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C. Damnum datum: rapport de causalité

4. Causalité et omittere

La jurisprudence romaine admet sans autre que l'auteur peut causer un dom-mage non seulement en agissant, mais également en s'abstenant d'agir168 • Occidere, urere,frangere, rumpere et corrumpere n'exigeaient pas toujours un acte positif de l'auteur, mais on admettait dans certains cas également un lien causal, si l'auteur n'avait pas entrepris ce qui aurait permis d'éviter un dommage.

On peut distinguer différentes catégories qui vont de ce qu'on pourrait appeler une commission active par omission (i), à la commission par consen-tement (ii) et même à l'omission simple par oubli, imprudence ou insouciance (iii).

(i) Le cas de figure le plus proche du occidere (qua caedere) est le fame necare. Le magistrat municipal prit en caution du bétail et empêcha le pro-priétaire de le nourrir169Les formules fame eas necavisset (D. 9,2,29,7) et inclusit, ne pascatur et ut fame periret (D. 47 ,8,2,20) soulignent l'interven-tion concrète du magistrat, déterminé moins à obtenir des garanties du pro-priétaire qu'à éliminer le bétail. Le magistrat n'abattit pas les animaux, mais créa activement et maintint une situation de fait dont les conséquences étaient nécessairement mortelles.

(ii) Dans une autre catégorie, on peut regrouper le cas où l'esclave tua, alors que son propriétaire le savait: Si servus sei ente domino occidit110Bien

168WILLVONSEDER, Condicio, 13s., constate qu'occidere suppose un lien de causalité en-tre l'acte et le dommage. Cependant, il souligne que ce lien de causalité n'est pas remis en question en cas d'omission, p. ex. si l'auteur a laissé mourir de faim un esclave (D.

9,2,9,2). La différence principale entre comittere et omittere est liée au moyen juridi-que mis à disposition du lésé. S'il a subi un dommage par omittere, il aura une a0 IF (ou une a0 U, B.W.) à la place de l'a0 LA, 14.

169Ulp. D. 9,2,9,2

Si quis hominem fame necaverit, in factum actione teneri Nera ti us ait.

Cf. SELB, WALTER, Kausalitiit in der dogmengeschichtlichen Betrachtung, in: Festgabe fUr Arnold Herdlitczka, München 1972, 215-222; ZIMMERMANN, Obligations, 979ss.

Ulp. D. 9,2,29,7 Cf. supra 52s.

Ulp. D. 47,8,2,20

Si publicanus pecus meum abduxerit, dum putat contra /egem vectigalis aliquid a me factum: quamvis erraverit, agi tamen cum eo vi bonorum raptorum non passe Labeo ait: sane dolo caret: si tamen ideo inclusif, ne pascatur et ut fame peri ret, etiam utili lege Aquilia.

Pour la critique d'interpolation LÜBTOW, Untersuchungen, 148, qui reconnaît que le noyau du texte est classique. Cf. aussi Gai. 3,219; 1. 4,3,16.

170Ulp. D. 9,4,2pr

Si servus sei ente domino occidit, in solidum dominum ob/igat, ipse enim videtur dominus occidisse: si autem insciente, noxa/is est, nec enim debuit ex maleficio servi in plus

EN FAIT: DAMNUM DATUM

que le propriétaire ne tuât pas lui-même, ni n'en donnât l'ordre, il ne s'y opposa pas et ne prit aucune disposition pour empêcher l'acte dommageable.

Selon Ulpien, son attitude passive prive le propriétaire de la protection de l'actio noxalis et le rend personnellement responsable de l'acte de son es-clave171. Le ipse enim videtur dominus occidisse montre le raisonnement selon lequel cette forme d'omission est, par analogie, traitée comme si le maître avait commis l'acte lui-même. En d'autres termes, le critère central pour l'application de la LA n'estpas ici la commission d'un acte, mais tout le comportement de l'auteur, qu'il consiste en un faire ou un non-faire.

(iii, 1) Cette troisième catégorie, l'omission par imprudence ou oubli, réu-nit le plus grand nombre de fragments. Dans un premier groupe de cas qui ressemblent sur certains points à la première catégorie (i), l'auteur créa lui-même le risque que, ensuite, il ne maîtrisa pas. Tel est le cas de celui qui brûla sur son champ de la paille ou des buissons et laissa le feu s'étendre sur le fonds voisin. Il répond du manque de surveillance: qui non observavit, ne ignis longius procederet172Dans un cas comparable, un muletier inexpérimenté ou infitme ne parvint pas à retenir un mulet que, normalement, un homme valide aurait pu dominer. Il est considéré comme l'auteur du dommage parce qu'il créa un ris-que inconsidéré: cum affectare quisque non debeat, in quo vel intellegit vel intellegere debet infirmitatem suam alii periculosamfuturam173. L'auteur ne

teneri, quam ut noxae eum dedat.

