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La mise en œuvre insuffisante de la norme existante

Section II : Une application insuffisante de la norme environnementale par le secteur des travaux publics : diagnostic et propositions

A. Les insuffisances des normes environnementales applicables en matière de travaux publics

1. La mise en œuvre insuffisante de la norme existante

La problématique majeure du droit de l’environnement réside dans la mise en œuvre fluctuante des dispositions applicables. C’est le cas en matière de travaux publics. En effet, lorsque des dispositions normatives contraignantes existent, elles sont

inégalement appliquées, que ces normes soient d’origine nationale (a) ou

communautaire (b).

a. L’application insuffisante des normes nationales

Selon l’OCDE, nombre de règles n’ont pas réussi, une fois en vigueur, à atteindre leurs objectifs. Cela serait dû au fait que le respect intégral des règles n’est pas toujours possible. De ce fait, « les gouvernements doivent presque toujours se satisfaire

d’un degré raisonnable de non-respect»295. C’est le cas en matière de travaux publics, où

les cahiers des charges imposent rarement le respect intégral de la réglementation, et sanctionnent encore moins les infractions. Ce phénomène de mise en œuvre relative

294In Flexible droit, pour une sociologie du droit sans rigueur, LGDJ 1998, page 34.

295Réduire le risque d’échec des politiques publiques : les défis liés au respect de la réglementation, OCDE 2001,

du droit reste mal circonscrit, faute de statistiques régulières, faute également de savoir quelles données pourraient apparaître significatives pour établir de telles statistiques. Une présomption d’efficacité relative est donc posée sans pouvoir être certifiée.

La multiplication des préoccupations environnementales a provoqué l’édiction de nombreuses règles de protection, constituant aujourd’hui un « patchwork

juridique»296, qui peut donner au juriste qui l’examine, et plus encore aux non-

professionnels du droit, un sentiment de « suffocation »297. Les règles applicables sont

trop nombreuses pour pouvoir être connues dans leur ensemble. Or selon Jean- Jacques ROUSSEAU, « tout Etat où il y a plus de lois que la mémoire de chaque citoyen

n’en peut contenir est un Etat mal constitué»298. Aucune cohérence d’ensemble entre les

normes adoptées au fil du temps ne semble avoir été pensée ou trouvée. L’ignorance par les entreprises de travaux publics de la réglementation environnementale qui leur est applicable aboutit à une inapplication.

C’est pourquoi les circulaires et instructions se multiplient à leur tour, à destination des administrations concernées par la mise en œuvre des règles environnementales. Se développe ainsi, pour le Conseil d’Etat, un droit « souterrain, clandestin, inaccessible,

asymétrique»299et important en volume : le nombre annuel de circulaires adoptées est

évalué entre 10 000 et 15 000 par an300. Le statut des circulaires s’améliore

néanmoins301.

Un rapport récent pointe l’inflation normative comme une « source de sévères

pathologies du droit […] qui altère le rapport de la société française aux règles qu’elle se

296Pierre LASCOUMES, « La dimension juridique des politiques d’environnement », in Les politiques

d’environnement : évaluation de la première génération, éditions Recherche page 44.

297Jacques Henri ROBERT, Martine REMOND-GOUILLOUD, Droit pénal de l’environnement, Masson

1983, page 20.

298In Fragments politiques, IV, Des lois, pages 6 et suivantes.

299CONSEIL D’ETAT, Sécurité juridique et complexité du droit, rapport public 2006, page 276.

300Conclusions Pascale FOMBEUR sous l’arrêt CE section, 18 décembre 2002, Duvignères, n° 233618. 301 Ainsi l’ordonnance n° 2005-650 du 6 juin 2005 rend obligatoire la publication des directives,

circulaires, instructions, notes et réponses ministérielles qui comportent une interprétation du droit positif. Un décret n° 2005-1755 du 30 décembre 2005 (JORF du 31 décembre 2005) pris en application de cette ordonnance impose une publication au bulletin officiel du ministère concerné.

