3.3 Base {|ψD, |ψG}
Les deux vecteurs|ψGet|ψDforment bien ´evidemment une autre base de l’espace de Hilbert. Dans cette base, qui correspond aux configurations d’´equilibre classiques, il est int´eressant de voir l’origine du ph´enom`ene d’in-version. On ´ecrit les vecteurs de base comme :
|ψD= 1
0 |ψG= 0
1 . (6.21)
Dans cette base, les ´etats|ψSet|ψAs’´ecrivent :
|ψS= 1
√2 1
1 |ψA= 1
√2 1
−1 . (6.22)
Ici, le ph´enom`ened’interf´erences apparaˆıt sous une forme (presque trop) ba-nale : |ψD (resp.|ψG) est une superposition lin´eaire des ´etats|ψSet |ψA qui interf`ere destructivement `a gauche (resp. `a droite).
Dans cette base, l’observable ˆX est diagonale : Xˆ =
1 0
0 −1 . (6.23)
En revanche, l’hamiltonien ˆH ne l’est pas. Il a la forme : Hˆ =
E0 −A
−A E0 , (6.24)
dont les vecteurs propres sont|ψSet|ψAavec valeurs propresE0∓Acomme on s’y attend.
Les termes non diagonaux dans l’hamiltonien ci-dessus sont appel´estermes de transition. Ce sont eux qui induisent les transitions p´eriodiques des ´etats
|ψD et |ψG l’un vers l’autre : plus A est grand, plus cette transition est rapide.
Le formalisme matriciel a consid´erablement simplifi´e les choses par rap-port aux calculs du chapitre 4. Bien entendu, un ´el´ement essentiel de ce calcul matriciel est la donn´ee du param`etreA, que nous avions pu calculer analy-tiquement pour le potentiel en double puits carr´e. Dans de nombreux cas, le calcul analytique ou num´erique de ce param`etre est trop complexe et seule une d´etermination exp´erimentale est possible. N´eanmoins, une fois cette va-leur connue, le r´esultat du calcul matriciel est pratiquement imm´ediat.
4 Mol´ ecule NH
3dans un champ ´ electrique
Munis de ces techniques, nous pouvons aborder le principe dumaser qui a r´evolutionn´e la physique des ondes hertziennes et l’astrophysique. Nous consid´erons le cas sp´ecifique du maser `a ammoniac.
Fig. 6.3:Les deux configurations classiques de la mol´ecule NH3et le dipˆole ´electrique correspondant.
Il y a une multitude d’autres types de masers (et de lasers dont le principe est semblable), fond´es sur des effets physiques diff´erents, mais la description math´ematique de ces syst`emes sera toujours semblable `a ce que nous exposons ici. Dans certains cas, il faudra faire intervenir davantage d’´etats de base (syst`emes `a trois, quatre niveaux, etc.) mais qualitativement les r´esultats physiques se comprendront facilement `a partir des syst`emes `a deux ´etats dont NH3 est le prototype.
4.1 Le coupl age de NH3 `a un champ ´electrique
Dans les configurations classique de la mol´ecule repr´esent´ees en figure 6.3, celle-ci poss`ede un moment ´electrique dipolaire D. Ce moment dipo-laire est port´e par l’axe de sym´etrie de la mol´ecule pour des raisons de sym´etrie ´evidentes. L’atome d’azote est ´electron´egatif et attire les ´electrons, d’o`u l’orientation deDqui change de signe si la mol´ecule se retourne.
Pla¸cons notre mol´ecule dans un champ ´electrique statique E. Classique-ment, l’´energie potentielleW de la mol´ecule dans un champE s’´ecrit :
W =−D·E . (6.25)
Supposons pour simplifier que le champE est parall`ele `a x. Nous nous po-sons la question de connaˆıtre la forme de l’observable ´energie potentielle ˆW correspondante.
Nous travaillons d´esormais dans la base {|ψS,|ψA}. Pour le probl`eme qui nous int´eresse (syst`eme `a deux ´etats), le choix naturel pour l’observable moment dipolaire ´electrique de la mol´ecule est de supposer qu’elle est propor-tionnelle `a l’observable ˆX d´efinie plus haut :
Dˆ =d0Xˆ =
0 d0
d0 0 , (6.26)
o`u d0 est un param`etre mesurable de la mol´ecule (exp´erimentalement d0 ∼ 3 10−11 eV/(V/m)). Autrement dit, nous supposons que si, en mesurant la disposition (droite ou gauche) de la mol´ecule, nous trouvons les valeurs ±1 avec certaines probabilit´es, en mesurant son moment ´electrique dipolaire, nous
4 . Mol´ecule NH3 dans un champ ´electrique 137 trouverons ±d0 avec les mˆemes probabilit´es. Ce choix reproduit bien le fait queD change de signe lorsque la mol´ecule se retourne.