Pour la critique d'interpolation LÜBTOW, Untersuchungen, 4lss; 51 passim. BENOHR, HANS-PETER, Zur Haftung für Sklavendelikte, ZSS 97/1980, 273-287.

l7l L'obligation du propriétaire d'intervenir contre l'esclave ressort d'Ulp. D. 9,4,2,1: Is qui non prohibuit, sive dominus manet sive desiit esse dom in us, hac actione tenetur ...

172Paul. D. 9,2,30,3

In hac quoque actione, quae ex hoc capitulo oritur, dolus et cu/pa punitur: ideoque si quis in stipulam suam vel spinam comburendae eius causa ignem immiserit et ulterius evagatus et progressus ignis alie11am segetem vel vineam laeserit, requiramus, mun imperitia eius a ut neglegentia id accidit. nam si die ventoso id fecit, culpae reus est (nam et qui occasionem praestat, damnumfecisse videtw): in eodem crimine est et qui non observavit, ne ignis longius procederet. at si omnia quae oportuit observavit vel subita vis venti longius ignem produxit, caret cu/pa.

Cf. ScHIPANI, Responsabilità, 362ss; WILLVONSEDER, 18s., voit ici une notion de res-ponsabilité étendue, puisque l'auteur répond d'un acte qui n'était pas nuisible, mais qui a créé une situation à partir de laquelle un dommage pouvait être causé. N6RR, Causa mortis, 177ss, remarque à juste titre que le lien causal ne pose pas de problème dans ce fragment. En effet, la question est résolue en une seule phrase: nam et qui occasionem praestat, damnum fecisse videtur.

173Gai. D. 9,2,8,1

Mulionem quoque, si per imperitiam impetum mu/arum retinere non potuerit, si eae alienum hominem obtriverint, vulgo dicitur culpae nomine teneri. idem dicitur et si propter infirmitatem sustinere mu/arum impetum non potuerit: nec videtur iniquum, si

peut pas tirer argument de sa propre incapacité. Au contraire, il devait en tenir compte avant d'agir174.

(iii,2) Dans un deuxième groupe de cas d'omission par imprudence ou oubli, l'auteur ne créa pas le danger lui-même, mais s'engagea dans une si-tuation de risque déjà existante sans ensuite avoir de comportement adéquat1 75

Le médecin secourut bien un patient, mais 1' abandonna pour les soins ulté-rieurs: qui bene secuerit et dereliquit curationem176Dans un autre cas, un esclave qui aurait dû surveiller un feu allumé par un autre 177 s'endormit et la maison louée par son maître partit en flammes. Ulpien pose alors explicite-ment la question de la commission/omission et s'élève contre l'arguexplicite-ment se-lon lequel l'esclave n'a en réalité rien fait: namque qui non custodit, nihil fecit1 78 . Selon lui, aussi bien 1 'esclave qui s'endormit que celui qui garda infirmitas culpae adnumeretur, cum affectare quisque non debeat, in quo vel intel/egil vel intellegere debet infirmitatem suam a/ii peri cu/asam futuram. idem iuris est in per-sona eius, qui impetum equi, quo vehebatur, propter imperitiam vel infirmitatem retinere non poterit.

Cf. aussi I. 4,3,8. Cf. SCHIPANI, Responsabilità, 246ss; N6RR, Causa mortis, 143 pas-sim; CANNATA, Genesi e vicende della colpa aquiliana, Labeo 17/1971,64-82, 75ss.

I74Dans le même sens, LÜBTOW, Untersuchungen 104s.

175ZIMMERMANN, Obligations, souligne la différence entre l'acte par commission et par omission et admet qu'il n'y a, en droit romain, pas de responsabilité aquilienne pour une pure omission, 1043. Il se base surtout sur Gai. 3,219 et I. 4,3,16 selon lesquels l'ac LA est limitée aux dommages infligés corpore sua, alors que les autres dommages sont sanctionnés par une ac U et en conclut:« ... this concept of <corpore suo damnum dare>

excluded liability for omissions» (983). Sous cette forme insuffisamment nuancée, la conclusion de ZIMMERMANN est certainement fausse, ce qu'illustre son propre exemple Ulp. D. 9,2,27,9, où l'esclave qui s'est endormi auprès d'un feu qu'il aurait dû garder, engage la responsabilité par une ac U (cf. infra). En revanche, il est vrai que la sanction pour l'omission n'est généralement pas la même. Pour la plupart des cas d'omission, les juristes romains donnent une ac IF ou ac U, alors que les dommages infligés corpore sua sont généralement sanctionnés par une ac LA.

176Gai. D. 9,2,8pr

Idem iuris est, si medicamento perperam ususfuerit. sed et qui bene secuerit et dereliquit curationem, securus non erit, sed cu/pae reus intel/egitur.

Cf. SCHIPANI, Responsabilità, 243ss; LüBTOW, Untersuchungen, 103, 179.

