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Génétique quantitative : calculer la valeur de la vache

2.3. To ‘E’ or not to ‘E’ ? Une difficile prise en compte du milieu (E) dans les calculs de la valeur génétique la valeur génétique

2.3.1. L’effet additif de l’environnement

L’objectivation biomathématique de la participation des facteurs du milieu dans les méthodes analytiques d’hérédité vient avec les concepts de phénotype et de génotype. Wilhelm Johannsen (1987-1927) a attribué à l’effet d’environnement l’écart entre un phénotype individuel et la moyenne des individus de même génotype (Sellier, Boichard, et Verrier 2019). Ce que les éleveurs ont toujours observé dans leur activité de sélection, est modélisé sous forme d’une équation composée de trois éléments essentiels : le phénotype (P), le génotype (G) et l’effet de l’environnement ou du milieu (E). Le modèle de base de la génétique quantitative reflète l’additivité des effets :

P = G + E

Pour estimer la valeur génétique de l’individu étudié, on dit qu’on la corrige pour les effets du milieu. Mais quels paramètres prendre en compte pour effectuer cette ‘correction’ ?

La définition du milieu ou de l’environnement (E), comme nous l’avons vu dans le premier chapitre, est chose socialement et techniquement complexe.

Dans l’enseignement académique des bases de la génétique quantitative, on considère trois composantes du milieu (Verrier, Brabant, et Gallais 2001)61 :

- l’environnement dans lequel vit (ou a vécu) l’individu observé, - certains états physiologiques qui lui sont propres et

- l’observateur lui-même.

Selon les auteurs, « en production animale, on inclut dans la première catégorie des facteurs tels que l’année (influence du climat sur les ressources fourragères), l’élevage (influence des potentialités agricoles de l’exploitation, du mode de conduite des animaux et de la technicité de l’éleveur), la saison de mise-bas en cas de production laitière, etc. » Parmi les

61 Je prends ici le cours « Faits et concepts de base en génétique quantitative », créé en 2001 et enseigné à AgroParisTech, comme référence explicative de ce que représente le milieu dans la pratique d’évaluation génétique/génomique animale.

caractéristiques physiologiques propres à l’individu que l’on considère comme facteurs de milieu, on note l’âge qui définit la taille et le poids, etc. On y inclut également le stade physiologique à un âge donné comme, par exemple, le ‘stade de lactation’ des femelles laitières. L’observateur, enfin, a une influence au travers du protocole de mesure qu’il applique, de la précision de ses instruments de mesure, et des erreurs de mesure qu’il peut commettre. C’est dire que la définition scientifique de l’environnement dans la vie de l’animal-producteur est assez large et les facteurs pris en compte sont assez variés.

Pour relativiser ensuite l’importance de ces facteurs de l’environnement, les auteurs du cours mettent en avant une autre classification: (i) le milieu dit ‘contrôlé’ ou macro-milieu et (ii) le milieu ‘non-contrôlé’ ou micro-milieu. Les facteurs du milieu contrôlé sont ceux dont on pense qu’ils ont un effet important sur les caractères étudiés. Ici, non seulement on peut enregistrer les conditions propres à plusieurs individus, mais on peut aussi agir dessus. Par exemple, lorsqu’on mesure la production laitière d’une vache, on enregistre également le numéro du troupeau, le rang de lactation de l’animal, sa date de mise-bas (donc de démarrage de la lactation), etc. On considère qu’un effet de macro-milieu s’applique en commun à tous les individus se trouvant dans une catégorie de milieu donnée. Les effets de micro-milieu, comme le mot l’indique, sont considérés comme mineurs. Induisant de faibles variations qui s’appliquent de manière différente à chaque individu, ils ne sont ni maîtrisable ni mesurables (le recueil de l’information correspondante est trop compliqué ou trop coûteux). Comme ces facteurs peuvent tout de même être perceptibles dans les résultats des calculs, on en tient compte en les mettant dans la catégorie dite ‘résiduelle’ (e) qui exprime l’écart entre la performance et les effets décrits dans le modèle, autrement dit l’erreur inhérente à la prédiction.

Le modèle ainsi complété prend la forme de :

P = G + E + e

Visuellement, les proportions des effets se présentent (approximativement) de cette manière (Fig. 50) :

Fig. 50 Répartition approximative des effets dans l’évaluation de l’expression phénotypique. Source :

présentations des communications scientifiques de VD (avec mes remerciements à l’auteur)

Le support du cours sur la génétique quantitative enseigné à Agroparistech (Verrier, Brabant, et Gallais 2001) que j’ai pris en exemple ici, précise en note d’attention aux étudiants :

« Cette distinction entre macro-milieu et micro-milieu comporte une part d’arbitraire liée à l’échelle d’observation à laquelle on se situe. Ne pas enregistrer un facteur de milieu qui, en réalité, induit des variations importantes, conduit à des erreurs d’analyse ; dans la pratique de la sélection, où l’on doit corriger les données pour les effets des facteurs de milieu contrôlés, une telle omission a des répercussions relativement graves. »

Il revient donc au modélisateur la responsabilité du choix des informations à inclure ou non dans le modèle d’évaluation génétique. D’après Vincent Ducrocq (2020), « la description des effets de milieu demande une bonne connaissance des pratiques d’élevage et doit s’adapter aux informations disponibles : on sait par exemple que l’état reproductif (gestant/ non gestant) d’une vache impacte sa production laitière. Mais si cette information n’est pas recueillie, il est bien sûr impossible de la prendre en compte dans le modèle. On ne se limite donc qu’aux effets identifiés et dûment enregistrés dans les bases de données. » L’auteur fait donc une double mise en garde pour que la valeur calculée soit la plus fiable possible. Son avis sur le besoin d’« une bonne connaissance des pratiques d’élevage » rejoint mes doutes sur la possibilité d’effectuer une bonne évaluation génétique (même si elle est faite avec des calculs de nature purement mathématique) sans connaître l’objet d’évaluation et ses particularités biologiques. Ainsi, il relève des compétences professionnelles du modélisateur averti de voir que certains facteurs du micro-milieu, ont des effets d’importance plus grande que celle accordée à la résiduelle et méritent donc un traitement différent. C’est notamment le cas de l’effet des interactions entre le génotype et le milieu qui peuvent être héritables.

