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Alors que des juifs s’implantent dans le sud de la France actuelle dès les débuts de la conquête ro- maine, on ne sait quasiment rien sur leurs conditions d’inhumation durant l’Antiquité et le haut Moyen Âge, l’identification d’éventuels vestiges les concernant étant très difficile du fait de leur grande intégration à la société environnante et de l’emploi général de la langue latine sur les épitaphes 2. L’apparition de cimetières juifs, à partir du XIIe siècle, semble une conséquence de la christianisation des nécropoles, jusque-là extra muros, déplacées à l’intérieur des agglomérations, autour des églises. Elle consacre un long processus de séparation. Lors des expulsions de la fin du Moyen Âge (de 1182 au bannissement final de 1394), ces cimetières juifs sont systématiquement détruits et les stèles, désormais en hébreu, vendues et remployées dans des constructions 3.

Si chaque extension du royaume est suivie par l’expulsion de ses juifs comme en Provence en 1501, des communautés subsistent ou se reconstituent à l’époque moderne sur quelques territoires périphé- riques. Elles vivent en marge du reste de la société, dans une situation plus ou moins précaire selon les régions. États français du pape depuis 1274, Avignon et le Comtat Venaissin ne sont pas concernés par les édits d’expulsion du domaine royal et accueillent des

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2 Un sarcophage du IIIe siècle à Arles (Bouches-du-Rhône)

d’une certaine « Pompeia Judea » et deux stèles du VIIe siècle

à Auch (Gers) et Narbonne (Aude) portant des symboles juifs sont recensés.

3 À l’exception notable des quelques soixante-dix fragments

provenant d’un cimetière parisien de la rive gauche, situé dans l’actuelle rue Pierre-Sarrazin, retrouvées en 1849 lors de la construction de la librairie Hachette, tous les autres ves- tiges – concernant une vingtaine de localités sur une centaine documentées – ont été retrouvés hors contexte.

Cimetière juif de Macken- heim (Bas-Rhin) dont la première mention connue date de 1608.

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4 Il existe toutefois quelque cas où la communauté parvient à

acquérir son cimetière de plein droit comme à Carpentras, l’Isle-sur-la-Sorgue (Vaucluse) ou Peyrehorade (Landes).

5 Il ne semble pas en vigueur en Alsace, entre les massacres de

la Peste noire (1349) et la fin du XVIe siècle, et demeure inter-

dit dans le Comtat Venaissin jusqu’à la Révolution.

réfugiés du Languedoc, puis de Provence. En 1624, tous les juifs sont regroupés dans quatre localités : Avignon, Carpentras, Cavaillon et L’Isle-sur-la-Sorgue (Vaucluse). Des juifs ibériques convertis au catholi- cisme pour échapper aux expulsions d’Espagne de 1492, puis du Portugal de 1496, mais en butte aux persécutions de l’Inquisition, sont accueillis par Hen- ri II à partir de 1559 dans le pays basque, puis à Bor- deaux, comme « nouveaux chrétiens » avant de reve- nir progressivement à la religion de leurs ancêtres. Des communautés réapparaissent aussi progressi- vement en Alsace et en Lorraine, après l’expulsion des juifs de la quasi-totalité des villes aux XVe et XVIe siècles. À l’exception notable de celle de Metz re- créée à partir de 1567 sous la protection des autorités françaises après la prise de la place – de loin la plus importante de France avec près de 2 500 membres en 1789 – il s’agit essentiellement de petites commu- nautés rurales autorisées par des seigneurs locaux contre le paiement de taxes exorbitantes. Ces juifs, souvent très pauvres, sont de loin les plus nombreux en 1789 : 25 000 en Alsace et 8 à 10 000 en Lorraine, contre respectivement 5 000 et 2 500 en 1789 dans le sud-ouest et le comtat Venaissin.

