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Une annulation tardive et aléatoire des actes détachables du contrat

Une jurisprudence peu mobilisée pour la protection de l’environnement lors de

A. Des délais de traitement des contentieux inadaptés à la matière des travaux publics

2. Une annulation tardive et aléatoire des actes détachables du contrat

L’annulation de l’acte détachable d’un contrat ne permet pas ipso facto l’annulation dudit contrat. Pour que cette annulation soit prononcée, le juge du contrat doit intervenir à la demande de l’une des parties contractantes.

En l’absence de référé suspensif, l’introduction d’un recours contentieux contre un acte administratif préparatoire d’un contrat n’empêche pas l’autorité administrative de conclure ledit contrat, ni de le mettre en œuvre. Dès lors, un chantier de travaux publics pourra avoir débuté, voire être entièrement exécuté avant que l’annulation d’un acte préparatoire sur le fondement d’une atteinte à l’environnement permette de soulever l’argument de la nullité du contrat.

Les décisions du juge de l’excès de pouvoir sont ainsi privées d’effet. Le président

ROMIEU, dans ses conclusions sous l’affaire Martin34, indiquait le fréquent caractère

« platonique » de ce type de recours. Par la suite, le commissaire du Gouvernement CAHEN-SALVADOR ajouta, au sujet d’un recours formé contre les actes détachables d’un contrat de gré à gré, qu’une annulation « ne comportera[it] que peu de conséquences

pratiques»35, dans une espèce où les travaux avaient été entièrement exécutés au

moment de la décision. Le juge de l’excès de pouvoir peut donc passer, en matière

d’actes détachables, pour un juge « mutilé »36. Son pouvoir d’annulation ne frappe en

effet pas directement le contrat, quand bien même la procédure de passation n’aurait pas été respectée ou que son contenu serait grossièrement illégal au regard de la protection de l’environnement. Le contrat n’est donc affecté que d’une « irrégularité

potentielle», selon Jean-Marie AUBY37.

34CE, 4 août 1905, Martin, recueil page 749.

35Conclusions sous CE, 19 novembre 1926, Sieur Decuty, recueil page 993-994.

36Jacques-Henri STAHL, conclusions sous CE, 30 octobre 1998, Ville de Lisieux, Revue française de droit

administratifjanvier-février 1999, page 132.

37 Note sous CE, 24 avril 1985, Département de l’Eure contre Pinault, Revue du droit public 1985, n°

Lorsque l’annulation est prononcée, l’administration se doit de résilier le contrat38, si

le fondement de l’illégalité de l’acte détachable n’est pas régularisable, ou de saisir le juge du contrat afin qu’il annule la convention privée de base légale. Mais cette obligation disparaît lorsque les circonstances - un intérêt général supérieur - justifient la poursuite de l’exécution du contrat ou lorsque l’irrégularité a été sans incidence sur le choix du cocontractant.

Le tiers qui a obtenu l’annulation de l’acte détachable du contrat ne peut saisir le juge du contrat : seules les parties sont recevables à agir. Le seul moyen d’action accordé au tiers est de mettre en demeure l’administration de saisir le juge du contrat d’une action en nullité, et s’il n’y est pas donné suite, de saisir le juge administratif d’une

demande de condamnation sous astreinte, sur le fondement la loi du 16 juillet 198039.

Le juge a déjà fait droit à une telle demande concernant un contrat de droit privé40.

L’annulation pour excès de pouvoir de l’acte détachable n’est donc plus dépourvue de conséquences sur la vie du contrat et peut même conduire à son anéantissement.

Au-delà du fait qu’une telle procédure «relève autant de la complexité que de la

complication»41, l’anéantissement n’est pas systématique, même lorsqu’un acte

détachable du contrat a été annulé pour excès de pouvoir42: il est fonction des

différents intérêts en présence. Le juge devra arbitrer entre deux exigences

38L’administration est rarement encline à annuler les conventions par elle conclues, notamment dans

des domaines sensibles où les procédures de mise en concurrence sont longues. Cependant, si l’administration l’acceptait, le Conseil d’Etat a admis au contentieux qu’une résiliation d’intérêt général avait légalement pu être fondée sur des irrégularités de rédaction (CE, 10 juillet 1996, Coisne,

RFDA1997, page 504). Ce type de résiliation ouvre cependant au cocontractant de l’administration un droit à un indemnité (même si dans un cas d’espèce une Cour administrative d’appel en a décidé autrement : CAA Bordeaux, 28 avril 1997, Commune d’Alès, recueil tables page 934), fait de nature à décourager encore davantage les autorités administratives de se conformer de bon gré aux exigences de la légalité.

39 Loi n° 80-539 relative aux astreintes prononcées en matière administrative et à l’exécution des

jugements par les personnes morales de droit public.

40CE, 7 octobre 1994, Epoux Lopez, recueil page 430.

41Pierre BRUNET, « L’utile ou le juste ? La nullité du contrat à l’épreuve de l’intérêt général », Revue

des contratsoctobre 2004, page 1048.

