• Aucun résultat trouvé

Une annulation des actes administratifs prescrivant des travaux publics souvent postérieure à leur exécution

Une jurisprudence peu mobilisée pour la protection de l’environnement lors de

A. Des délais de traitement des contentieux inadaptés à la matière des travaux publics

1. Une annulation des actes administratifs prescrivant des travaux publics souvent postérieure à leur exécution

Les délais de traitement des contentieux devant le juge administratif sont trop longs pour que le recours pour excès de pouvoir soit efficace en matière de travaux publics (a), et cet état de fait est encore aggravé en cas de procédure mixte, dans laquelle sont amenés à intervenir successivement le juge administratif et le juge judiciaire (b).

9Les délais de traitement des recours ont été notablement réduits dans les dernières années, mais ils

demeurent tout de même importants. Voir infra.

10Res judicata pro veritate habetur.

11 CE, 22 mars 1961, Simonet, recueil page 211 ; Com, 19 mai 1953, Société La Ruche picarde, Sirey

a. Les lenteurs de la justice administrative

La justice administrative éprouve des difficultés à répondre au nombre croissant de recours introduits devant elle. En effet, entre 1989 et 2005, le nombre de recours introduits annuellement devant les Tribunaux administratifs est passé de 68 000 à 160 00012.

Il apparaît clairement, au vu de la pratique, que les élus locaux peuvent réaliser des travaux malgré l’existence, localement, de mesures de protection absolues de la nature. Ce fut le cas par exemple dans deux espèces où furent réalisés des travaux

incompatibles avec les dispositions relatives à la protection de la montagne13 et aux

parcs nationaux14. Dans les deux cas, des unités touristiques lourdes furent édifiées

en dépit de l’annulation contentieuse des actes administratifs prescrivant les travaux.

Au terme de manœuvres destinées à faire échec à ces décisions15, et sans interruption

des travaux d’aménagement engagés en dépit des recours contentieux en cours, aucune mesure d’exécution des jugements prononcés ne fut mise en œuvre. Ces deux espèces sont, selon Jacqueline MORAND-DEVILLER, « significatives de l’impuissance

du juge français et de celle du droit face aux pressions conjuguées de l’inertie administrative et des légitimités de fait des édiles locaux»16. L’« appel éloquent à la moralité administrative »

de Maurice HAURIOU17semble donc devoir être réitéré faute d’avoir été entendu.

12Chiffres issus de « Tribunaux administratifs, triste Etat », L’Express 21 février 2005, page 49 ; chiffre

de 172557 pour l’année 2006, selon le Rapport public du Conseil d’Etat 2007, La Documentation française 2007.

13 CE, 20 janvier 1988, Fédération des sociétés pour l’étude, la protection et l’aménagement de la

nature dans le Sud-Ouest, SEPANSO, les Petites affiches 20 juin 1990 n° 74, page 18 : à propos de la construction de 30 000 m2 correspondant à une capacité d’accueil de 2000 lits au bordure du lac de

Fabrèges.

14 CE, 4 avril 1990, SIVOM du canton d’Accous, parc national des Pyrénées-Occidentales, les Petites

affiches20 juin 1990 n° 74, page 20 : pour la construction d’un parc de stationnement de 7200 m2, d’une

aire d’attente de 5500 m2 et d’un centre d’hébergement de 940 m2 dans l’intention d’installer une

station de ski de fond dans la zone centrale du Parc national des Pyrénées.

15Dans le premier cas, tentative de modifier le POS en vigueur pour permettre la réalisation du projet ;

dans le second, délivrance très rapide des permis de construire.

16 In « Chose jugée et fait accompli : le juge, le préfet, le maire et le droit de l’environnement », les

Petites affiches20 juin 1990 n° 74, page 13.

17Maurice HAURIOU, Précis de droit administratif et de droit public général, Sirey 12èmeédition 2002, page

Tout jugement a force exécutoire et obligatoire. Mais les délais de jugement devant la juridiction administrative sont trop longs. Ils ont été notablement réduits, mais ils demeurent en 2005, en moyenne, de 1 an, 3 mois et 14 jours devant le Tribunal administratif, de 1 an et 18 jours devant la Cour administrative d’appel et de ç mois

et 15 jours devant le Conseil d’Etat18. Ces délais de traitement laissent, encore

aujourd’hui, une marge de manœuvre importante aux élus locaux face à l’autorité de la chose jugée.