donne»302. En matière environnementale, il existe des écarts importants entre

infractions clandestines, infractions constatées par voie de police et infractions jugées devant les tribunaux. Ces différences sont pour partie imputables à la bienveillance – ou au laxisme, selon la position dans laquelle on se place – des autorités administratives, qui choisissent de ne pas verbaliser immédiatement des

entrepreneurs contrevenant à la législation en vigueur en matière

d’environnement303. Le recours à la transaction, malgré les avantages qu’il présente,

est également à même de paralyser l’application de certaines dispositions. Cet état de chose est particulièrement préoccupant en matière de dommages environnementaux de travaux publics, mais s’explique aisément du fait de la nature même des travaux, qui sont menés sous maîtrise d’ouvrage publique, et qui engagent des deniers publics. Le droit de l’environnement français est donc insuffisamment mis en œuvre.

Il en est de même du droit communautaire de l’environnement304.

b. Les insuffisances de transposition et d’application du droit communautaire

En droit communautaire, les textes ont un rôle d’orientation des politiques nationales, mais ces orientations ne sont pas toujours suivies d’effets en droit interne. La France a ainsi été, jusqu’à une date récente, lanterne rouge de l’Europe des quinze en ce qui concerne la transposition des directives communautaires, qu’il s’agisse de directives à objet environnemental ou non. A décharge de l’Etat français, le droit dérivé des traités communautaires comporte quelques 17 000 directives, règlements et décisions applicables, transposés ou transposables305.

302 PREMIER MINISTRE, SECRETARIAT GENERAL DU GOUVERNEMENT, Rapport du groupe de

travail chargé d’une réflexion sur les suites du rapport public 2006 du Conseil d’Etat, 2007, page 6.

http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/074000100/0000.pdf (accessible par ce lien le 6 juin 2007).

303Voir deuxième partie, chapitre II, développements relatifs à la police administrative.

304 Le droit communautaire de l’environnement ne s’est jamais intéressé directement aux travaux

publics, mais nombre de ses dispositions, transposées en droit interne, s’imposent néanmoins aux acteurs du secteur (voir supra).

305Source : Renaud DENOIX DE SAINT-MARC, « Notre société sécrète la loi comme le foie sécrète la

L’actuel commissaire à l’environnement, Stavros DIMAS a affirmé à ce propos que « en n’appliquant pas correctement la législation européenne sur l’environnement, la France

nuit aux efforts déployés pour préserver la faune et la flore d’Europe et sape les actions en faveur d’une meilleure gestion des risques pour l’environnement et la santé humaine»306.

Suite à quoi l’Union européenne a adressé aux autorités françaises un « ultime

avertissement écrit»307. Corinne LEPAGE a considéré à cette occasion que la France

avait perdu sa crédibilité en matière de politique publique environnementale308.

La transposition des directives est lente en France. En effet, chaque transposition

nécessite une étude d’impact sur le droit français en vigueur309. La durée moyenne de

transposition d’une directive est de quinze mois en France, alors qu’elle est de quatre

en Finlande310. La difficulté majeure consiste dans la recherche d’une éventuelle

contradiction entre le texte issu de la transposition et les textes antérieurs, qui sont souvent nombreux et épars. Le lobbying des entreprises de travaux publics est de plus important, même s’agissant de dispositions qui devraient être transposées dans leur intégralité, sans nouvelle négociation311.

En matière environnementale, surtout, les délais de transposition des directives ne sont pas toujours respectés par la France. Maintes fois condamnée, la France a amélioré la situation, en transposant les directives par voie d’ordonnances. Actuellement, la France n’est plus sous le coup d’aucune condamnation de la Cour

européenne des droits de l’Homme en matière d’environnement312. Elle a résorbé son

306Discours prononcé à la Commission européenne le 10 janvier 2005.

307Ce dernier avertissement concerne la directive Habitat (insuffisance de transposition constatée dans

l’affaire C202/01), la directive Oiseaux sauvages (même affaire) et l’accès des citoyens à l’information en matière environnementale (affaire C 233/00).

308 Article publié le 19 janvier 2005, « La France perd sa crédibilité en matière de politique

environnementale », voir synthèse sur www.actu-environnement.com/ae/articles/corinne- lepage/perte-credibilite-fr.php4 (accessible par ce lien le 20 juin 2007).

