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Damnum iniuria datum: Fait et Droit

La formulation initiale de la LA contient in nuee une séparation entre fait et droit. Dans le chap. I, occidere résume dans un seul terme l'essentiel de l'état de fait. Dans le chap. III, qui a un champ d'application plus étendu, damnum faxit, quod usserit fregerit ruperit énumère succinctement les actes et les dommages visés. Iniuria regroupe dans les deux chapitres les raisonnements en droit qui culminent dans l'acquittement ou dans le verdict tantum aes domino (ero) dare damnas esta. La même séparation se trouve dans le DID.

Damnum dare/facere désigne génériquement l'acte et le dommage, alors qu'iniuria renvoie à l'évaluation des faits à la lumière du droit.

Nos analyses montrent que la structure fondamentale fait-droit, qui ca-ractérise encore le droit moderne, détermine la LA dès ses débuts jusqu'à la codification justinienne. En même temps et surtout, elle en fixe la méthode de travail et conduit le raisonnement juridique.

Méthode et raisonnement sont directement calqués sur le texte de la LA.

La démarche juridique suit deux étapes: (i) En fait: occidere, urere,frangere, rumpere/damnum facere ( dare); (ii) En droit: iniuria, avec, le cas échéant, fixation du dommage: damnas est o. Le juriste commence par vérifier (i) 1' exis-tence d'un dommage et d'un auteur. L'absence de l'un ou de l'autre met un terme à sa démarche. Si les conditions du damnum datum sont remplies, il vérifie (ii) si 1 'acte a été commis iniuria ou s'il est éventuellement justifié par les circonstances. S'il y a iniuria, il fixe le montant de la réparation.

Ulp. D. 9,2,27,2543 montre de manière détaillée la partie en fait de ce raisonnement. Il s'agit de savoir si la LA est applicable à celui qui a cueilli damni est ipsum quid corrumpere et mutare, ut lex Aquilia locwn habeat, alia nulla ipsius mutatione applicare aliud, cuius molesta separatio sit.

MACCORMACK, GEOFFREY, Celsus quaerit: D. 9,2,27,14, RIDA 20/1973, 341-348, 34ls.

(n.l), tient le récit qu'Ulpien avait fait de la discussion pour fortement résumé, respec-tivement condensé par les compilateurs. La formulation initiale de Celsus serait per-due. Toutefois, Celsus lui-même aurait conclu au corrumpere (343). CERAMI, PIETRO, La concezione celsina del ius, Annali Palermo 1985, 5-250, 12lss; VALDITARA, Superamento, 486s. passim.

43 Ulp. D. 9,2,27,25

Si olivam imnaturam decerpserit vel segetem desecuerit inmaturam vel vineas crudas, Aquilia tenebitur: quod si iam maturas, cessai Aquilia: nulla enim iniuria est, cum tibi

DAMNUM INJURIA DATUM

des raisins ou olives appartenant à autrui. Ulpien envisage deux hypothèses:

premièrement, (i) si les fruits n'étaient pas mûrs, ou s'il les a jetés par terre, il y a damnum (datum). (ii) Il y a iniuria et l'auteur sera tenu par le LA.

Deuxièmement, (i) si les raisins étaient mûrs, il n'y a pas de dommage (l'auteur ayant même évité au propriétaire les impenses des vendanges). (ii) Sans dommage, il n'y a pas d'iniuria et la LA ne s'applique pas. Dans ce deuxième cas de figure, l'absence de dommage qui relève des faits met un terme au raisonnement en droit et toute iniuria est exclue: quod si iam maturas, cessat Aquilia.

Paul D. 9,2,3144 met en évidence toute la complexité du raisonnement en droit. Si un élagueur a tué un passant avec une branche qu'il a jetée d'un arbre répond-il de la LA? Parmi les différentes solutions envisagées, nous esquissons seulement le raisonnement de Mucius. Étant donné qu'il y a mort d'homme, l'existence du damnum ne pose pas de problème. En revanche, d'autres éléments de fait déterminent le raisonnement en droit: par exemple, si l'élagueur n'avertitpas le passant avant dejeter la branche. (i) N'ayant pas averti le passant, 1 'auteur du dommage a agi fautivement; (ii) sa faute a consisté etiam impensas donaverit, quae in collectionem huiusmodi jh1ctuum impenduntur: sed si collecta haec interceperit, ji1rti tenetzu: Octavenus in uvis adicit, nisi, inquit, in terram uvas proiecit, ut effimderentur.

44 Paul. D. 9,2,31

Si putator ex arbore ramum cum deiceret vel machinarius hominem praetereuntem occidit, ita tenetur, si is in publicum decidat nec ille proclamavit, ut casus eius evita ri possit. sed Mucius etiam dixit, si in privato idem accidisset, possede cu/pa agi: culpam autem esse, quod cum a diligente provideri poterit, non esset provisum aut tum denuntiatum esset, cum periculum evitari non possit. secundum quam rationem non multum refert, per publicum an per privatum iter fieret, cum plerumque per privata loca vulgo iter fiat. quod si nullum iter erit, dolum dumtaxat praestare debet, ne immittat in eum, quem viderit transeuntem: nam culpa ab eo exigenda non est, cum divinare non potuerit, an per eum locum aliquis transiturus sit.

