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1 • LE CADRE HISTORIQUE ET JURIDIQUE

Isabelle Duhau

Ci-dessous : Sépultures militaires norma- lisées de la guerre de 1870,

cimetière de Romainville (Seine-Saint-Denis) ; les fontes ont été créées par les fonderies de Brousseval (Haute-Marne). Ci-dessous à droite : Détail de la plaque normali- sée signalant les sépultures

militaires de la guerre de 1870, cimetière de la ville basse, Provins (Seine-et-

Le cimetière militaire de Pontavert (Aisne), créé dès 1915, est devenu nécropole nationale en 1924. Il a connu une réfection

totale en 1972.

La France compte ainsi 265 « nécropoles natio- nales » où reposent 740 000 défunts, dont 240 000 en ossuaires (notamment les corps ne pouvant pas être identifiés). 88 % d’entre eux sont des soldats de la guerre 1914-1918. Pourtant les services d’archéo- logie, qui fouillent encore aujourd’hui régulièrement des fosses découvertes sur les champs de bataille, estiment à près de 700 000 le nombre de corps qui n’ont pas été retrouvés 2. Les militaires « morts pour la France » ainsi que les soldats des armées alliées et ennemies tombés en territoire français peuvent également être enterrés dans l’un des 2 000 carrés militaires communaux qui totalisent environ 115 000 sépultures. Il s’agit notamment des hommes décé- dés des suites de leurs blessures dans des hôpitaux loin du front. L’État, par le biais de l’Office national des anciens combattants et victimes de guerres (ONACVG), se charge de l’entretien de l’ensemble de ces sépultures. Cet entretien peut être délégué, dans

le cadre de conventions, aux communes, au Souvenir français 3 ou à toute autre association. Le ministère des Armées, responsable de la conservation de ce patrimoine mémoriel, entretient également plusieurs cimetières militaires étrangers, ceux des États avec lesquels il n’a pas de convention 4. Pour les autres, la France met à disposition les terrains (dont elle reste propriétaire) tandis que les États confient à l’orga- nisme de leur choix l’entretien des tombes.

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1 https://www.pop.culture.gouv.fr/notice/merimee/IA00049943 2 http://archeologie1418.culture.fr/fr/iv-mort-quotidienne/41-

larcheologie-reflet-dune-boucherie-sans-nom

3 L’association du Souvenir français est née quelques années

après la guerre de 1870 à l’initiative d’un alsacien exilé à Paris, François-Xavier Niessen (1846-1919), souhaitant encourager l’entretien des tombes et le souvenir des soldats « morts pour la France ». http://le-souvenir-francais.fr/

4 Un cimetière russe, deux « ex-soviétiques », un polonais, un

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En haut :

Nécropole nationale de Ban-de-Sapt (Vosges) réalisée entre 1921 et 1925 sur le lieu même du champ de bataille. Ci-contre :

Carré militaire de la guerre 1914-1918, cimetière de Deauville (Calvados). Au premier plan, le monument commémoratif liste les soldats de la commune « morts pour la France » qui n’y sont pas inhumés.

Ci-dessous :

Carré militaire, cimetière de Pamiers (Ariège). Il comprend les sépultures avec modèles en fonte du Souvenir français, de soldats métropolitains, Sénégalais et Annamites, morts durant plusieurs conflits. Les croix sont destinées aux chrétiens, les stèles ajourées d’un croissant, aux musulmans et celles ajou- rées du symbole du Yin et du Yang, aux Annamites.

Les cimetières français de la guerre 1914-1918 ont été réalisés par les techniciens du ministère des Pensions selon des principes d’économie qui ex- pliquent leur caractère stéréotypé et leur manque de qualités plastiques ou scénographiques. Pas d’architecte ou de paysagiste, mais une réglemen- tation administrative encadrant strictement les sur- faces, les alignements de tombes, les circulations et les plantations s’organisant autour d’un point central, le mât portant le drapeau tricolore (circu- laire du 24 février 1927). Les croix des sépultures, d’abord en bois, sont remplacées à partir des an-

Le nouveau cimetière Saint- Pierre d’Amiens (Somme), créé en 1914, comprend un carré militaire devenu nécro-

pole nationale (à l’arrière- plan), ainsi qu’une plaine dédiée par la commune aux sépultures des soldats « morts pour la France » rapatriés par leur famille (au premier plan). Certaines d’entre elles commandèrent les monuments funéraires aux entreprises locales, d’autres optèrent pour une sépulture normalisée.

nées 1930 par d’autres en béton ou en fonte, selon un modèle adopté un temps par le Souvenir fran- çais. Des stèles sont spécialement dessinées pour les musulmans, les juifs et les libres penseurs. Les vastes chapelles catholiques de Douaumont ou de Dormans ne sont pas commandées par l’État laïc. L’Église, des gradés et des notables politiques en prennent l’initiative, organisant les souscriptions et choisissant les maîtres d’œuvres, le gouvernement les autorisant et donnant le terrain. La France choi- sit de ne pas individualiser les disparus. Elle réunit les dépouilles des soldats non identifiés dans des ossuaires, tel celui de Douaumont qui recueille les restes de 130 000 soldats français et allemands. Ce sont les monuments aux morts, élevés dans le moindre village français, qui rendent un hommage nominatif à tous les soldats tombés, ceux identifiés et ceux restés sans sépulture nominative.

