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B. Mode de calcul du dédommagement

4. Ea res

Le point crucial dans le débat des romanistes concerne, par rapport au calcul du dommage du chap. III, le cas de figure où un bien a été endommagé sans

38 Ulp. D. 9,2,23,1.

39 Cf. supra.

40 Ulp. D. 9,2,41pr, cf. supra.

41 Ulp. D. 9,2,29,3; cf. supra 101.

42 Ulp. D. 9,2,27,17; cf. supra 29. Cf. aussi Coll. 2,4,1.

43 Ulp. D. 9,2,27,17; autrement, Ulp. Coll. 2,4,1.

44 Ulp. D. 9,2,7pr, mais déjà chez Gaius D. 9,1,3.

avoir été détruit entièrement. Allait-on alors mettre à la charge de l'auteur la valeur entière de la chose avant le dommage ou fallait-il tenir compte de la valeur résiduelle du bien endommagé? Quanti ea res fuit in diebus triginta proximis laisserait entendre que l'auteur doit payer la chose entière, même si elle garde une certaine valeur. Cette lecture aboutirait à des solutions inac-ceptables, car le dédommagement pourrait dépasser largement le dommage, notamment si la valeur résiduelle était élevée. Ce résultat manifestement in-juste qui ne se produirait que si le calcul porte sur les 30 jours précédant le dommage a livré l'argument principal contre une correction de erit en fuit45. Dès lors, il est important de clarifier la signification de ea res, puisque c'est par rapport à la chose que le dédommagement se calcule: quanti ea res.

Est-ce que ea res renvoie à l'ensemble de l'objet en cause, ou plutôt à la partie précise qui a été détériorée? Et, outre sa signification dans le texte de la loi, quelle application la jurisprudence en a-t-elle faite?

Nous soutenons une interprétation littérale de la loi. Il nous paraît que le terme ea de l'expression ea res a une signification démonstrative et se réfère directement au quod usserit fregerit ruperit. Il désigne très précisément et seulement ce qui a été brûlé, rompu, etc. Il ne renvoie pas à l'ensemble de l'objet en question, mais à ce qui en a été endommagé46Si on a crevé un oeil à un esclave, ea res se réfère à «cet oeil-ci» et non pas au corps entier de l'esclave; si on a déchiré un filet, ea res en désigne exactement la partie détruite, et non pas tout le filet. Cette attitude de montrer- en quelque sorte du doigt -le dommage précis s'inscrit dans la tradition des XII-Tables. Le si membrum rupsit ... talio esta surtout avait désigné sur l'objet même et avec une précision parfaite le dommage infligé. Le os frangere aussi se référait directement à la partie du corps concernée, et non pas à l'ensemble de la personne. Ea res garde cette force démonstrative47 . La partie endommagée de 1' objet est considérée isolément. Ce système permet, comme déjà le Talion, de tenir compte de la gravité exacte du dommage, telles la profondeur d'une blessure ou 1' ampleur de la destruction de 1' objet48. A la différence du Talion,

45 Cf. seulement V ÔLKL, ARTUR, Quanti ea res erit in die bus triginta proximis. Zum dritten Kapitel der lex Aquilia, RIDA 24/1977, 461-486, 462s.

46 Sur les problèmes de 1' aestimatio, voir aussi V ALDITARA, Superamento, 8 et V ALDITARA, GIUSEPPE, Damnum iniuria datum, 864ss.

47 Concernant la démonstration concrète du dommage subi, Gai us la mentionne aussi pour le procès formulaire de l'actio iniuriarum: aut si is cui pugno mala percussa est, in actione iniuriarum etiam aliam partem c01poris percussam sibi demonstraverit (Gai.

4,60). Cf. aussi SCHMIDLIN, BRUNO, Das Rekuperatorenverfahren. Eine Studie zum rômischen Prozess, Freiburg Schweiz 1963, 39s.

48 Cf. aussi PUGSLEY, DAVID, On the lex Aquilia and culpa, in: Americans are aliens and other essays on roman law, Exeter 1989, 57-73, 59ss.

CALCUL DU DÉDOMMAGEMENT: TANTUM AES DARE DOMINO DAMNAS ESTO

ils' agira dans la LA non pas de rendre la pareille, mais de dédommager. Dès lors et conformément à la loi, le problème ne consiste pas en réalité à fixer la valeur résiduelle de la chose, mais à évaluer avec précision le dommage in-fligé49.

49 Autrement notamment KASER, Quanti ea res est, München 1935, 167s., qui supposait que, initialement, le calcul du dommage se référait à l'objet dans son ensemble: « ... (es B.W.) ist anzunehmen, dass auch bei blosser Beschiidigung stets der (objektive) Wert der ganzen Sache berechnet wurde» (169), mais admet que le calcul se faisait sur les 30 jours avant le dommage. La combinaison du calcul qui tient compte de la moins-value avec une computation rétrospective serait, au plus tôt, classique, sinon tardive (169). Plus tard, KAsER (RPR 1, 161 n. 61) est revenu sur sa position pour estimer qu'on tient compte, en cas de diminution de la valeur, seulement de la différence de valeur avant et après l'événement dommageable.

Autrement surtout DAUBE, On the third chapter of the lex Aquilia, in: Collected Studies 1, 3-18, qui interprète quanti ea res erit in diebus triginta proximis, tantum aes domino dare damnas esto: «i.e. the wrongdoer has to pay whatever this case will amount to in the next thirty days» (6). Contrairement à notre interprétation qui donne à ea res un sens restreint et précis, celle de Daube en fait un terme large et général. Ajoutons que Daube maintient erit et situe la période de calcul de 30 jours après le dommage. Cf.

aussi CARDASCIA, GUILLAUME, La portée primitive de la Loi Aquilia, in: Daube Noster, Edinburgh, etc. 1974, 53-75, qui récapitule les problèmes soulevés par Daube dont il se fait l'avocat.

