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LA LÉGISLATION SUR LES RESTES HUMAINS Alice Denolle

certaines communautés sur les restes de leurs an- cêtres, le droit français demeure réticent à une telle reconnaissance. Même en dehors de tout système propriétariste, le droit français peine à reconnaître les droits de descendants sur les restes de leurs an- cêtres. Par exemple le Tribunal de grande instance de Saint-Denis de La Réunion a pu condamner civi- lement un individu qui se réclamait descendant de squelettes mis au jour lors de fouilles préventives et qui s’en était emparés à ce titre, afin de les mettre en terre conformément aux rites ancestraux (TGI Saint- Denis de La Réunion, 4 octobre 2013).

Le droit porte également un regard particulier sur les restes humains lorsque le souvenir des défunts perdure dans la mémoire collective, au-delà de la mé- moire familiale. Par exemple, le Code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre offre un traitement spécial aux militaires et aux civils vic- times de conflits. L’article L. 522-1 de ce code prévoit notamment un droit à sépulture perpétuelle pour les militaires français et alliés « morts pour la France ». Le souvenir encore vif du défunt dans la mémoire collective temporise également les recherches scien- tifiques effectuées sur des restes humains. En 2008, madame Catherine Bonaparte, estimant que des doutes subsistaient quant à l’identité de la dépouille se trouvant sous le nom de son ancêtre dans le tom- beau de l’Hôtel des Invalides, sollicita l’autorisation de procéder à des prélèvements ADN. Le ministre de la culture rejeta sa demande sur le fondement de l’article 16-11 du Code civil au motif que si ce dernier autorisait l’identification d’une personne par ses empreintes génétiques lorsque celle-ci s’inscrit notamment dans le cadre d’une recherche scienti- fique, le quatrième alinéa de cet article ne permettait une identification à une telle fin que si le consente- ment exprès de la personne avait été recueilli de son vivant par écrit, après avoir été dûment informée de la nature et de la finalité de la recherche envisagée. Comparant le refus opposé à madame Bonaparte à l’autorisation d’effectuer des analyses en 2005 sur les restes d’Agnès Sorel, le ministère souligne qu’il « ne semble pas faire de doutes que les prélève- ments réalisés sur les dépouilles de personnes clai- rement identifiées qui reposent dans des sépultures connues et, de surcroît, récentes (comme c’est le cas de la dépouille de Napoléon 1er) » entrent dans le

l’occasion de fouilles archéologiques portant sur des périodes anciennes » (Ibid.).

L’écoulement du temps participe en effet au changement du statut des restes humains : de chose sacrée, ils glissent vers le statut d’objet archéolo- gique. Selon l’article L. 510-1 du Code du patri- moine, « constituent des éléments du patrimoine archéologique tous les vestiges, biens et autres traces de l’existence de l’humanité, y compris le contexte dans lequel ils s’inscrivent, dont la sau- vegarde et l’étude, notamment par des fouilles ou des découvertes, permettent de retracer le dévelop- pement de l’histoire de l’humanité et de sa relation avec l’environnement naturel ». Les restes humains, répondant de cette définition, sont porteurs non plus d’une simple mémoire familiale mais d’une mémoire de l’humanité. La sensibilité éthique pro- jetée sur le traitement juridique des restes humains en tant que sujet d’étude archéologique a conduit à des tentatives pour leur attribuer un statut ad hoc distinct de celui des biens archéologiques inscrit au Livre V du Code du patrimoine, notamment pour les soustraire à toute possibilité d’appropriation privée. Ainsi, l’ordonnance n° 2017-1117 du 29 juin 2017 relative aux règles de conservation, de sélection et d’étude du patrimoine archéologique mobilier conte- nait initialement des dispositions attribuant aux restes humains archéologiques la qualification de « vestiges anthropobiologiques », affirmant l’impossi- bilité de toute appropriation privée de ces vestiges tout en garantissant un droit de garde au profit de l’État, et permettant le transport et la réinhumation de ces restes par dérogation au droit funéraire. Le Conseil d’État a cependant disjoint ces dispositions spécifiques du projet d’ordonnance dans la mesure où il a considéré qu’elles ne rentraient pas dans le

