chrétiens.

L’interdiction de représenter la figure humaine (Second commandement) reste très prégnante. Relativement fréquents à Paris, les portraits sculp- tés sont exceptionnels ailleurs : un unique médaillon en marbre à Carpentras en 1895 ainsi qu’à Metz en 1902, deux ou trois bas-reliefs en bronze à Nancy (Meurthe-et-Moselle) et un exemple de bustes en ronde-bosse à Saverne (Bas-Rhin) en 1900. Loin de ce souci de distinction, les tombes des juifs origi- naires d’Europe orientale ou d’Afrique du Nord pré- sentent souvent en médaillon un portrait photogra- phique du défunt.

Les épitaphes sont traditionnellement rédigées en hébreu, sauf dans le Sud-Ouest (Bidache, La Bastide-Clairence ou Bayonne, Pyrénées-Atlan- tiques, Peyrehorade, Landes…) où l’espagnol et le portugais sont principalement utilisés − la rejudaï- sation des « nouveaux chrétiens » ne transparaissant qu’à partir de la fin du XVIIe siècle dans l’adoption de prénoms bibliques et du calendrier hébraïque. Elles indiquent toutes au minimum le nom du défunt

Village de La Bastide-Clai- rence (Pyrénées-Atlan- tiques). Au premier plan, le cimetière juif privé dont la pierre tombale la plus ancienne porte la date de 1620 ; au-delà le cimetière municipal contigu à l’église.

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6 On connaît quelques exceptions du fait de contraintes phy-

siques ou d’usages locaux comme celui, parfois observé en Alsace ou en Lorraine, de diriger le défunt vers la porte. À Fegersheim (Bas-Rhin), on observe ainsi jusqu’à quatre orientations différentes selon les sections.

avec sa filiation, sa date de décès et/ou d’enterre- ment selon le calendrier hébraïque (à partir de la création supposée du monde) et se terminent par un verset si commun qu’il figure le plus souvent sous forme abrégée : « Q[ue son] Â[me], S[oit réunie au] F[aisceau des] V[ivants] » (Samuel, 25, 29). Le français apparaît au cours du XIXe siècle, d’abord au revers avec le nom et les dates du défunt, puis sur la face, sous la forme d’un texte de plus en plus long. L’étape ultime, au XXe siècle, limite l’usage de la langue sacrée aux abréviations traditionnelles « I[ci] R[repose] » et le verset de Samuel cité précédem- ment. Il ne s’agit pas d’une simple traduction dans la langue vernaculaire répondant au déclin de la com- préhension de l’hébreu. Alors que les épitaphes hé- braïques véhiculaient, dans un langage d’inspiration biblique, les valeurs traditionnelles du judaïsme, les textes en français expriment, dans celui du temps, la douleur face à la perte d’un être cher, reflétant une

1 • LE CADRE HISTORIQUE ET JURIDIQUE

Les deux anciens espaces catholiques et protestants, encore séparés par un mur du cimetière de Lourmarin (Vaucluse).

sécularisation des sentiments. Le choix du français reflète aussi l’attachement au premier pays d’Europe à avoir émancipé ses juifs. Dans les zones germa- nophones d’Alsace-Moselle, il s’impose d’emblée, contrairement à la situation dans les cimetières chrétiens. Cette différence est encore plus flagrante après l’annexion allemande où son maintien peut être interprété comme une forme de résistance.

Quelques usages nouveaux ont été introduits de- puis les années 1950-1960 par les juifs originaires du Maghreb − aujourd’hui largement majoritaires, sauf dans l’Est de la France − comme l’ajout de veil- leuses (bougies ou lanternes) et de fleurs. Alors que les juifs ashkénazes répugnent à fleurir les tombes, celles des séfarades sont souvent agrémentées de vases, de jardinières, de couronnes de fleurs en fils de fer ou en céramique et de plaques de souvenir standard, comme au cimetière Saint-Pierre de Mar- seille (Bouches-du-Rhône).

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7 Articles L. 2213-7 et L. 2213-9.

Le protestantisme