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Le modèle MACE comme outil de commensuration. Saisir la diversité dans son ensemble ensemble

Vache globale

3.2. La commensuration des index génétiques. Préserver la diversité par la standardisation standardisation

3.2.2. Le modèle MACE comme outil de commensuration. Saisir la diversité dans son ensemble ensemble

La complexité de mise en pratique et le manque de précision de la méthode de conversions représentaient un défi à relever pour les généticiens qui continuaient à travailler sur la seconde approche – celle de commensuration des valeurs génétiques produites dans différents pays. Comment simplifier la procédure en traitant les données de tous les pays ensemble ? Comment mettre les pays d’accord sur l’homogénéisation de certaines procédures d’évaluation ? Comment intégrer l’estimation des corrélations dans les calculs internationaux ?

Comme cela a été déjà dit (cf. section 2.3. du précédent chapitre), les faibles corrélations entre les valeurs génétiques sont révélatrices de l’effet d’interactions génotype-milieu (Falconer 1952). Cela implique donc une notion du milieu qu’il convient de définir pour pouvoir estimer quantitativement son effet sur la valeur génétique de l’animal, pour la corriger et construire ainsi les classements objectifs pour différents environnements. Les généticiens ont identifié une possible solution à leur problème dans les travaux sur l’interaction génotype-milieu, notamment ceux de J. S. James (1961) qui a développé des outils méthodologiques de calcul adaptés à la situation où « seulement une ou quelques populations fortement améliorées seraient amenées à être utilisées dans des environnements différents » (p. 145). L’idéal scientifique exigeait de pouvoir distinguer la ‘vraie’ interaction au niveau biologique, de l’interaction prise dans le sens plus large, plus ‘social’ c’est-à-dire l’effet de l’environnement sur la valeur génétique qu’on donnait à l’animal dans un contexte donné. Dans le premier cas, selon la méthode de James, il aurait fallu avoir accès aux données de phénotypes des animaux évalués. Mais ce prérequis était

impossible à concilier avec le ‘secret commercial’ des pays. Et les recherches sur la ‘vraie’

interaction génotype-milieu biologique n’étaient pas encore bien développées dans le domaine

animal. Il a donc été jugé pertinent et tout à fait acceptable de gérer les corrélations entre les valeurs génétiques en estimant l’effet d’interaction génotype-milieu dans lequel le milieu est défini comme le pays avec toutes les particularités liées aux systèmes nationaux de sélection et d’évaluation.

“All countries agreed that if we could correlate the genetic evaluations among countries and get an estimate of that correlation that would be reflective of genotype by environment interaction where the environment is defined as the country. And that could be the most appropriate methodology to use in the Interbull service.” (entretien

GB)

Le professeur Larry Schaeffer avec son équipe de l’Université de Guelph au Canada s’occupait principalement de l’élaboration d’un tel modèle de calcul. Il utilisait la méthode statistique du BLUP (cf. paragraphe 2.1.4.du chapitre 2) en l’adaptant au contexte ‘global’ (SuperBLUP), ce qui exigeait, comme je l’ai mentionné plus haut, une certaine homogénéisation des méthodes d’évaluation entre les pays. Les échanges intensifs entre généticiens et professionnels de l’évaluation dans les forums internationaux ont fini par conduire à une acceptation normative de la méthode BLUP au sein de la communauté des généticiens quantitatifs impliqués dans les évaluations bovines. Un consensus entre les centres de calcul nationaux sur l’adoption de la ‘base de comparaison’ mobile (c’est-à-dire, pour laquelle la moyenne évolue tous les ans avec le progrès génétique des troupeaux) a été également plus ou moins acquis. Au début des années 1990, le modèle d’analyse statistique MACE (Multi-trait Across Country Evaluation) était prêt à être testé au niveau international.

Le directeur du Réseau Laitier Canadien (CDN pour Canadian Dairy Network)72, et représentant canadien à Interbull, témoigne de ce passage des formules de conversion au modèle MACE:

« Moi, j'étais ici au Canada un employé du centre d'insémination le plus important du pays. J'étais dans cet organisme depuis 1986 et donc j'étais très au courant des

72 CDN est le centre d’évaluation génétique canadien privé faisant néanmoins partie du dispositif coopératif national de sélection. Il a été créé en 1994 pour succéder au dispositif d’évaluation installé au sein de l’organisme de recherche publique pour devenir un centre de service financé par les éleveurs et les organismes de sélection.

