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l’étude du patrimoine funéraire

2 • L’ÉTUDE : SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE

Véronique Belle

Ateliers taille de pierre, gravure et ciment, logement patronal, dépôt de stèles et ornements de la marbrerie Moine, 8 rue de l’Éternité à Lyon (Rhône). État en 2007 avant destruction.

Stock des marbres des Mar- briers et sculpteurs réunis,

avenue Berthelot / rue de l’Éternité, Lyon. État en 2008 avant déménagement. Gabarit pour jardinière en

ciment, marbrerie Paul- Favre, 92-94 rue Philippe- de-Lassalle, Lyon.

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1 Les catalogues proposent un choix de pierres différentes qui

se répercute sur le coût du tombeau.

2 Plans d’exécution qui peuvent indiquer les matériaux comme

le tombeau de la famille Prost à Lyon, cimetière de la Croix- Rousse, dû à la marbrerie Favre en 1932 : les colonnes sont en marbre blanc veiné arabescato, les bases et chapiteaux en marbre bleu turquin.

Outre les véhicules, les machines, les outils et divers objets, les marbreries ont généré toutes sortes de documents susceptibles d’être jetés lors d’une cessation d’activité. Or ces archives ont plusieurs vertus. Elles apportent des éclaircissements sur l’entreprise elle-même : les ateliers, les boutiques, la façon d’exposer la marchandise dans la rue, les employés ; elles documentent également les car- rières de pierre ou de marbre ; elles concernent

des monuments édifiés par la marbrerie par le biais des devis et des factures, des livres de stock, des catalogues de modèles produits par l’entreprise elle- même 1, des catalogues de fournisseurs, des projets d’édicules – dessins, tirages de plans au cyanotype, calques, plans d’exécution 2 –, des alphabets, des gabarits, des profils de modénature ou de balustre, des photographies d’édicules effectivement réalisés ; elles peuvent documenter les cimetières où les mar- briers sont intervenus. Les courriers permettent de comprendre les relations entre les différents corps de métier. Le rôle de chacun, architecte, décorateur, sculpteur et marbrier, est clairement stipulé. Les pro- jets de tombeaux d’une même époque informent sur l’aire de diffusion de l’entreprise. On relève aussi, de la part de fournisseurs, des suggestions spontanées de commandes de matériaux alors disponibles dans leurs ateliers. Est documentée la question du trans- port des matériaux et des œuvres qui est loin d’être accessoire en ce domaine.

Les archives constituent également une source d’informations sur les autres activités de l’entre- prise avec les réalisations non funéraires puisque le marbre est largement utilisé par les arts et les arts décoratifs (groupes sculptés, socles de statues, moulages de sculptures, architecture intérieure, re- vêtements de sols, revêtements muraux, colonnes, cheminées).

Certains de ces fonds d’archives privées se trouvent désormais conservés par des institutions publiques. Quelques-uns sont déjà explorés par des chercheurs. Ainsi Céline Laforest, historienne de l’art qui a travaillé entre autres sur le marbre vert des Alpes, mène des recherches sur les marbriers mar- seillais (dont l’entreprise Galinier, toujours en acti- vité). Parallèlement, des descendants de marbriers entament une collecte de données sur leur famille.

Les requêtes via le portail des Archives nationales révèlent quelques documents comme ceux émanant du ministère du Travail, concernant les conventions

collectives (tome 1, 1936-1944), particulièrement celle liant la chambre syndicale lyonnaise des fabri- cants et négociants d’articles funéraires de Lyon et la région au syndicat des ouvrières en couronnes mortuaires en perles (1937-1939). Aux Archives na- tionales du monde du travail (Roubaix), le domaine funéraire est représenté par la correspondance d’Henri Edeline, marbrerie funéraire (175 rue de la Roquette, à Paris) datant de 1923 (1 pièce, « Fonds divers d’une clientèle bancaire », 2010 023 340), par la correspondance entre les maîtres-verriers et

les commanditaires d’une chapelle funéraire pour le cimetière de Tourcoing, 1962 (« Paul Bony, atelier de peintre-verrier, à Paris », 2002 001 0017), par la réa- lisation d’un petit vitrail pour monument funéraire : esquisse noir et blanc (21 x 28 cm), dossier d’affaire n° 2176 : Himely, à Paris, 1922 (1 pièce, « Atelier Gaudin, maître-verrier », 2009 008 020), et par la chapelle funéraire de la famille Bouglione, à Lizy-sur- Ourcq (Seine-et-Marne), réalisation d’un portrait en mosaïque et restauration de mosaïques, 1966-1977 (8 pièces, dossier d’affaire n° 709, 2009 008 092).

2 • L’ÉTUDE : SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE

Atelier de marbrerie sculp- ture N. Decostre, Gournay- en-Bray (Seine-Maritime).