Le choix naturel pour l’observable ´energie potentielle de la mol´ecule dans le champ, consiste alors `a s’inspirer de la formule classique (6.25), c’est-`a-dire consid´erer le produit de l’observable ˆD par la valeur du champE :
Wˆ =−EDˆ =
0 −η
−η 0 avec η=Ed0 . (6.27)
Bien entendu, ce choix, quelque naturel qu’il puisse paraˆıtre, a pour r´eelle jus-tification qu’il conduit `a une explication correcte des r´esultats exp´erimentaux.
Dans le syst`eme complexe qu’est NH3, pour toute configuration spatiale de l’ensemble des particules, on peut d´efinir les barycentresr+etr−des charges positives (4 noyaux) et des charges n´egatives (10 ´electrons). Pour cette confi-guration, le moment dipolaire estD=Q(r+−r−) avec Q= 10q (q est la charge ´el´ementaire). Par le principe de correspondance, l’observable ˆW est Wˆ =−E·Dˆ =−QE·(ˆr+−ˆr−). La forme (6.27) est la restriction de cet op´erateur au sous-espace `a deux dimensions qui nous int´eresse ici.
4.2 Niveaux d’´energie dans un champ fixe
Dans un champE, l’hamiltonien de la mol´ecule est donc : Hˆ = propres et vecteurs propres de ˆH s’obtiennent ais´ement :
E−=E0−
Validit´e de ce calcul. La r`egle du jeu est de pouvoir se restreindre aux
´
etats d’´energie les plus bas. Il y a donc une limite sur la valeurE du champ : il doit ˆetre tel que E+E1 o`u E1 est l’´energie du premier ´etat excit´e. Au-trement, les ´etats d’´energie sup´erieure doivent ˆetre incorpor´es dans le calcul.
Etant donn´´ ees les valeurs de A et de E1−E0 pour NH3, il y a une bonne marge de manœuvre. L’approximation est justifi´ee pour tout champ r´ealisable en laboratoire. Deux cas limites int´eressants sont `a consid´erer.
1. Champ faible. Dans le r´egime de champ faible,θ1 et les niveaux et
´
etats propres sont alors `a l’ordre le plus bas non nul enE : E∓E0∓
1 2 3 EA
ES ψA
ψ -ψ+
ψS E
E d0 / A ψG
ψD
Fig. 6.4:Energies propres d’une mol´´ ecule NH3 dans un champ ´electrique.
En l’absence de champ, chaque ´etat propre de ˆH est sym´etrique ou anti-sym´etrique et la valeur moyenne du dipˆole D dans ces ´etats est nulle. L’ef-fet d’un champ faible est de polariser partiellement la mol´ecule. La valeur moyenne du moment dipolaire induit dans les ´etats|ψ−et |ψ+est propor-tionnelle `a E :
D∓ ±d20 AE .
La quantit´e d20/A s’appelle la polarisabilit´e de la mol´ecule. Elle est grande pour NH3 car la valeur deAest faible. Le d´eplacement des niveaux d’´energie varie quadratiquement avec le champE. Cela se comprend puisque l’´energie d’interaction est proportionnelle au produit du champE par le dipˆole induit dans la mol´ecule, lui-mˆeme proportionnel au champ.
2. Champ fort. Si le champ est fort, c’est-`a-direηA, l’angle de m´elange approcheθ∼π/4, et les valeurs propres et ´etats propres sont alors :
E±E0±d0E |ψ− |ψD |ψ+ −|ψG . (6.33) En r´egime de champ fort, les ´etats propres de l’hamiltonien correspondent `a une mol´ecule presque compl`etement polaris´ee :
D∓ ±d0 .
Les ´energies sont approximativement lin´eaires dans le champ, comme pour un dipˆole classique.
Entre ces deux cas limites, on voit que deux effets sont en comp´etition pour d´eterminer les ´etats propres de l’hamiltonien total. Le terme de transitionA, dˆu `a l’effet tunnel, tend `a sym´etriser la structure de la mol´ecule et `a favoriser les ´etats|ψSou |ψA. La pr´esence du champ la polarise et tend `a favoriser au contraire les configurations classiques |ψD et |ψG. La figure 4.2 donne l’´evolution des niveaux d’´energie en fonction de l’intensit´e du champ (en unit´es A/d0). Le moment ´electrique dipolaire d0 de l’ammoniac vaut d0 ∼ 3 1011
4 . Mol´ecule NH3 dans un champ ´electrique 139 eV/(V/m). La d´emarcation entre les deux r´egimes se situe versEc=A/d0∼ 1,7 106 V/m. `A titre de comparaison, pour la mol´ecule PH3 o`u le clivage A est beaucoup plus faible, on auraitA/d0∼30 V/m.
