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C. Damnum datum: rapport de causalité

1. Formes de causalité

La jurisprudence montre que deux formes particulières de causalité ont prin-cipalement préoccupé les juristes romains 117. Différents fragments traitent d'états de faits déterminés par plusieurs causes simultanées118 (précurseurs de la causalité concurrente). Selon les particularités du cas d'espèce, les ju-ristes refusaient ou acceptaient de tenir compte de la multiplicité des causes.

Celui qui donna un léger coup à un esclave malade qui en mourut répond, selon Labeo, d' occidere. Même si la maladie de l'esclave était une des causes du décès, Labeo refuse de faire dépendre 1' application de la LA de 1' état individuel de la victime: quia aliud a/ii mortiferum esse soletl19. En revan-che, les veteres déjà tenaient compte, selon Julien 120, d'une forme de causes multiples. Si plusieurs personnes battirent à mort un esclave et s'il ne fut pas possible de déterminer qui lui donna le coup fatal, tous étaient tenus par la LA pour occidere121. En l'occurrence, Julien semble considérer que le coup mortel fut infligé par une seule personne. Ne pouvant pas déterminer l'auteur, il recourt avec les veteres à une fiction de causes multiples, selon laquelle tous auraient contribué ensemble à la mise à mort.

Une autre forme de causalité est liée à des causes qui se suivent dans le temps et qui accélèrent le cours habituel des choses de la cause précédente (ancêtre de la causalité subséquente ou überholende Kausalitiit) 122 . Le cas de figure envisagé traite d'un esclave mortellement blessé qui fut tué pendant son agonie par un tiers. De quoi les deux auteurs sont-ils responsables? La I 17WILLVONSEDER, Condicio, 144ss, distingue notamment causalité subséquente (überholende Kausalitat), cumulative et alternative. Il ne voit dans la LA pas de causa-lité cumulative au sens moderne du terme, mais admet éventuellement des éléments de causalité alternative dans D. 9,2,51,1 et D. 9,2,11,2. En revanche, D. 9,2,11,3, D. 9,2,15,1 et D. 9,2,51 sont classés dans la catégorie de la causalité subséquente.

1 ISLa terminologie moderne de la causalité doit être utilisée avec précaution. Elle est le fruit de théories, alors que les considérations causales dans les sources romaines sont essentiellement pratiques; cf. aussi NORR, Causa mortis, 182s.

119Ulp. D. 9,2,7,5; SCHIPANI, Responsabilità, 204; NORR, Causa mortis, 162 passim.

120Iul. D. 9,2,11,2; 51,1.

121 Pour d'autres cas liés à la causalité concurrente ou des problèmes, proches, Ulp. D.

9,2,27,9; Ulp. Coll. 12,7,7.

122WILLVONSEDER, Condicio, 144ss. La doctrine moderne définit la causalité subséquente ou zïberholende Kausalitiit comme celle ou 1 'auteur cause un événement qui se serait de toute façon produit ultérieurement.

EN FAIT: DAMNUM DATUM

question a donné lieu à une jurisprudence controversée en droit romain et à une abondance d'interprétations parmi les romanistes. Selon Celsus qui se réclame de Marcellus, le premier répond de quasi vulnerare et le second d'occidere123Les deux solutions étaient discutables. Rendre le premier res-ponsable d' occidere revenait à anticiper sur un événement futur probable, mais qui ne s'est pas produit. Par contre, donner seulement une action pour vulnerare se heurte au fait que l'auteur a en réalité tué lorsqu'il a infligé le coup mortel. Pour le second auteur, la responsabilité pour occidere paraît lourde, parce que l'esclave déjà blessé était plus vulnérable qu'une autre per-sonne. D'autre part, on peut lui opposer que la victime était effectivement décédée suite à son coup. La solution de Celsus a l'avantage de l'évidence factuelle qui évite des considérations spéculatives sur le cours habituel des choses: le premier a blessé l'esclave et le second l'a tué.

Julien, qui apparaît comme un des grands spécialistes de la causalité, donne à la question des causes subséquentes deux réponses différentes. Pour un esclave mortellement blessé qui périt ensuite dans un accident ou un nau-frage, le propriétaire ne peut intenter une action pour occidere, mais seule-ment pour vulnerare, car l'accident empêchait de vérifier les conséquences de la blessure124. Avec Ulpien, Julien admet125le lien de causalité entre bles-sure et décès futur certain ( vulneratus mortifere) et estime même que 1 'occidere a eu lieu au moment où la blessure a été infligée. Mais, tout en tenant compte des deux causes subséquentes, les deux juristes refusent d'en admettre les conclusions sans vérification concrète. Comme Celsus, ils préfèrent la solu-tion pragmatique à des considérasolu-tions spéculatives sur les conséquences du premier coup.

123utp. D. 9,2,11,3.

124utp. D. 9,2,15,1.

Si servus vulneratus mortifere postea ruina vel naufragio vel alio ictu maturius perierit, de occiso agi non posse, sed quasi de vulnerato, sed si manumissus vel alienatus ex vu/nere periit, quasi de occiso agi posse Julian us ait. haec ita tam varie, quia verum est eum a te occisum tune cum vulnerabas, quod mortuo eo demum apparuit: at in superiore non est passa ruina apparen!, an sit occisus. sed si vulneratum mortifere liberum et heredem esse iusseris, deinde decesserit, heredem eius agere Aquilia non posse.