A décharge des constructeurs, les délais de traitement des contentieux sont tels que ceux qui voulaient se montrer respectueux de l’environnement et suspendaient leurs travaux n’étaient plus titulaires à la fin de l’instance que d’une autorisation de construire caduque, en vertu de l’article R 421-32 du code de l’urbanisme. Mais cette forme de contrainte pour la réalisation de travaux n’existe plus aujourd’hui : un

décret du 31 juillet 200619 dispose désormais que dès l’introduction d’un recours

pour excès de pouvoir, le délai de péremption d’un permis de construire est suspendu et ce jusqu’au jugement. Cette nouvelle disposition est un encouragement fort à destination des entrepreneurs et des maîtres d’ouvrages publics : les projets de travaux publics contestés ne doivent pas recevoir exécution tant que leur légalité, contestée, n’a pas été confirmée. Reste à savoir si cela permettra une évolution des comportements.

Une autre question se pose : celle des conséquences de l’annulation contentieuse d’un acte administratif sur les actes pris postérieurement sur son fondement. En effet, l’annulation d’une décision est susceptible, par le jeu naturel de sa rétroactivité, de

provoquer l’illégalité d’autres décisions20. C’est le cas pour l’arrêté de cessibilité

après l’annulation de la déclaration d’utilité publique21. En revanche, l’annulation de

18Chiffres issus du Rapport public du Conseil d’Etat 2007.

19 Décret n° 2006-958 du 31 juillet 2006 relatif aux règles de caducité du permis de construire et

modifiant le code de l’urbanisme, JO du 2 août ; codifié à l’article R 421-32 du Code de l’urbanisme

20Une décision adoptée ne pourra cependant être annulée pour défaut de base légale que si un recours

en annulation a été introduit contre cette seconde décision.

la déclaration d’utilité publique ne permet pas d’obtenir automatiquement l’annulation d’un permis de construire qui en découle22.

La situation, comme c’est le cas en matière d’expropriation, où plusieurs actes administratifs successifs sont nécessaires à la réalisation d’une opération de travaux publics, est particulièrement complexe. Le dualisme juridictionnel inhérent à cette procédure est également un facteur d’allongement des procédures.

b. Le dualisme juridictionnel : un obstacle supplémentaire à l’efficacité du recours pour excès de pouvoir

De longue date, la réglementation interdit que, si la déclaration d’utilité publique ou l’arrêté de cessibilité est annulé(e), l’ordonnance d’expropriation soit adoptée. Etant donnés les délais de traitement des recours contentieux, cette hypothèse est peu fréquente. Dans les autres cas, où l’ordonnance d’expropriation a déjà été rendue, le juge judiciaire a longtemps refusé de suspendre l’instruction des ordonnances d’expropriation au motif qu’existerait un contentieux relatif à la phase administrative

de la procédure23. Ainsi, les actes administratifs prescriptifs de travaux publics

pouvaient être illégaux au regard des impératifs de protection de l’environnement, sans que cela ait une influence sur le transfert de propriété.

Un décret du 13 mai 200524 codifié à l’article R 12-2-1 du code de l’expropriation

dispose désormais que si la déclaration d’utilité publique ou l’arrêté de cessibilité ont fait l’objet d’une suspension devant le juge administratif, par exemple pour un motif lié à la protection de l’environnement, le juge judiciaire doit surseoir au prononcé de l’ordonnance d’expropriation jusqu’au jugement au fond. Cette avancée est importante, mais elle ne résout pas le cas où aucune suspension n’a été prononcée devant le juge administratif.

22CE, 30 octobre 1987, Association pour la sauvegarde du littoral des commune de Crach et autres,

recueilpage 900.

23 Voir par exemple TGI Bobigny, 14 mai 1992, Commune de Saint-Ouen, Actualité juridique droit

immobilier1992, page 786 ; TGI Paris, 22 janvier 1993, Actualité juridique droit immobilier 1993, page 619

Si l’ordonnance d’expropriation a été rendue, mais n’est pas devenue définitive, elle

sera annulée par le juge judiciaire saisi de conclusions en ce sens25. Mais là encore,

étant donnés les délais de traitement des contentieux, si l’expropriation avait pour but la réalisation de travaux publics, il est probable que les travaux sur la propriété privée expropriée irrégulièrement auront été au moins partiellement exécutés avant que l’ordonnance d’expropriation soit elle-même annulée. Alors, en vertu de l’adage selon lequel « ouvrage public mal planté ne se détruit pas »26, la situation sera irréversible

et l’environnement aura été dégradé au terme d’une procédure illégale. Dès lors, les options laissées à l’exproprié seront la cession amiable du terrain ou l’indemnisation des troubles occasionnés.