formules de conversion, de la manière dont on faisait les calculs. Et de fait j'ai calculé ces formules de conversion pour le Canada. Et lorsque Dr Schaeffer a développé MACE, on était très intéressé et on a commencé à utiliser cette approche-là et on a développé le logiciel, une approche informatique pour faire ces calculs-là. Et puis Larry Schaeffer a présenté ça dans un forum d'Interbull. Et là, on a dit au Canada: "on peut vous offrir ce modèle et ce logiciel MACE gratuitement pour qu'Interbull puisse l’utiliser pour calculer les évaluations au niveau international." Et on a testé entre quelques pays. On a commencé seulement entre les USA et le Canada et on a impliqué d'autres pays d'Europe aussi.» (entretien BVD)

L’étude-pilote a été financée par l’organisation européenne d’agriculteurs COPA-COGECA73, ce qui était pour les membres de la communauté épistémique une vraie reconnaissance de la pertinence du travail accompli (Philipsson 2005). C’était également un témoignage de cette pertinence pour la culture identitaire européenne, comme je l’ai montré plus haut. En effet, COPA-COGECA, dont les entités ont été créées avec la PAC (Politique agricole commune), veille toujours au respect des « intérêts spécifiques et généraux »74 des agriculteurs et des coopératives agricoles toujours selon l’idée de l’union dans la diversité.

En tant que modèle linéaire, le MACE se présente comme suit (Fig. 59) :

Fig. … Modèle MACE. Source : Interbull Code of Practices Fig. 59 La formule du modèle MACE. Source : Interbull

L’effet du pays (c) renvoie justement à l’effet d’interaction génotype-milieu où le milieu est défini comme système national de sélection pour une race donnée.

Scientifiquement, comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent, les modèles se basent sur des hypothèses et des approximations caractéristiques de toute méthode statistique.

73 Résultat de fusion en 1962 de deux organisations représentatives européennes : COPA (Comité des organisations professionnelles agricoles) et COGECA (Confédération générale de la coopération agricole)

74

Selon l’expression utilisée sur le site Internet de l’organisation https://copa-cogeca.eu/ (consulté le 28/01/2020)

Y = c + g + s + e

Where: Y = De-regressed national genetic evaluations c = Country of evaluation effect g = Genetic group of bull effect, defined by the bull’s population of origin and year of birth s = Bull genetic effect including genetic

relationships among bulls in all participating countries e = Residual effect. The international predicted genetic merits will be formed by the sum of the

Comme me l’a confié un des généticiens interviewés, « on a mis autant de mathématiques qu’on a pu pour rendre les choses comparables, mais il y a toujours des choses que les mathématiques ne peuvent jamais prendre en compte » (entretien PS). Selon l’expression d’un autre protagoniste, « on est obligé d’appliquer une ‘fenêtre de crédibilité biologique’ » (entretien JD). Cette « fenêtre de crédibilité biologique » qui représente une marge d’erreur scientifiquement acceptable lorsqu’il s’agit de la quantification des organismes vivants, s’élargit, comme nous allons le voir dans le paragraphe suivant, aux critères de crédibilité politique et économique également.

Le modèle a permis de contourner le problème politique de l’impossibilité de partager des données de phénotypes en employant la méthode statistique dite de ‘dé-régression’ (Y). Elle indique que le résultat final d’un calcul (index génétique ou EBV) impliquant initialement plusieurs ‘ingrédients’, peut être de nouveau mathématiquement déconstruit pour obtenir un ‘aperçu’ de ses composantes de base. La convention d’équivalence impossible à obtenir socialement et politiquement, semblait pouvoir l’être mathématiquement, à l’aide de telles méthodes statistiques.

Le modèle MACE était donc presque prêt à servir pour résoudre le problème de comparabilité des valeurs génétiques des taureaux participant aux échanges marchands globalisés. Les index commensurés pouvaient être classés pour définir ‘objectivement’ la qualité des produits en fonction de leurs valeurs dans chaque pays (Fig. 60)

Fig. 60 Différentiation des classements des taureaux des pays A et B avec les évaluations internationales.

Mais avant que ce standard d’évaluation international ne soit opérationnel, il était nécessaire que la légitimité de MACE soit reconnue par les différents acteurs. Notamment, les acteurs économiques jusqu’alors formellement exclus des discussions scientifiques et techniques, qui étaient pourtant des acteurs clés sur le marché de la génétique et donc les destinataires finaux du service de commensuration, devaient se l’approprier. Il fallait également décider de qui effectuerait les calculs et dans quelles conditions techniques.