Pour la critique d'interpolation de D. 9,2,15,1 et D. 9,2,51, SCHINDLER, KARL-HEINZ, Ein Streit zwischen Julian und Celsus (cité: Julian und Celsus), ZSS 7411957, 201-233, 218ss, pour qui Julien avait décidé, dans le cas principal de la causalité subséquente, que ces deux auteurs répondaient d'occidere. Cf. sa reconstruction du texte, 223;

WILLVONSEDER, Condicio, 147.

125Cette approbation d'Ulpien est, selon SCHINDLER, KARL-HEINZ, Ein Streit zwischen Julian und Celsus, ZSS 7411957, 201-233, 224, le résultat d'une suite d'interpolations qui auraient établi de faux rapports entre les différents auteurs.

Dans D. 9,2,51, Julien donne une réponse différente et se base, pour trancher le cas, non pas sur le résultat, mais sur l'acte lui-même qui y a conduit126. La question est toujours de savoir de quoi les deux auteurs répon-dent respectivement, si le premier a blessé et le second tué l'esclave. D'abord, Julien précise que les deux tombent sous le coup de la LA: igitur si quis servo mortiferum vu/nus injlixerit eundemque alius ex intervallo ita percusserit, ut maturius interficeretur, quam ex priore vu/nere moriturus fuerat, statuendum est utrumque eorum lege Aquilia teneri 127 . Ensuite, il détermine

126Pour un résumé des travaux depuis env. 1950 sur les fragments D. 9,2,15,1 et D. 9,2,51, ANKUM, Kausalitat, 33lss. Il tient le texte D. 9,2,51 pour intact (337) et résout la contradiction entre D. 9,2,51 et D. 9,2,15,1 en remplaçant la virgule entre de vulnerato et sed si (ajoutée par Mommsen) par un point. Enfin, il attribue l'avis exprimé dans la première phrase à Ulpien, au lieu de Julien. L'opinion de Julien ne concernerait que la deuxième phrase, soit sed si manumissus ... Julianus ait (352s.). En d'autres termes, il enlève à Julien la proposition qui se troùve en contradiction avec les thèses qu'il défend dans D. 9,2,51. N6RR, Causa mortis, 182 n. 94 et 95 avec littérature sélectionnée, se rallie à la thèse d'Ankum. WILLVONSEDER, Condicio, 147, avec littérature sélectionnée sur l'interprétation et l'interpolation, admet une altération postclassique de D. 9,2,15,1.

Il discute la position majoritaire, selon laquelle la vraie solution de Julien serait celle de D. 9,2,51 qui rend le premier auteur responsable d'occidere, indépendamment de l'intervention ultérieure du second. Il montre qu'au moins une hypothèse envisagée dans D. 9,2,15,1, celle du si manumissus vel a/ienatus, correspond à la solution de D. 9,2,51. Les deux auteurs y répondent d'occidere.

WILLVONSEDER cite (150) à juste titre le cas comparable Gai. D. 9,2,32,1 qui rend responsable de vulnerare et occidere celui qui a d'abord blessé un esclave et l'a tué ensuite. Même si ce cas diffère de D. 9,2,15,1, notamment par le fait que les premières blessures n'étaient pas mortelles, la solution de Gai us pourrait, à notre avis, être un indice, avec Cels. D. 9,2, Il ,3, que Julien avait pu hésiter entre les deux solutions, dont chacune avait des avantages et des défauts. Concernant D. 9,2,51 f., voir aussi CANNAT A, Responsabilità, 1996, 8ss passim.

127Iul. D. 9,2,5lpr

/ta vulneratus est servus, ut eo ictu certum esset moriturum: media deinde tempore heres institutus est et postea ab a/io ictus decessit: quaero, an cum utroque de occiso lege Aqui/ia agi possit. respondit: occidisse dicitur vulgo quidem, qui mortis causam quolibet modo praebuit: sed lege Aquilia is demum teneri visus est, qui adhibita vi et quasi manu causam mortis praebuisset, tracta videlicet interpreta ti one vocis a caedendo et a caede. rursus Aquilia lege teneri existimati sunt non solum qui ita vulnerassent, ut confestim vila privarent, sed etiam hi, quorum ex vu/nere cerium esset aliquem vila excessurum. igitur si quis servo mortiferum vu/nus injlixerit eundemque alius ex intervallo ita percusserit, ut maturius inte1jiceretur, quam ex priore vu/nere moriturus fiœrat, statuendum est utrumque eorum lege Aquilia teneri.

Iul. D. 9,2,51,1

ldque est consequens auctoritati veterum, qui, cum a pluribus idem servus ita vulneratus esset, ut non appareret, cuius ictu perisse!, 011111es lege Aquilia teneri iudicaverunt.

EN FAIT: DAMNUM DATUM

implicitement la disposition légale qui leur est applicable. Étant donné le mode de calcul utilisé, les deux répondent du chap. I pour occidere: Aestimatio autem perempti non eadem in utriusque persona flet nam qui prior vulneravit, tantum praestabit, quanta in anno proxima homo plurimi fuerit repetitis ex die vu/neris trecentum sexaginta quinque diebus128. Le premier auteur est redevable de la valeur maximale de l'esclave durant l'année précédant la blessure. Pour le second, le mode de calcul est le même, mais le dies ex quo change129Les 365 jours sont calculés à partir du jour de décès de l'esclave:

posterior in id tenebitur, quanti homo plurimi ven ire poterit in anno proxima, quo vita excessit130Dans les explications qui suivent le raisonnement et qui traduisent un certain malaise par rapport à la solution adoptée (quod si quis absurde a nabis haec constitui putaverit), Julien n'aborde pas l'alternative d'une action pourvulnerare envers le premier auteur, comme elle figure dans D. 9,2,15,1 et D. 9,2,11,3131