2.3.2. L’interaction génotype-milieu (G*E) : considérer l’héritabilité du lien entre l’animal et son environnement.

Un des exemples du paramètre dont la prise en compte dans l’évaluation génétique relève de l’arbitraire est l’effet non additif de l’interaction entre les effets génétiques et ceux du milieu. Autrement dit, il s’agit de la situation où les mêmes gènes ne sont pas exprimés de la même manière en fonction des conditions du milieu, et cette expression peut de plus être transmise aux générations suivantes. On parle alors de l’existence d’un effet d’interaction

génotype-milieu ou G*E (équation utilisée dans la génétique quantitative) dont les

mécanismes épigénétiques sont considérés comme un cas particulier. Pour estimer la valeur génétique de l’individu, il ne suffit plus de corriger les données pour l’effet de l’environnement comme dans la situation où la formule de base est applicable. Le calcul devient plus complexe :

P = G + E + G*E + e

Pendant longtemps, la sélection animale, à la différence de l’amélioration végétale, avait tendance à ignorer l’effet héritable de l’environnement sur le génotype de l’animal, l’estimant secondaire et peu pertinent. Les méthodes d’évaluation l’incluaient alors implicitement dans la ‘résiduelle’. Mais ce facteur de variation peut prendre de l’importance dans certaines conditions, notamment lorsque les classements de valeurs entrent en jeu sur le marché de la sélection. L’établissement des classements des produits, comme nous le savons, est une condition intrinsèque au fonctionnement des échanges marchands (G. C. Bowker et Star 2000; Beckert et Musselin 2013). Comme l’expriment Michel Callon et Bruno Latour (2013, p. 24),

« tout un art du capitalisme est de décider ce que l’on inclut et ce que l’on n’inclut pas dans le calcul ». Il peut donc devenir primordial de résoudre le problème de confiance dans les

valeurs annoncées sur le marché selon les différents environnements où elle se déploie. Autrement dit, si les doses de semence d’un taureau évalué à un endroit sont vendues ailleurs et si les vaches qui y naissent n’expriment pas la valeur annoncée, la crédibilité du vendeur en pâtit auprès des éleveurs et celle de l’évaluateur auprès des vendeurs.

L’effet d’interaction génotype-milieu sur le classement des individus évalués peut être visualisé sous forme de représentations graphiques dans lesquelles le milieu est décrit par une variable continue en abscisse. Les trois graphiques de la Figure 51 montrent que l’effet d’interaction génotype-milieu peut être une source de variation génétique plus ou moins forte en réponse à des ‘perturbations’ environnementales. Le graphique de gauche représente une

absence d’interaction génotype-milieu pour trois individus évalués. Leur classement reste le même quel que soit le milieu. Le graphique du centre montre l’effet d’échelle que l’interaction peut parfois produire dans le classement établi : l’ordre des individus dans le classement reste inchangé, mais les différences entre eux sont exacerbées dans certains milieux. Le graphique de droite fait démonstration d’une situation où l’interaction génotype-milieu chez les individus évalués est tellement forte que leur classement change de manière considérable en fonction des différents milieux dans lesquels ils évoluent (Huquet 2012). Ainsi, des variations de température, la survenue d’une maladie ou un type donné d’alimentation ont des répercussions différentes selon les individus. Non prise en compte, l’interaction génotype-milieu peut alors diminuer l’efficacité de la sélection (Mulder 2016).

Fig. 51 Formes d’interaction génotype-milieu. Source : IDELE (Institut de l’Elevage)

L’apparition de la notion d’interaction génotype-milieu en tant qu’enjeu pour la génétique quantitative appliquée à l’animal est datée dans la littérature scientifique de 1952 lorsque le généticien écossais D.S. Falconer a proposé une méthode pour mesurer les variations génotypiques en fonction de l’environnement par des corrélations génétiques : il considère la mesure du même caractère du même animal dans deux environnements différents comme deux caractères génétiquement corrélés entre eux. L’interaction génotype-milieu est faible si la corrélation s’approche de 1. Plus elle s’en éloigne, plus l’interaction devient forte. La valeur de corrélation autour de 0,6-0,7 est considérée déjà comme critique chez les animaux et donne une raison d’adopter des programmes de sélection différents en fonction des environnements (Mulder 2016). En revanche, l’implication de cette méthode de quantification de l’effet de l’environnement dans le processus de sélection des animaux est à double tranchant. D’un côté, elle peut objectiver les limites de la globalisation des programmes de sélection. De l’autre, suivant la croyance selon laquelle ce qui est calculé est maîtrisé, elle justifie de poursuivre l’expansion internationale des races en prenant en compte le G*E dans

les modèles d’évaluation génétique. Le chercheur australien J. W. James (1961) a justement appliqué l’hypothèse de Falconer à la situation où explicitement « seulement une ou quelques populations fortement améliorées seraient amenées à être utilisées dans des différents environnements » (p. 145).

Malgré cette ancienneté épistémologique du sujet, sa mise à l’agenda des recherches en sciences animales est très récente. En fonction des filières, l’application du savoir sur l’existence de l’effet d’interaction entre le génotype de l’individu et son milieu ne suit pas le même chemin.