et non l’impossibilité d’une appropriation. Si le droit de l’archéologie n’offre pas de traitement spécifique aux restes humains, distinct de celui des autres biens archéologiques, ce traitement n’en demeure pas moins soumis au principe de dignité. Le Code civil précise en effet dans son article 16-1-1 que le respect dû au corps humain ne cesse pas avec la mort. L’article 16-2 de ce même code prévoit que « le juge peut prescrire toutes mesures propres à empêcher ou faire cesser une atteinte illicite au corps humain ou des agissements illicites portant sur des éléments ou des produits de celui-ci, y compris après la mort ». Le Code pénal sanctionne quant à lui, au titre des atteintes à la dignité de la personne, les atteintes au respect dû aux morts à l’article 225-17, en punissant d’un an d’emprison- nement et de 15 000 euros d’amende « toute atteinte à l’intégrité du cadavre, par quelque moyen que ce soit », ainsi que « la violation ou la profanation, par quelque moyen que ce soit, de tombeaux, de sépul- tures, d’urnes cinéraires ou de monuments édifiés à la mémoire des morts », la peine étant portée dans ce dernier cas à deux ans d’emprisonnement et à 30 000 euros d’amende lorsque les infractions ont été accompagnées d’atteinte à l’intégrité du cadavre. Bien sûr, toute personne accomplissant un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires, comme un archéologue opérant dans le cadre d’une fouille autorisée, ne pourrait voir sa responsabilité pénale engagée selon les termes de l’article 122-4 du Code pénal (art. 122-4 Code pénal : « N’est pas pénalement responsable la per- sonne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires. N’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte commandé par l’autorité légitime, sauf si cet acte est manifestement illégal »).

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1 « Dans les communes où on professe plusieurs cultes, chaque

culte dispose d’un lieu d’inhumation particulier. Lorsqu’il n’y a qu’un seul cimetière, on le partage par des murs, haies ou fossés, en autant de parties qu’il y a de cultes différents, avec une entrée particulière pour chacune, et en proportionnant cet espace au nombre d’habitants de chaque culte. » Article L.2542-12 du CGCT.

Sous l’Ancien Régime, la France catholique ré- serve ses cimetières, espaces consacrés situés géné- ralement autour des églises, à ses fidèles. Selon les périodes et les régions les cimetières juifs puis, avec la Réforme, ceux des protestants, implantés hors des centres-villes, sont plus ou moins tolérés. Les rares espaces d’inhumation orthodoxes sur le territoire national sont liés quant à eux au phénomène de la vil- légiature, à partir de la seconde moitié du XIXe siècle, et à l’immigration russe, après la révolution de 1917. À deux exceptions près, la France métropolitaine ne compte pas de cimetière spécifiquement musulman.

Nombre de ces cimetières confessionnels n’ont pas été municipalisés et demeurent privés. Mais au- jourd’hui, le plus souvent, quelle que soit leur confes- sion, les défunts sont inhumés dans des cimetières municipaux, devenus laïcs après la loi de 1881. Celle- ci n’ayant pas été appliquée dans les départements « concordataires » annexés par l’Allemagne entre 1871 et 1919, les cimetières municipaux confes- sionnels perdurent en Alsace et en Moselle. Ainsi, le cimetière central de Mulhouse (Haut-Rhin), créé en 1872, comprend encore trois ensembles : catho- lique, protestant et israélite. Mentionnons également les regroupements confessionnels dans les cimetières militaires (voir p. 58).

Toutefois, les communes ont désormais explicite- ment le droit de réserver des espaces aux inhuma- tions de coreligionnaires. La circulaire du ministère de l’Intérieur du 19 février 2008 précise que : « Le maire a en effet la possibilité de déterminer l’emplacement affecté à chaque tombe […] et donc de rassembler les sépultures de personnes de même confession, sous réserve que les principes de neutralité des par- ties publiques du cimetière et de liberté de choix de sépulture de la famille soient respectés. […] L’espace confessionnel ne doit pas être isolé des autres parties du cimetière par une séparation matérielle de quelque nature que ce soit, conformément à la loi du 14 no- vembre 1881 ». Ainsi, les carrés juifs ou musulmans sont de plus en plus nombreux dans les cimetières français. En Île-de-France, où la communauté asia- tique est très présente, ses monuments funéraires sont également regroupés, comme au cimetière pari- sien de Thiais (Val-de-Marne) ou dans celui de Valen- ton (Val-de-Marne).

La spécificité des cimetières