Dans le cas le plus fréquent, l’ordonnance d’expropriation est devenue définitive au terme de la procédure contentieuse devant le juge administratif, sous l’effet conjugué de la lenteur de l’instance et de l’effet non suspensif du recours pour excès de pouvoir. Jusque récemment, l’ordonnance d’expropriation était alors considérée comme irrévocable et la parcelle expropriée définitivement transférée à l’autorité expropriante, quand bien même les actes administratifs prescrivant les travaux

fondant l’expropriation avaient été annulés27. Selon René HOSTIOU, cela conduisait

à une « dévalorisation » du droit28et selon Louis FAVOREU, à un « déni de justice »29.

Suite au rapport public de la Cour de cassation, en 1991, une évolution sensible s’est

cependant produite30. L’article L 12-5 du Code de l’expropriation, dispose désormais

que l’annulation de la déclaration d’utilité publique ou de l’arrêté de cessibilité prive l’ordonnance d’expropriation, même définitive, de base légale. Toute personne illégalement expropriée peut faire constater cette situation par le juge judiciaire. Les personnes expropriées et qui n’auraient pas dû l’être peuvent dès lors obtenir réparation des préjudices matériels et moraux subis.

25Civ, 9 mai 1918, Dalloz 1918.1.68 ; Civ, 24 novembre 1947, Dalloz 1948, page 32 ; Civ 3ème, 18 mars

1970, Bull civ 3, n° 212.

26 CE, 29 janvier 2003, Syndicat départemental de l’électricité et du gaz des Alpes-Maritimes, Droit

administratifavril 2003, page 33. L’adage a été récemment aménagé par la jurisprudence.

27Civ 3ème, 3 juillet 1969, Veuve Ledru et autres contre Commune de Gennevilliers, JCP 1969.II.16071. 28René HOSTIOU, « Le droit vu du pont », Annuaire de droit maritime et aérospatial 1989, page 124. 29In Du déni de justice en droit public français, LGDJ 1962, page 352.

L’annulation de l’arrêté déclaratif d’utilité publique et la cassation de l’ordonnance d’expropriation ont donc pour effet de remettre les parties dans l’état où elles étaient à la date de l’ordonnance. La rétrocession des biens expropriés aux anciens propriétaires est alors en principe nécessaire. Mais en pratique, l’immeuble exproprié a parfois été démoli, ou le terrain exproprié aménagé. La physionomie des biens expropriés a donc été bouleversée, et le plus souvent les biens cédés à un aménageur ou à un promoteur. Dans d’autres cas, les immeubles édifiés constituent des ouvrages publics et sont protégés par le principe d’intangibilité31. L’aboutissement de

la demande de rétrocession des anciens propriétaires est donc aléatoire. Tant et si bien que même si la personne privée reste nominativement propriétaire des terrains irrégulièrement expropriés, elle est de facto privée de la jouissance de son bien, et ne peut que demander réparation du préjudice subi du fait de sa dégradation.

La solution de la suspension de la décision judiciaire de transfert de propriété jusqu’à la décision définitive du juge administratif semble la seule issue possible. Elle a été

partiellement adoptée32, mais devrait être généralisée à toutes les hypothèses du

recours pour excès de pouvoir et non seulement aux cas où un référé suspensif a été prononcé. C’est la solution qui est en vigueur en droit allemand. La refonte du code

de l’expropriation, actuellement en cours33, pourrait éventuellement aboutir à

l’adoption d’une telle disposition.

Il serait également intéressant qu’une réflexion soit lancée en matière d’actes détachables des contrats. En effet, le même type d’insuffisance est à déplorer en matière de recours pour excès de pouvoir contre ces actes.

31Voir section II, I du présent chapitre. 32Voir infra.

33La loi du 9 décembre 2004 portant simplification du droit, en son article 85 (JO du 10 décembre) a

ainsi autorisé la refonte par ordonnance du code de l’expropriation. A ce jour, aucune ordonnance n’a été adoptée, mais les travaux de refonte sont en cours au ministère de la Justice. Une nouvelle loi portant simplification du droit devait être adoptée en 2006 permettant à la réforme d’aboutir, mais aucun projet n’a été déposé à ce jour (21 septembre 2006).

Outline

Documents relatifs