• Aucun résultat trouvé

L’absence de mobilisation des instances supranationales pour la protection de l’environnement dans les travaux publics

Section I : Des normes environnementales trop peu rigoureuses dans les travaux publics

A. Les exceptions aux impératifs de protection de l’environnement accordées aux travaux publics

1. L’absence de mobilisation des instances supranationales pour la protection de l’environnement dans les travaux publics

Le droit français a souvent besoin pour évoluer d’une impulsion du droit international ou du droit communautaire. Hélas, concernant l’environnement dans les travaux publics, les préoccupations du droit international et du droit européen

sont trop généralistes (a), tandis que le droit communautaire a préféré réglementer

a. Le droit international et européen : des préoccupations environnementales trop pressantes pour s’intéresser à celles produites dans les travaux publics

Les grands principes du droit de l’environnement sont consacrés au début des

années 1970 en droit international171. En 1972, la Conférence de Stockholm a permis

aux Etats d’acquérir une vision de l’écologie qui dépasse le cadre national. Les sources internationales du droit de l’environnement sont aujourd’hui nombreuses : quelque 500 traités multilatéraux et 900 bilatéraux172. Les résolutions, par essence non

obligatoires, et désignées sous le terme générique de « soft law » sont plus nombreuses encore173.

Mais les problématiques faisant l’objet d’une prise en charge internationale doivent comporter certaines caractéristiques. Sont prises en charge les sources de pollution susceptibles de dépasser le cadre d’un seul Etat. C’est le cas des pollutions marines, des pollutions de cours d’eau et des pollutions atmosphériques, principalement. Sont également protégées les espèces, principalement marines et aquatiques, qui se déplacent hors du territoire d’un Etat ou sur le territoire de plusieurs Etats ou encore les espèces migratoires. C’est ainsi que sur 41 conventions internationales

d’envergure conclues entre 1902 et 2004 en matière d’environnement174, 9 concernent

la protection des espèces animales ou végétales, 13 les pollutions chimiques, pétrolières ou nucléaires, et 11 la protection de la nature et plus particulièrement de zones naturelles sensibles. C’est donc le caractère transnational des nuisances qui provoque leur prise en charge par le droit supranational.

171 Le Conseil de l’Europe a engagé dès 1962 une réflexion sur la sauvegarde de la nature et des

ressources naturelles. Une directive C 72-126 du 26 mai 1972 affirme la réalité du principe pollueur- payeur. Par la suite, l’OCDE a été à l’origine d’un certain nombre de conventions : sur la protection de la vie sauvage et du milieu naturel en Europe (Convention de Berne du 19 septembre 1979), sur la responsabilité civile des dommages résultant d’activités dangereuses pour l’environnement (Convention de Lugano du 8 mars 1993), ou encore sur la protection de l’environnement par le droit pénal (Convention du 4 novembre 1998).

172Source : Renaud DENOIX DE SAINT-MARC, « Notre société sécrète la loi comme le foie sécrète la

bile », Semaine juridique administrations et collectivités territoriales 16 janvier 2006, page 89.

173Elles regroupent les recommandations directives, les déclarations de principe, qui consistent dans

l’adoption d’une ligne générale de conduite, et enfin les programmes d’action avec méthode de travail.

174 Liste établie par Jean-Pierre BEURIER dans son cours de master théorique 2 de droit de

Or les dommages environnementaux causés par les travaux publics sont au contraire localisés : ce sont avant tout des nuisances de proximité, tels que bruits aux abords des chantiers, ou encore détérioration de l’environnement visuel. Les faibles impacts produits, en terme de population touchée et d’importance des dommages, excluent la problématique des travaux publics du champ du droit international de l’environnement.

D’autres facteurs pourraient contribuer à l’internationalisation des problèmes environnementaux : lorsqu’une politique de lutte contre la pollution est susceptible de grever lourdement le budget d’un Etat, cela peut déclencher une augmentation de la fiscalité. Pour éviter la perte de compétitivité des entreprises dans les Etats qui protègent l’environnement, le droit international peut réglementer un domaine d’activité, afin de mettre les acteurs des différents Etats à égalité. En matière de travaux publics, cette crainte existe concernant la compétitivité des entrepreneurs soumis à des exigences de protection de l’environnement trop importantes. Mais la réglementation environnementale française est peu développée, et la charge financière occasionnée aux entreprises de travaux publics est peu importante, d’autant qu’elle peut être répercutée directement sur le montant des contrats publics

de travaux conclus175. Dès lors, le facteur économique ne peut provoquer l’adoption

d’une législation environnementale supranationale en matière de travaux publics. Enfin, le dernier facteur susceptible d’entrer en ligne de compte en matière internationale est le facteur psychologique et/ou médiatique. Lorsque des pollutions sont suffisamment importantes et durables pour mobiliser les opinions publiques de plusieurs Etats et pour que naisse une crainte de la pollution qui transcende les frontières, des normes de droit international sont adoptées. Le plus souvent, cette crainte internationale est justifiée par l’existence de facteurs physiques qui rendent possible la perspective d’une pollution de grande ampleur. C’est le cas en matière de pollution marine par les navires, d’accidents chimiques ou encore d’activités

175Les collectivités publiques financent leurs dépenses par l’impôt, mais les prélèvements fiscaux sont

effectués sur tous les contribuables. Les entrepreneurs n’en acquittent donc qu’une part mineure. Il faut toutefois noter que la charge financière reste importante pour les entreprises dont l’offre n’est pas retenue, puisqu’elles perdent alors toute possibilité de compenser la perte financière occasionnée.

nucléaires. Mais en matière de travaux publics, les nuisances provoquées sont rarement d’envergure, et encore plus rarement transnationales.