177Cf. LÜBTOW, Untersuchungen, 160, pour qui l'ac U présuppose dans ce cas que l'omis-sion ait été précédée d'un acte positif qui cause un risque et génère une nécessité d'agir.

Il admet cependant à tort que l'esclave qui s'est endormi ait nécessairement été celui qui a allumé le feu.

178UJp. Coll. 12,7,7

Si forte se1-vus, qui idem conductor est, co/ani ad fornacem obdormisset et villa fuerit exusta, Nera ti us seri bit ex locato conventum praestare debere, si neglegens in elegendis ministeriis fuit. Ceterum si ali us ignem subiecerit fornaci, alil1s neg/egenter custodierit, an tenetur? namque qui non custodit, nihilfecit: qui recte ignem subiecit, non peccavit:

quemadmodum si hominem medicus recte secuerit, sed neg/egenter vel ipse vel a/ius

EN FAIT: DAMNUM DATUM

négligemment le feu répondent de leur omission, parce qu'ils auraient dû soit éteindre le feu, soit prendre des dispositions adéquates pour en empêcher la propagation. Dans ces circonstances, ne pas garder le feu revient en réalité à créer un risque qui peut causer un dommage. De même, celui qui accepta la garde d'une chose répond de son omission s'il ne fit pas ce qu'il aurait pu pour éviter un dommage: custodiri potuit, ne damnum daretur179.

Dans tous les cas évoqués, le lien de causalité entre 1' omission et le dom-mage ne pose pas de problème pour les juristes romains. Sur le plan stricte-ment causal, 1 'auteur répond aussi bien de 1' acte que de 1' omission. Il en résulte que 1' éventail des faits pertinents pour établir la responsabilités' élar-git d'un examen ponctuel de l'acte concret à l'observation générale de l'atti-tude de la personne. De plus, le juriste ne considère pas seulement ce que la personne a fait, mais également ce qu'elle aurait pu faire dans la situation donnée 180. En principe, non seulement tout acte, mais plus généralement tout comportement de 1' auteur peut dorénavant être retenu contre lui.

L'extension de la notion de causalité (de corpore à non cor pore, de corpori à non cmpori, à causam mortis praestare et causam mortis praebere et même à omittere) obéit au but central de la LA. Comme les modalités de

curaverit, Aquilia cessat. Quid ergo est? Et hic puto ad exemp/um Aquiliae dandam actionem tam in ewn, qui ad fornacem obdormivit vel neglegenter custodit, quam in medicum qui neg/egenter curavit, sive homo periit sive debilitatus est. Nec quisquam dixerit in eo qui obdormivit rem eum humanam et naturalem passum, cum deberet vel ignem extinguere vel ita munire, ut non evagaretur. Cf. également Ulp. D. 9,2,27,9.

ZIMMERMANN, Obligations, 983, avec littérature. Nous n'avons pas vu la thèse non-publiée de KEMP, KEMP J., Delictualliability for omission, Port Elisabeth 1978, signa-lée par ZIMMERMANN, Obligations, 983 n. 210. Récemment HAUSMANINGER, Schadenersatzrecht, 15, a repris la thèse selon laquelle il n'y a pas de fragment romain d'une omission pure (ZIMMERMANN, Obligations, 983 et 1043, cf. supra n. 175), mais précise qu'on présuppose un acte précédent de l'auteur lui-même. Cette affirmation est juste pour les cas d'occidere, mais ne se vérifie pas dans le cas de l'esclave qui s'est endormi auprès du feu. Rien ne permet d'affirmer que, avant de s'endormir, il a com-mis un acte positif créant un risque (cf. également supra n. 177, LüBTOW). Pour l'inter-prétation de Coll. 12,7,7 (Ulp. D. 9,2,27,9), HAUSMANINGER, Schadenersatzrecht, 16s.

passim.

l79UJp. D. 19,2,41

Sed de damno ab alio dato agi cum eo non posse Iulianus ait: qua enim custodia consequi potuit, ne damnum iniuria ab alio dari possit? sed Marcellus interdum esse posse ait, sive custodiri potuit, ne damnum daretur, sive ipse custos damnum dedit: quae sententia Marce/li probanda est. Cf. aussi Ulp. D. 9,2,27,9 (Coll. 12,7,7).

Cf. ALBANESE, BERNARDO, D. 13,6,19 e D. 19,2,41 ne! quadro dei problemi della

«custodia», in: Studi Grosso I, Torino 1968, 77-96, 80ss; CANNATA, Responsabilità, 1996, 29s.

l80Gai. D. 9,2,8,1; Ulp. Coll. 12,7,7 (D. 9,2,27,9); Ulp. D. 19,2,41.

l'acte, le degré de médiateté du lien causal est subordonné à l'idée centrale de réparation du dommage dont il constitue une condition de plus en plus souple.