L’Imperial War Graves Commission (IWGC), devenue Commonwealth War Graves Commission (CWGC), conçoit et entretient les cimetières de l’Empire britannique et les carrés militaires, concé- dés par convention, dans des cimetières munici- paux. Le gouvernement anglais refuse la restitution des corps aux familles afin de garder les officiers et les notables parmi la troupe, tous égaux face à la mort. Pour permettre aux proches de s’approprier les sépultures, outre une vaste campagne d’infor- mation, il autorise la gravure d’un texte court, 66 caractères ou espaces, au pied des stèles, les

headstones. La forme unique de celles-ci, imagi-

née par Frederick Kenyon (1863-1952), directeur du British museum, permet à la fois de recevoir une épitaphe et un symbole religieux, sans com- promettre l’effet homogène d’ensemble. À la dif- férence des cimetières français, les dépouilles conservant une forme à peu près humaine sont inhumées dans des tombes individuelles portant la mention known unto God, selon la formule de l’écrivain Rudyard Kipling (dont le fils fut déclaré disparu, missing, en 1915). L’IWGC, largement dotée financièrement, crée par ailleurs, dans les cimetières ou dans des monuments dédiés, des

memorials, tel celui de Thiepval (Somme), où

sont gravés les noms de tous les disparus, afin que leur souvenir se perpétue à jamais. Ces sites, conçus pour incarner la puissance et l’unité de l’Empire devaient en outre revêtir un soin tel que les familles acceptent de ne pas disposer de leurs morts. Des locaux sont prévus pour les abriter lorsqu’elles se rendent sur place en pèlerinage. La commission fait appel dès 1917 à des architectes et des paysagistes renommés, Edwin Lutyens (1869-1944), Reginald Bloomfield (1856-1942), Herbert Baker (1862-1946) ou encore Gertrude Jekill (1843-1932) qui dessinent des ensembles aux grandes qualités esthétiques où les sépultures ne sont pas systématiquement alignées et répar- ties. Lutyens conçoit la pierre du souvenir destinée aux plus grandes nécropoles (portant la mention tirée de l’Ecclésiaste et choisie par Kipling their

name liveth for evermore), Bloomfield, la croix du

sacrifice (revêtue de l’épée de saint Georges), pour les plus petites. La commission embauche directe- ment des centaines de jardiniers et d’horticulteurs pour planter et fleurir ses cimetières-jardins à l’am- biance paysagère toute britannique.

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Croix du sacrifice du cime- tière militaire d’Authuille (Somme) aménagé par la Commonwealth war graves commission à la fin des années 1920. Stèles de soldats du Com- monwealth décédés dans les

établissements hospitaliers de l’armée britannique instal- lés aux alentours, cimetière militaire aménagé en 1920, Tourgeville (Calvados).

Les Américains, choisissant un autre parti, ra- patrient les 2/3 de leurs morts et confient à l’Ame-

rican Battle Monuments Commission, créée en

1919, la réalisation de leurs cimetières militaires. Ceux-ci comprennent un memorial pour les soldats disparus et des alignements de tombeaux nomina- tifs en forme de croix ou portant une étoile de David. Les sites comptent également un espace omniculte et un bâtiment pour le responsable, pouvant éven- tuellement héberger des visiteurs. Les cimetières américains se distinguent par leur ampleur où, sur d’immenses pelouses, chaque tombe dispose de 4 m ². Ainsi, la nécropole de Romagne-Sous-Mont- faucon (Meuse), la plus grande avec ses 53 hec- tares 5, accueille 14 200 tombes tandis que le plus vaste cimetière français, celui de Notre-Dame de Lorette (Ablain-Saint-Nazaire, Pas-de-Calais), en compte 20 000 pour 27 hectares.

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5 Après la Seconde Guerre mondiale, le cimetière militaire

américain de Colleville-sur-Mer (Calvados), à côté de la plage d’Omaha Beach, accueille 9 400 sépultures sur 70 hectares.

Cimetière américain du mont Valérien, Suresnes (Hauts-de-Seine), inauguré en 1919. Au premier plan, les croix en marbre blanc ; en arrière-plan, la chapelle terminée en 1932.