4.3 Force subie dans un champ inhomog`ene
Pla¸cons-nous en r´egime de champ faible, o`u les niveaux d’´energie sont donn´es par (6.31). Le termed20E2/2A peut ˆetre interpr´et´e comme un terme d’´energie potentielle de la mol´ecule dans le champ, dont nous voyons qu’il a unsigne oppos´e suivant que l’´etat interne de la mol´ecule est|ψ−ou|ψ+.
Pr´eparons un jet mol´eculaire se propageant suivant une directionx, auquel nous faisons traverser une r´egion o`u r`egne un champ ´electrique inhomog`ene.
Ces mol´ecules sont de«gros»objets, et leur mouvement peut ˆetre d´ecrit en bonne approximation de fa¸con classique2. En passant dans ce champ inho-mog`ene, elles vont subir une force :
F∓ =±∇
d20E2
2A . (6.34)
Le signe de cette force d´epend del’´etat interne (|ψ−ou|ψ+) de la mol´ecule.
Par cons´equent, `a la sortie de la zone de champ inhomog`ene, le faisceau initial sera s´epar´e en deux faisceaux, l’un ne contenant que des mol´ecules dans l’´etat
|ψS, l’autre des mol´ecules dans l’´etat|ψA.
Dans le cas sp´ecifique d’un maser `a ammoniac, le champ ´electrique inho-mog`ene est tel queE2 ∝y2+z2. Les mol´ecules dans l’´etat|ψ+se trouvent alors dans un potentield20E2/2Aqui est harmonique dans le planyz perpen-diculaire `a la direction du faisceau. Leur trajectoire est la superposition d’un mouvement lin´eaire suivant x et de petites oscillations dans le plan trans-verse. A l’inverse, des mol´ecules dans l’´etat|ψ−sont plac´ees dans un poten-tiel harmonique invers´e−d20E2/2A et sont expuls´ees du voisinage de l’axex.
L’inhomog´en´eit´e du champ permet donc de trier les mol´ecules qui sont dans l’´etat (de structure interne) |ψ+ ∼ |ψA, en les s´eparant spatialement des mol´ecules dans l’´etat|ψ− ∼ |ψS.
Le jet obtenu ne correspond pas `a un ´equilibre thermodynamique puisque l’´etat le plus peupl´e n’est pas l’´etat fondamental |ψS. On appelle ce type d’op´eration une inversion de population. Le dispositif simple ci-dessus n’est qu’un exemple parmi une multitude de techniques d’inversion de population.
L’inversion de population rompt l’´equilibre thermodynamique qui existait entre les ´etats|ψSet|ψAdans le faisceau initial.
Commentaires :
1)Un faisceau dans l’´etat pur|ψ+sera focalis´e et un faisceau dans l’´etat|ψ− sera d´efocalis´e. Il n’est pas du tout ´evident de deviner ce qui se passera pour un faisceau dans la superposition quantiqueα|ψ−+β|ψ+. Nous ´etudierons ce
2Le raisonnement qui suit sera justifi´e rigoureusement, `a partir du th´eor`eme d’Ehrenfest, lors de l’interpr´etation de l’exp´erience de Stern et Gerlach (chapitre 8).
+
+
-ψS z
x y
jet moléculaire de NH3
ψA
ψS
Fig. 6.5: Stabilisation du faisceau |ψ+ et divergence du faisceau |ψ− dans un champ ´electrique quadrupolaire (E2∝y2+z2).
probl`eme sur le cas semblable de l’exp´erience de Stern et Gerlach au chapitre 8.
Le r´esultat net est l’on observe deux faisceaux ´emergents d’intensit´es relatives
|α|2 et |β|2 respectivement d´efocalis´e et focalis´e. Les mol´ecules du faisceau d´efocalis´e seront dans l’´etat interne|ψ−, les autres dans|ψ+.
2) On peut se poser la question de savoir s’il est l´egitime de supposer le champ ´electrique parall`ele `a l’axe de la mol´ecule. Pour traiter cette question correctement, il faut consid´erer la v´eritable structure des ´etats sym´etrique et antisym´etrique, ce qui demande de connaˆıtre leur moment cin´etique (chapitre 10). On trouve alors que chaque niveau ES et EA est en fait d´eg´en´er´e. On peut choisir une base des sous-espace propres correspondantsES et EA telle que chaque ´etat de base corresponde `a une valeur donn´ee de la projection du moment cin´etique suivant un axe donn´e, par exemple la direction du champ
´electrique `a l’endroit o`u se trouve la mol´ecule. Le traitement exact est plus compliqu´e3que ce que nous venons de pr´esenter, mais les conclusions restent les mˆemes. L’´etat interne des mol´ecules peut ˆetre d´evelopp´e sur ces ´etats de base, dont certains sont focalis´es (comme |ψ+), et les autres expuls´es du centre du faisceau (comme|ψ−).