Les services d’archives départementales peuvent également conserver certains fonds. Aux archives de la Meuse ont été déposées les archives de la marbrerie Tagnon de Ligny-en-Barrois. Dans le Rhône, la série M, relative au travail et à la main d’œuvre (1800-1940), a livré quelques précieux renseignements tant biographiques que profession- nels voire politiques sur les sculpteurs marbriers. Ainsi la surveillance policière exercée par le com- missariat spécial de la préfecture du Rhône sur les syndicats, si elle a probablement été subie par les intéressés, permet d’avoir accès aux rapports cir- constanciés des réunions publiques des patrons ou des ouvriers conservés dans les archives. On retiendra, parmi les syndicats créés entre 1873 et 1880, celui des sculpteurs, marbriers et tailleurs de pierre (10 M 301), celui des sculpteurs sur pierre, statuaires, modeleurs et ornemanistes de Lyon et de sa région (chambre syndicale des ouvriers), 1886 (10 M 255), ou celui des sculpteurs sur pierre, sta- tuaires et décorateurs de la ville de Lyon (Syndicat des ouvriers, 1923 (10 M 285). Ainsi, la chambre syndicale des maîtres ouvriers sculpteurs marbriers et tailleurs de pierre de Lyon est créée à la suite d’une grève partielle des ouvriers tailleurs de pierre en 1880. Son objet est « de veiller sur les intérêts de leurs corporations, de développer l’instruction artistique et de propager l’emploi des meilleurs matériaux » ainsi que « de régler à l’amiable les dif- férends ». La récolte cependant n’est pas assurée : toujours dans le Rhône, la série J, qui concerne les fonds d’origine privée (des personnes et des fa- milles, des entreprises) ne comprend rien à ce jour qui relève du domaine funéraire.

Les archives municipales de Saint-Étienne (Loire) conservent 35 photographies publicitaires de corbil- lards et cercueils réalisées par les Pompes funèbres générales, concessionnaire du service municipal, versées en 2007.

La Maison du patrimoine, à Villefranche-sur- Saône (Rhône), détient quelques coupures de presse, papiers à en-tête, plans, catalogues du mi- lieu du XXe siècle et portraits photographiques qui constituent le fonds Bornarel, dynastie de marbriers.

Les sources et les revues professionnelles se complètent parfois. Il en va ainsi des informations concernant le tombeau de la famille Æschimann (1894, disparu, Lyon, cimetière de la Croix-Rousse) dû à l’architecte Gaspard André (1840-1896) qui

fait appel aux décorateurs Flachat et Cochet, au sculpteur Maspoli et au marbrier Dubreuil Jeune. Le monument est conçu en pierre de Soignies 1er choix (Belgique), choix qui, précisément, ne s’est pas avéré judicieux pour ce tombeau en forme de sarcophage 3, au décor très fouillé et probablement trop légèrement incliné pour évacuer la pluie : il n’en reste rien aujourd’hui.

Ne sera pas négligée non plus la base de données

en ligne, participative, Monuments aux morts. France-

Belgique de l’université Lille 3 4, où sont annexées de nombreuses archives, souvent municipales.

Si les conditions de conservation ne sont pas toujours optimales, la variété des informations iné- dites glanées dans les différents fonds d’archives de marbriers plaide pour la bienveillance en leur faveur. Ce souci de conservation n’est pas antinomique avec une attention portée aux monuments, eux-mêmes

2 • L’ÉTUDE : SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE

Projets de tombeaux, archives de l’entreprise Marbriers et Sculpteurs

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3 Voir le dossier Inventaire :

https://patrimoine.auvergnerhonealpes.fr/dossier/tombeau- de-la-famille-aeschimann/6d4e7506-a894-442c-9c2f- d788278a9ae1

4 https://monumentsmorts.univ-lille.fr

sources de renseignements. Les tombeaux de mar- briers sont, pour certains, encore visibles (deux tombes Dubreuil à Écully, une au cimetière ancien de la Guillotière, celle de Barraud à la Croix-Rousse, de Pilot, Durix et Guerrieri à Villeurbanne, de Péju à Saint-Genis-Laval, de Merley à Givors, de Dubief et Bornarel à Villefranche-sur-Saône, celle de la dy- nastie Vapillon à Theizé, de Myard à Beaujeu). Leur recensement est commencé dans le département du Rhône.

Ci-dessus: Projet de tombeau, T. Vialy ? [2e quart XXe siècle], archives

de l’entreprise Marbriers et Sculpteurs réunis.

En haut à droite : Tombeau d’Eugène Perrot, verso du plan d’exécution : poncif de l’aileron à volutes [première moitié

du XXe siècle].

Archives de la marbrerie Paul-Favre.

Ci-contre : Tombeau de la famille Gelly, sculpteur L. Renard ?, photo-

graphie du début XXe siècle,

archives de l’entreprise Mar- briers et Sculpteurs réunis. À droite : Fronton orné des outils du tailleur de pierre, tombeau de la famille Vapillon, cime-

Parce qu’elle se prête à de nombreuses va- riations formelles grâce à sa plasticité et parce que son coût de production a rapidement baissé avec les progrès techniques de la révolution in- dustrielle, la fonte de fer a souvent été choisie par les familles pour orner les tombeaux de leurs défunts. Présente dans les cimetières villageois comme dans ceux des grandes villes, elle revêt

différents styles, reflétant les goûts dominants, de l’académisme ou de l’éclectisme du milieu du XIXe siècle jusqu’à l’Art nouveau puis l’Art déco. Ce phénomène mérite à la fois analyse et me- sures de protection, car le patrimoine de la fonte funéraire, art manufacturé s’il en est, longtemps ignoré, voire méprisé, mais aujourd’hui reconsi- déré, est plus fragile qu’il n’y paraît.

La fonte dans les cimetières :