Autrement aussi V6LKL, ARTHUR, Quanti ea res erit in diebus triginta proximis. Zum dritten Kapitel der lex Aquilia, RIDA 24/1977, 461-486, (avec résumé critique de Daube, Roman law. Linguistic, social and Philosophical Aspects, Edinburgh 1969, 66ss, 462ss).

Il soutient, dans une analyse nuancée, que le délai de calcul de 30 jours, initialement pris au sens de erit, permettait soit de laisser guérir une blessure, soit de réparer le dommage par le remplacement en nature du bien endommagé (477s.). La modification des conditions sociales et économiques aurait remplacé le dédommagement en nature par une compensation en espèces. Ce serait alors que le délai de calcul aurait été inter-verti pour prendre en compte les 30 jours avant le début du délai de l'a0 LA (481, 486).

Vôlkl souligne le caractère nécessairement spéculatif de toute reconstruction; l'inver-sion de erit enfuit aurait commencé peu après l'entrée en vigueur de la LA (465, 486) et aurait été accomplie bien avant la deuxième partie du 1er s. a. C. Cf. aussi ANKUM, HANS, L'actio de pauperie et l'actio legis Aquiliae dans le droit romain classique, in:

Studi Sanfilippo II, Milano 1982, 11-59, 48ss; ZIMMERMANN, Obligations, 968, avec discussion détaillée des différentes hypothèses, qui approuve partiellement les thèses de Vôlkl. Il lit quanti ea res erit comme «as much as this affair will be» (968).

Deux points surtout rendent fragiles les thèses de Daube, Vôlkl et Zimmermann. Pre-mièrement, l'inversion de erit enfuit/fuerit, qui exige une explication très complexe, n'a pas d'assise dans les textes. Elle se situerait précisément dans une période particu-lièrement pauvre en sources. Deuxièmement, ce qui paraît être le point fort de leurs thèses, à savoir le fait qu'ils ne corrigent pas le erit enfuit dans Ulp. D. 9,2,27,5, les contraint non seulement à négliger les deux autres sources qui adoptent fuerit (Gai.

3,218) et fuit (Ulp. D. 9,2,29,8), mais surtout à ne pas s'étonner qu'un auteur comme Ulpien ait écrit une fois erit et une autre fois fuit sans le moindre commentaire, et cela, nota bene, dans deux fragments qui devaient se trouver l'un près de l'autre dans le livre 18 de son commentaire sur l'Edit.

Précisons d'emblée que, à défaut de fragments jusqu'au 2e s. a. C., notre analyse ne peut pas être étayée dans la jurisprudence aquilienne des premiers temps. Cependant, sur le principe, elle s'accorde parfaitement avec la juris-prudence classique, où certains fragments postulent expressément 1' estima-tion du dommage causé et non pas celle de 1 'objet dans son ensemble50. Elle s'accorde également avec un point de vue de simple bon sens selon lequel le dédommagement pour avoir crevé un œil d'un esclave ne pouvait pas avoir été sanctionné de la même manière que si on l'avait tué51Par ailleurs, il est improbable que la LA soit en régression par rapport aux XII-Tables, qui avaient déjà connu un système plus nuancé.

Si la signification du ea res est réduite à la partie endommagée de 1' objet, on peut envisager plusieurs systèmes de calcul possibles. Pour déterminer le montant dû en cas d'œil crevé, le juge pouvait fixer directement la valeur de la partie endommagée ou estimer deux fois la valeur de l'esclave, une fois avec, l'autre fois sans le dommage. La différence entre les deux correspon-drait au montant dû.

Certes, le texte du chap. III LA ne prévoit aucune technique de calcul et, une fois de plus, nous n'avons pas de jurisprudence sur les modes de calcul appliqués initialement. Cependant, nous savons que la jurisprudence classi-que procède couramment à un calcul par comparaison. Les auteurs qui font de la diminution de la valeur économique un critère pour l'application de la LA 52 procèdent nécessairement à deux évaluations, avant et après, pour éta-blir une éventuelle perte économique.

La jurisprudence a affiné encore davantage ce système de calcul, nous l'avons vu, en tenant compte, par exemple, de l'intérêt du lésé, mais aussi des frais occasionnés par les soins médicaux. Cependant, comme Pauli' affirme:

non a.ffectiones aestimandas53. Le calcul reste étroitement lié à la valeur marchande du bien, au détriment notamment de la valeur affective que le lésé lui donnait.

50 P. ex. Ulp. D. 9,2,5,1; 2lpr. Par ailleurs, selon Ulp. D. 9,2,13,2, la LA doit simplement garantir que le propriétaire ne subisse pas de dommage.

51 P. ex Alf. D. 9,2,52,1. En d'autre termes, la différence entre le chap. I et le III ne se réduisait pas à la qualification de 1 'acte comme occidere, respectivement urere,frangere, rumpere, mais avait également des conséquences matérielles différentes. Sauf en cas de destruction intégrale qui ne laissait pas de valeur résiduelle, l'application du chap. I entraînait, pour des biens de valeur égale, des dédommagements plus lourds que l'ap-plication du chap. III.

52 Cf. supra 3, Dommage certain et calculable.

53 Paul D. 9,2,33pr; cf. supra 41. VALDITARA, Superamento, 30ss, avec critique d'inter-polation et littérature sélectionnée, considère tout le texte comme intact (57). Cf. éga-lement Paul. D. 35,2,63pr.