42 Voir par exemple : CE, 10 décembre 2003, Institut de recherche pour le développement, Bulletin

juridique des contrats publics2004, n° 33, pages 136 et suivantes : il appartient au juge de l’exécution de vérifier que la nullité du contrat ne portera pas une atteinte excessive à l’intérêt général, eu égard à l’illégalité dont il est entaché.

contradictoires. Il sera ainsi «plus que jamais pris entre le marteau de la légalité et

l’enclume de l’intérêt général»43lié à la réalisation de travaux publics.

La longueur de la procédure contentieuse permet au maître de l’ouvrage d’exécuter entièrement les travaux avant le terme du contentieux. C’est pourquoi, constatant

«une contradiction flagrante à exiger que le contrat soit entouré de nombreux actes

unilatéraux tout en affirmant en même temps que l’annulation de ces derniers n’a aucune influence directe sur le contrat lui-même qui est pourtant le véritable porteur de l’illégalité», Prosper WEIL avait préconisé d’admettre que l’annulation d’un acte détachable entraîne automatiquement et systématiquement la nullité du contrat conclu sur son

fondement44.Mais cette solution n’a pas été consacrée en jurisprudence.

La loi du 8 février 199545 a cependant reconnu au juge administratif un pouvoir

d’injonction lorsque l’annulation d’un acte administratif implique une mesure

d’exécution déterminée, en l’espèce l’annulation du contrat46. Cette solution, si elle

était généralisée, serait de nature à améliorer la situation des tiers requérants.

Dans le sens d’une ouverture du contentieux de la légalité contre les contrats, la jurisprudence administrative a admis le recours pour excès de pouvoir d’un tiers

contre un contrat de recrutement d’agent public47. Autoriser ce même recours contre

les contrats de travaux publics serait une avancée du contentieux administratif. En adoptant cette solution, la jurisprudence interprète librement les textes relatifs à l’excès de pouvoir. Il peut même être considéré qu’elle crée une nouvelle forme de recours, et qu'elle sort par là de son rôle de gardienne de la légalité. Il est donc peu probable qu’une telle solution soit étendue, d’autant qu’elle provoquerait une multiplication des recours contentieux.

La jurisprudence « Ville de Lisieux » est fondée sur le fait que les conséquences de l’annulation d’un contrat d’embauche d’un agent public sont limitées : l’agent public bénéficie du statut du fonctionnaire de fait et pourra être rémunéré du fait de la règle

43Pierre BRUNET, note de jurisprudence précitée, page 1052.

44In Les conséquences de l’annulation d’un acte administratif pour excès de pouvoir, thèse Paris 1952.

45 Loi n° 95-125 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et

administrative.

46TA Nantes, 11 avril 1996, Compagnie des transports de l’Atlantique, AJDA 1996, page 722 ; CE, 26

mars 1999, Société Hertz France, requête n° 202256.

du service fait. L’extension d’une telle jurisprudence créerait des difficultés en matière de travaux publics. Tout d’abord, une réflexion devrait être menée sur la qualité des personnes ayant intérêt à agir dans ce type de recours : si tous les tiers riverains du lieu du chantier se voient reconnaître qualité pour agir, tout chantier de travaux publics verra sa légalité systématiquement contestée. Si cela présente un intérêt du point de vue de la protection de l’environnement, cela crée des difficultés au regard de l’efficacité de l’action administrative. De plus le contrat, fruit de l’accord de deux volontés, ne peut être retiré comme l’est un acte administratif unilatéral. Enfin l’annulation pour excès de pouvoir est rétroactive, soulevant la question de la remise en état si les travaux publics ont commencé.

Les lacunes du contentieux des contrats sont flagrantes en matière de travaux publics, domaine qui par excellence nécessiterait un traitement rapide pour être efficace. Le contentieux contractuel public prend de l’importance, mais n’est pas pour autant plus efficace que le contentieux de l’excès de pouvoir. C’est pourquoi les constats actuels de recul du contentieux de l’excès de pouvoir, dont certains auteurs

prédisent la disparition48, semblent dénués de fondement. D’autant qu’une telle

disparition était déjà prophétisée au début du siècle dernier49.

Le juge administratif a toutefois pris la mesure des difficultés générées par les

lenteurs du contentieux. Il sanctionne depuis 2005 les délais excessifs de jugement50.

A cet égard, le Conseil d’Etat est compétent en premier et dernier ressort51. Mais il

prend en compte différents critères : la complexité de l’affaire, le comportement du requérant, celui des autorités administratives concernées et les enjeux de la résolution rapide du litige. En matière d’expropriation, par exemple, il est pensable que la complexité de l’affaire – diversité des requérants, enjeux de la déclaration d’utilité publique - amène à ne pas considérer comme excessifs des délais de jugement de deux à trois ans en première instance. Ces jurisprudences, encore peu

48 cf : David BAILLEUL, L’efficacité comparée des recours pour excès de pouvoir et des recours objectifs de

plein contentieux en droit public français, LGDJ 2002.

49Voir par exemple Maurice HAURIOU, qui décrivait le recours pour excès de pouvoir comme une

« merveille de l’archéologie juridique » (note sous CE, 29 avril 1912, Boussuge, Sirey 1912).

50CE Ass, 28 juin 2002, Magiera, n° 239575 : condamnation de l’Etat au versement d’une somme de

4500 euros au requérant pour durée excessive de la procédure.

nombreuses, n’ont actuellement pas d’impact sur le déroulement des travaux

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