309Une étude d’impact systématique est ainsi préconisée par la circulaire du Premier ministre du 10

novembre 1998.

310 Source : DELEGATION DE L’ASSEMBLEE NATIONALE POUR L’UNION EUROPEENNE, La

transposition des directives européennes, La documentation française 2006.

311Le droit communautaire n’interdit pas à un Etat-membre d’aller plus loin que les objectifs d’une

directive. Ainsi, relancer la réflexion sur les termes d’une directive à transposer n’est pas proscrit en soi. Toutefois, l’expérience montre que cela n’aboutit pas nécessairement à une transposition plus complète et mieux organisée.

312 Tout au moins s’agissant de dispositions dont la transposition relève du ministère de

l’environnement. Un nouveau recours a néanmoins été introduit contre la France pour insuffisance de transposition concernant la directive relative aux organismes génétiquement modifiés.

retard de transposition en matière environnementale et a réduit de 28 à 7 le stock de directives à transposer313. Le déficit global de transposition n’est plus que de 1,3% fin

février 2007 contre 3,3% trois ans plus tôt314.

L'application entière du droit communautaire de l'environnement demeure ainsi un défi. A tel point que la Commission a analysé en 2004 les principaux domaines qui posent problème - déchets, eau, protection de la nature et évaluation des incidences sur l'environnement - et élabore actuellement des plans d'action destinés à permettre une meilleure application du droit. Ces plans d’action devraient permettre une meilleure acceptabilité de la norme environnementale et un engagement plus profond et positif des acteurs concernés.

Du côté français, une présence permanente au sein de l’Union européenne semble aujourd’hui nécessaire, pour anticiper l’adoption des nouveaux textes. Le Secrétariat général des affaires européennes, déjà existant, pourrait s’en charger. Un premier pas

a d’ores et déjà été effectué par l’Union européenne, puisque depuis le 1erseptembre

2006, l’Union envoie aux Parlements nationaux toutes ses propositions de textes315.

Pourtant, pour un certain nombre d’observateurs, les insuffisances du droit – lenteur, complexité, réglementation surabondante – sont caractéristiques du modèle français316, qu’il serait donc difficile, voire impossible de modifier317. Et de fait, les

causes de non-respect de la norme sont nombreuses.

313Nelly OLIN, propos recueillis par C. SEGHIER, « De nombreux Etats membres sont poursuivis par

la Commission pour des infractions à la législation environnementale », 8 juillet 2006, www.actu- environnement.com/ae/news/1821.php4(accessible par ce lien le 6 juin 2007).

314DELEGATION DE L’ASSEMBLEE NATIONALE POUR L’UNION EUROPEENNE, La transposition

des directives européennes, La documentation française 2006 ; voir aussi le tableau d’affichage du marché intérieur : http://ec.europa.en/internal_market/score/index_fr.htm (accessible par ce lien le 8 avril 2007).

315Selon le rapport public 2007 du Conseil d’Etat, en février 2007, le Sénat avait déjà fait œuvre de

propositions à neuf reprises.

316Voir par exemple : BANQUE MONDIALE, Doing business, rapport 2004.

Pour une contestation de cette interprétation : Le modèle juridique français : un obstacle au développement

économique ?, Frédéric Rouvillois (directeur), Dalloz 2005.

317 Pour une défense du modèle français d’élaboration du droit, voir : Jean UNTERMAIER, « Nous

n’avons pas assez de droit ! Quelques remarques sur la complexité du droit en général et du droit de l’environnement en particulier », in Les hommes et l’environnement, hommage à Alexandre Kiss, Frison- Roche 1998, pages 499-511 : l’auteur y défend la complexité du droit, qui ne serait due qu’à la complexité des phénomènes environnementaux. Il s’élève ainsi contre l’excès de simplification, citant Dominique PERBEN, pour qui « on peut être injuste pour être simple ». Malgré la hauteur de pensée de l’auteur et les vérités premières qu’il énonce, il nous semble toutefois que conserver un droit de l’environnement aussi complexe qu’il l’est actuellement revient à hypothéquer son efficacité.

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