Dépendant du bon vouloir des autorités lo- cales, les cimetières juifs d’Ancien Régime sont souvent implantés sur une parcelle ingrate (fos- sé, pente ou terrain marécageux) contre un loyer élevé 4 et une taxe sur chaque inhumation. Leur rayonnement géographique est important desser- vant couramment plusieurs communautés à vingt ou trente kilomètres à la ronde. Le droit d’apposer des monuments funéraires n’existe pas partout 5, et ces derniers sont fréquemment volés, les plus anciens ayant partout disparu. En 1791, les dé- crets d’émancipation suppriment les anciennes « Nations » juives au profit d’un droit de citoyen- neté individuel. Sous la Terreur, la fureur antireli- gieuse s’abat indifféremment sur tous les cultes, plusieurs cimetières juifs étant fermés et pillés (Metz, Rosenwiller, Jungoltz…). Avec le transfert des cimetières du giron de l’Église aux communes le 13 brumaire an II (4 novembre 1793), le cime- tière devient un espace « neutre » accueillant en principe tous les citoyens, quelle que soit leur religion, situation qui n’est pas acceptée partout. Dans le Haut-Rhin, plusieurs communes comme Durmenach ou Haguenthal préfèrent créer dès 1794 un cimetière juif séparé.

La loi de 1804 instaure une approche plus favo- rable aux minorités religieuses, imposant aux com- munes des espaces spécifiques pour chaque confes- sion (art. XV) : « Dans les communes où l’on professe plusieurs cultes, chaque culte doit avoir un lieu d’in- humation particulier, et dans le cas où il n’y aurait qu’un seul cimetière, on le partagera par des murs, des haies et des fossés en autant de parties qu’il y a de cultes différents, avec une entrée particulière pour chacun et en proportionnant cet espace au nombre d’habitants de chaque culte ». Le premier « carré juif » de ce type est inauguré en 1810 au cimetière parisien du Père-Lachaise. Si la nouvelle législa- tion contraint les communautés juives à quelques adaptations (délais de vingt-quatre heures avant toute inhumation), elle prévoit aussi la possibilité de concessions perpétuelles dans la limite de l’espace disponible (art. X), possibilité favorable au judaïsme qui proscrit toute exhumation, mais cette disposition n’existe pas partout et reste inaccessible au plus grand nombre. Contrairement à la situation du reste de la France, ces cimetières et « carrés » confession- nels publics restent rares dans les zones d’implan- tation juive avant la Révolution. Un décret de 1806 permet en effet aux institutions juives de conserver la propriété des cimetières antérieurs à 1804, qui sont transférés aux consistoires lors de l’organisation du culte israélite par Napoléon en 1808. Les inhuma- tions dans des propriétés privées restant autorisées, sous réserve d’un éloignement suffisant des habita- tions (art. XIV), la plupart des cimetières juifs créés dans les petites communes dans la première moitié du XIXe siècle sont au départ des terrains achetés par des particuliers, mis à la disposition des communau- tés. La grande majorité des cimetières alsaciens et lorrains dépendent ainsi toujours des consistoires, avec seulement six carrés ou cimetières communaux en Moselle ou dans le Bas-Rhin et quatre dans le Haut-Rhin.

En 1881, la loi abroge les carrés confession- nels dans les cimetières communaux entraînant la destruction des clôtures intérieures (voir p. 30).

Un arrêté du Conseil d’État du 20 avril 1883 pré- cise « l’interdiction d’établir des distinctions ou des prescriptions particulières en raison de la confession du mort, notamment quant à l’emplacement de la tombe ». Visant essentiellement l’Église catholique, il est appliqué avec plus ou moins de rigueur selon les lieux, ses effets étant particulièrement visibles dans les grands cimetières parisiens où les tombes se retrouvent mélangées. Si le cas de Luxeuil-les-Bains (Haute-Saône), où un carré juif clos de mur au centre du cimetière a perduré jusqu’à nos jours, constitue une exception, on observe des formes d’accommo- dements. À Saint-Dié-des-Vosges, la porte desser- vant l’ancien carré juif a été murée tandis que l’allée principale et l’emplacement des murs de séparation étaient comblés par de nouvelles tombes, mais des rangées continues restent réservées jusqu’à nos jours aux inhumations juives.

Du fait de leur histoire complexe, les cimetières juifs français présentent donc des traits très différents d’une région à une autre. Ils sont aussi très inégale- ment répartis sur le territoire, plus des trois-quarts se situant en Alsace et en Lorraine.