Après le doute radical de KUNKEL, WOLFGANG, Exegetische Studien zur aquilianischen Haftung, ZSS 45/1925, 266-351, 298ss et ZSS 49/1929, 158-187, !80s., certains auteurs plus récents tiennent la définition culpa autem esse, quod cum a diligente pmvideri poterit, non esset provisum pour interpolée. WITTMANN, Kôrperverletzung, 58 n. 36;

SCHIPANI, Responsabilità, 141ss, 144, voit dans ce passage non pas une définition gé-nérale, mais une règle particulière, applicable à des cas de figure partiellement diver-gents, également 371ss, 375s. LÜBTOW, Untersuchungen, 99s., avec une proposition de reconstruction du fragment; NôRR, DIETER, Causa mortis, 133ss, interprète le fragment sans modifications. Comme Schipani, ZIMMERMANN, Obligations, 1008 n. 69, inter-prète ce passage non pas comme une définition générale, mais comme une règle de circonstance. Voir aussi BEHRENDS, OKKO, Das Handwerk in vor- und frühgeschichtlicher Zeit, Rechtsformen des rômischen Handwerks, Gôttingen 1981, 145 n. 14; cf. aussi CARDILLI, RICCARDO, L'obligazione di «praestare» e la responsabilità contrattuale in diritto romano, Milano 1995, 194; CANNATA, Responsabilità, 1996, 45 n. 104 et 50s.

à ne pas avoir prévu ce qu'une personne diligente aurait pu prévoir, ou, s'il l'a prévu, de ne pas avoir averti à temps le passant. (iii) L'auteur sera tenu par la LA.

Dans les deux cas, le raisonnement juridique est structuré par le D ID qui présuppose un damnum datum, sans lequel la question juridique sur 1' iniuria est sans objet. En conséquence, le juriste reconstruit d'abord les faits pour établir l'existence d'un dommage: Les fruits étaient-ils verts? Ont-ils été jetés par terre ou laissés à la disposition du propriétaire? L'élagueur a-t-il averti le passant? Si le damnum est établi, le juriste procède, dans la deuxième étape du raisonnement, à l'évaluationjuridique des faits reconstruits. S'il n'a pas averti le passant, l'élagueur a-t-il agi fautivement? Quelle est la notion de faute? Quelle est la notion de diligence? Dans la situation donnée, qu'aurait-on pu attendre d'une persqu'aurait-onne diligente? Les répqu'aurait-onses à ces questiqu'aurait-ons de droit conduisent le juriste à décider s'il y ainiuria ou non, et à fixer éventuel-lement le montant du dédommagement.

Les structure et méthode du DID sont présentes dans tous les cas traités dans la LA. Cependant, étant donné 1' extrême simplicité de ce schéma et la routine du juriste dans le maniement des concepts, les parties du raisonne-ment qui ne posent pas de problèmes sont souvent atrophiées ou laissées en-tièrement de côté. Si Ulpien avait voulu que son analyse de D. 9,2,27,25 soit exhaustive, il aurait dû expliquer le raisonnement qui le conduit au verdict.

S'il se contente d'expliquer si olivam inmaturam decerpserit ... , Aquilia tenebitur, respectivement, si iam maturas, cessat Aquilia, il ne développe pas le raisonnement en droit, mais en donne simplement le résultat. En ajou-tant nul! a enim iniuria est, cum ti bi etiam impensas donaverit ... , il ne donne pas d'explication juridique supplémentaire, mais souligne seulement le fait que le verdict iniuria dépend directement de 1' existence d'un dommage. S'il ne développa pas davantage son raisonnement juridique, il considéra proba-blement qu'il allait de soi et ne nécessitait pas d'explications.

Dans D. 9 ,2,31, Paul fait explicitement allusion au développement plus ou moins complet des parties en fait et en droit. Après avoir relaté le point de vue de Mucius, il commente: secundum quam non multum refert, par publicum an privatum iter jieret. En d'autres termes, le raisonnement de Mucius rend in casu inutile la distinction entre domaine public et privé, distinction qui, du point de vue de Mucius, n'aurait dès lors plus aucune place dans le récit des faits, puisqu'elle serait sans portée juridique.

Le degré de développement des parties en fait et en droit est déterminé par le souci de condenser l'écriture autour du problème à traiter. Il s'agit d'éviter des récits superflus ou des explications qui vont de soi. En même temps, le juriste construit, comme aujourd'hui encore, l'argumentation en

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droit à partir des faits à disposition et, inversement, sélectionne les éléments de fait en fonction de 1' argumentation juridique envisagée.

Dans la LA, le jeu complexe et rigoureux de rédaction et de raisonne-ment est structuré par le DID, dont les éléraisonne-ments apparaissent claireraisonne-ment ou peuvent aisément être reconstruits.

Si le DID forme la base de la LA, il ne s'agit toutefois que d'une struc-ture brute, complétée progressivement par la jurisprudence. Chacun des trois éléments damnum, iniuria et datum comporte un tel degré de généralité que l'application aux cas concrets nécessitait des précisions. Ainsi, dans D.

9,2,27,25, Ulpien précise la notion dedamnum par les distinctions entre fruits verts, fruits mûrs, fruits sauvegardés, sans lesquelles le cas n'aurait pas pu être tranché; dans D. 9 ,2,31, qui se situe à un niveau conceptuel très élevé, le verdict iniuria est appuyé sur les notions de culpa, diligentia et, dans le raisonnement d'Ulpien, sur le dolus. Ce mouvement de création et d'affine-ment des catégories et concepts juridiques a été conduit par le DID et sa structure fondamentale séparant fait et droit.