Aucun des trois facteurs susceptibles d’entraîner l’adoption d’un traité international n’est donc présent en matière de travaux publics. C’est pourquoi la matière des travaux publics n’est que rarement concernée par les normes internationales de protection de l’environnement.

Des cas existent néanmoins, comme par exemple la convention pour la sauvegarde du patrimoine architectural de l’Europe élaborée par le Conseil de l’Europe à

Grenade en octobre 1985176. Au sens de la convention, le patrimoine architectural

comprend les monuments, les ensembles architecturaux et les sites177. Son objet est

d’éviter que des biens protégés soient détériorés, dégradés ou démolis178. Tous les

travaux de construction, de démolition ou de modification sont concernés, qu’ils soient diligentés par une autorité publique ou par une personne privée. En l’espèce, la convention ne traite pas directement des travaux publics, mais elle n’opère pas de distinction entre les travaux publics et les travaux menés par un opérateur privé. En matière communautaire, l’approche est différente. Il s’agit d’une approche intégrée dans laquelle une législation est adoptée dans le but d’éviter les distorsions de concurrence entre les Etats membres. L’objet de la réglementation communautaire

est donc essentiellement économique179: seules les considérations environnementales

jugées pressantes, et déjà prises en charge par certains Etats, donnent lieu à une réglementation communautaire.

b. Un droit communautaire privilégiant d’autres problématiques écologiques

La préoccupation environnementale voit le jour en droit communautaire à Stockholm, en 1971. Le Conseil des ministres déclare alors que l’expansion économique doit se traduire par une amélioration de la qualité de la vie, d’où la

176 Deuxième conférence des ministres des 3-4 octobre 1985. Texte disponible sur : http://www.coe.int/t/f/coop%E9ration_culturelle/patrimoine/ressources/fconfer2.asp

177Article 1erde la Convention. 178Article 4.

nécessité de porter attention à la protection de l’environnement180. La communication

du 22 juillet 1971 trace les grandes lignes de cette orientation communautaire. Il est à cette époque considéré que les mesures nationales adoptées en faveur de l’environnement, en l’absence d’harmonisation, peuvent affecter le fonctionnement du marché commun et créer des distorsions de concurrence. Mais l’objectif de protection de l’environnement est également perçu comme susceptible d’ouvrir de

nouveaux marchés181.

Par la suite, l’Acte unique européen intègre l’environnement dans les objectifs du

traité, aux articles 100, 100 A, et 130 R à 130 T182. Les exigences de protection de

l’environnement doivent être « intégrées dans la défense et la mise en œuvre des autres

politiques». Dans le septième considérant du traité de Maastricht du 7 février 1992, les chefs d’Etat et de Gouvernement des Etats-membres se sont déclarés « déterminés à

promouvoir le progrès économique et social de leurs peuples, dans le cadre de l’achèvement du marché extérieur et du renforcement de la cohésion et de la protection de l’environnement». Les priorités communautaires en matière d'environnement sont actuellement

déterminées par le sixième plan d'action pour l'environnement183. Trois axes

prioritaires ont été arrêtés : la lutte contre le changement climatique, la préservation de la biodiversité et la protection de la santé. Ces trois domaines d'action peuvent, de manière indirecte, avoir une influence sur la pratique des travaux publics. Mais les choix de développement opérés se portent plutôt vers la prévention des pollutions chimiques par exemple (programme REACH) ou vers d'autres domaines considérés comme prioritaires.

L’élément qui détermine l’adoption d’une politique communautaire est le fait qu’en l’absence d’harmonisation, des distorsions de concurrence seraient créées entre les entreprises des différents Etats de l’Union européenne. C’est pourquoi le droit communautaire a édicté une réglementation concernant les marchés publics de

180Déclaration du 9 février 1971. 181In COM (2000)576 final.

182Devenus articles 174 à 176 depuis le traité de Nice.

183 Décision 1600/2002/CE du 22 juillet 2002 du Parlement européen et du Conseil, établissant le

travaux184. Les travaux publics sont donc réglementés par le droit communautaire.

Mais cette réglementation n’a pas un objet environnemental. Aucune réglementation environnementale de travaux publics n’est donc diligentée à ce jour par le droit communautaire.

L’adoption d’une politique communautaire de l’environnement pourrait également être justifiée par la gravité des faits de pollution. C’est le cas en matière de déchets dangereux, ou encore d’organismes génétiquement modifiés. Mais en matière de

travaux publics, les nuisances provoquées sont de trop faible ampleur185pour susciter

une prise en charge au niveau communautaire.

Le droit communautaire n’a donc adopté aucune réglementation concernant l’intégration de l’environnement dans les travaux publics. Pourtant, au niveau communautaire, les lobbies nationaux disposent de moins de moyens de pression, même si leur action reste pesante. C’est ainsi que le secteur des travaux publics, secteur industriel lourd, dispose de moyens de pression importants sur les institutions étatiques, et bénéficie actuellement en France d’un régime protecteur en matière de travaux publics.

Malgré la faible mobilisation des pouvoirs publics autour de la problématique environnementale des travaux publics, les normes nouvelles adoptées font au niveau interne l’objet d’oppositions nourries et constantes.

2. Les limites à la prise en considération de l’environnement dans les travaux

Outline

Documents relatifs