Durant le conflit, les soldats allemands sont inhumés dans leur pays. Mais après l’armistice, la France se charge de tous les autres restés sur son territoire. Elle construit des cimetières militaires alle- mands, les limitant à des espaces souvent restreints qui expliquent les nombreuses tombes collectives. À partir de 1926 la Volksbund Deutscher Kriegsgrä-

berfürsorge entretient plusieurs nécropoles, mais il

faut attendre 1966 pour qu’un véritable accord inter- vienne entre les deux pays. La commission s’attache les services de l’architecte-paysagiste Robert Tischler (1885-1959), sensible aux mythologies médiévale et nordique. Il préconise la plantation d’arbres, notam- ment de chênes, afin d’évoquer les forêts du Val- halla que rejoignent les valeureux guerriers après leur mort. Les croix à l’origine en bois bitumé avec une plaque nominative en zinc ont été remplacées par des croix métalliques peintes en noir après la seconde guerre mondiale ou par d’autres modèles en pierre. On trouve également, pour marquer les tombes, des petites dalles en pierre. Comme les autres cimetières, certaines nécropoles allemandes sont dotées d’une salle du souvenir afin d’accueil- lir les visiteurs. Les arbres, peu élagués, composent désormais de véritables forêts conférant une atmos- phère sombre aux lieux.

Si les cimetières militaires de la Première Guerre mondiale sont situés dans le Nord et l’Est de la France, nombre de ceux de la Seconde Guerre mondiale se trouvent en Normandie. Des dispo- sitions similaires ont prévalu à leur organisation et désormais à leur gestion. Ce sont essentiellement les associations de résistants qui initient les quelques cimetières pour les maquisards ou les otages exé- cutés, dont certains depuis ont été déclarés nécro- pole nationale. Le mémorial parisien des martyrs de la déportation est inauguré en 1962 dans l’île de la Cité. Un mémorial situé à Fréjus, créé en 1986, est dédié aux guerres d’Indochine, tandis qu’un second, à Paris (quai Branly), inauguré en 2002, est consa- cré aux soldats tombés lors de la guerre d’Algérie et aux combats du Maroc et de la Tunisie, français et harkis, ainsi qu’aux victimes civiles. Tous ces sites ont suscité, dès leur création, un tourisme mémoriel, d’abord des familles et des vétérans, et désormais d’un large public, qui s’est peu à peu accompagné d’une reconnaissance patrimoniale.

Les nombreuses cérémonies commémorant le centenaire du premier conflit mondial ont conduit à diverses études et protections au titre des monu- ments historiques. Aujourd’hui 19 cimetières, carrés militaires ou mémoriaux sont protégés, jusqu’au ci-

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Cimetière militaire allemand d’Apremont (Ardennes), créé en novembre 1915 pour les soldats tués en forêt d’Argonne.

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6 http://www.paysages-et-sites-de-memoire.fr/ 7 https://whc.unesco.org/fr/decisions/7137/

https://whc.unesco.org/archive/2018/whc18-42com-inf8B1-fr.pdf

metière des oubliés de Cadillac (Gironde). Son asile d’aliénés connut une arrivée massive de « gueules cassées » qui obligea la municipalité à acheter un terrain jouxtant le cimetière communal destiné à ces nouveaux malades. Plus de 3 000 personnes y sont enterrées dont le carré militaire qui comprend 98 sépultures de « mutilés du cerveau » ayant pu être identifiés. À partir de 2009, un partenariat entre la Belgique et la France s’est même engagé afin de porter un dossier d’inscription au patrimoine mon- dial de l’Unesco des sites funéraires et mémoriels de la Première Guerre mondiale (front ouest) 6. Toute- fois, le Comité du patrimoine mondial, « rappelant les

réserves exprimées concernant l’inscription de sites liés à des mémoires négatives » a décidé d’ajourner l’examen du dossier jusqu’à ce qu’il ait pu conduire une réflexion globale sur le sujet et « décidé si et comment des sites associés à des conflits récents et à d’autres mémoires négatives et controversées pourraient se rapporter à l’objet et au champ de la Convention du patrimoine mondial et de ses Orien- tations 7 ».

Carré du zouave, cimetière Saint-Pierre, Arles (Bouches-

du-Rhône). Il reçoit à partir de 1888 les corps des soldats des 2e et 3e régi-

ments de zouaves. La statue surmontant un ossuaire est inaugurée en 1897. L’en- semble est ensuite complété par le mémorial des morts de la Première Guerre mondiale.

Quoi qu’il en soit, ces cimetières placés sous la responsabilité des États sont bien entretenus et leur conservation n’est pas menacée. La situation est plus précaire pour certains carrés communaux, qu’il s’agisse de ceux créés dans le cadre législatif de 1920 sur les cimetières de guerre ou d’autres, direc- tement initiés par les villes. Celles-ci, chargées de leur entretien, soignent les sépultures et les inscrip- tions nominatives (où sont ajoutés, au fil des décen- nies, les mentions des militaires morts en service), mais la préservation des monuments commémora- tifs qui souvent les accompagnent, et notamment de leurs éléments sculptés, laisse parfois à désirer.

Enfin nombre de tombeaux privés à la charge des fa- milles qui parsèment les cimetières municipaux sont plus que jamais menacés. Le Souvenir français, qui entretient 130 000 tombes publiques chaque année et restaure plus de 200 monuments, tente d’identi- fier, de regrouper, voire d’entretenir ceux abandon- nés ou en état de reprise, mais la tâche est immense.

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L’ÉTUDE  :

SOURCES