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La dépréciation de la norme environnementale : vers une obligation de moyens dans le cadre des travaux publics

Section II : Une application insuffisante de la norme environnementale par le secteur des travaux publics : diagnostic et propositions

B. Les conséquences de ces insuffisances : l’anéantissement de l’obligation de résultat au profit d’une obligation de moyens

2. La dépréciation de la norme environnementale : vers une obligation de moyens dans le cadre des travaux publics

Il n’existe pas de critère unique permettant de déterminer si une obligation est de moyens ou de résultat. Dans certains cas, les termes d’un contrat ou la formulation de la réglementation peuvent constituer la solution du problème, mais ce sont des cas rares en matière de contrats. La volonté des parties peut être recherchée. En revanche, lorsqu’il s’agit d’une réglementation, il existe un postulat de principe selon lequel les normes posées par le législateur ou le pouvoir réglementaire s’imposent entièrement à leurs destinataires, sous peine de sanction. La réglementation est ainsi susceptible de créer une contrainte forte sur le secteur des travaux publics, tout au moins en théorie. Les obligations posées par la réglementation doivent être des obligations de résultat à part entière, par opposition aux obligations de moyens. En matière d’environnement, il semble que ce soit le contenu même des obligations, voire leur nature environnementale, qui détermine la faiblesse des obligations normatives. En effet, on constate un phénomène d’acceptation du risque environnemental par les acteurs sociaux. Ainsi, par exemple, les nuisances provoquées par un chantier sont communément acceptées parce qu’elles sont transitoires. De même, le fait que la réglementation relative aux déchets ne soit pas respectée peut apparaître tolérable aux acteurs sociaux dès lors que les déchets produits par les activités de travaux publics sont des déchets inertes, non dangereux. Pourtant, la faible gravité des dommages de travaux publics ne devrait pas être une cause d’acceptation du non-respect de la réglementation.

Boris STARCK370 considère que les obligations qui, non remplies, sont susceptibles

de provoquer un préjudice moral ou économique – par opposition à un dommage corporel ou à un dommage aux biens - ne peuvent être que des obligations de moyens. Or les obligations à caractère environnemental, notamment en ce qui concerne la protection des paysages ou les nuisances de chantiers, sont

essentiellement morales371. Si cette distinction n’a pas été reprise par la doctrine, elle

semble toutefois trouver une acuité particulière en matière d’obligations environnementales pesant sur l’activité de travaux publics, telles que la jurisprudence les traite actuellement.

Le fait est que les personnes soumises au droit de l’environnement ne se sentent pas contraintes d’atteindre un résultat - la préservation complète de l’environnement. Elles adoptent au mieux une attitude diligente visant à tendre vers l’objectif posé par le texte ou l’accord environnemental. Ainsi, elles se sentent liées par une simple

obligation de moyens (b) et non par une obligation de résultat (a), qui devrait

pourtant prédominer.

a. D’une obligation de résultat naturelle…

En matière de réglementation, si la norme est adoptée de manière unilatérale – au moins dans la forme – par une autorité publique, il revient aux seuls destinataires de cette norme de la mettre en œuvre, l’Etat ayant un rôle de conseil, de contrôle et le cas échéant de sanction. Dès lors, les entrepreneurs de travaux publics et les maîtres d’ouvrages publics seraient liés par une obligation de résultat.

Dans le même temps, il peut être considéré que la réglementation, norme générale et impersonnelle s’appliquant à tous, est un objectif général poursuivi par l’Etat, qui s’appuie pour y parvenir non sur chaque entrepreneur pris séparément, mais sur les entrepreneurs pris dans leur ensemble. Dès lors, les pratiques de chacun sont indifférenciées ; seul le résultat global est significatif. C’est le phénomène de collectivisation, avec un écueil : chacun se sent dédouané de sa responsabilité en supposant que les autres auront des pratiques plus protectrices de l’environnement. Ou au contraire que personne n’adoptera ces pratiques protectrices et que la sanction ne pourra dès lors plus être appliquée du fait du nombre des auteurs d’infraction. De son côté, l’Etat, en tant que pouvoir normatif, poursuit, en matière environnementale, un résultat, qualitatif ou quantitatif – limitation de la pollution de

371 Voir développements relatifs aux dommages environnementaux de travaux publics en

l’eau à x% de nitrates par m3, nuisances sonores des chantiers devant demeurer

inférieures à x décibels de jour et / ou de nuit… La réglementation environnementale impose donc bien une obligation de résultat aux acteurs des travaux publics.

Un certain nombre de critères cumulatifs ont été mis en lumière par Nouri SAID

BENYAHIA372 pour déterminer si l’on se trouve dans le cadre d’une obligation de

moyens ou de résultat. Certains des critères qu’il a énumérés et détaillés semblent pertinents, tout particulièrement la situation des participants à l’obligation (1) et les effets dommageables des travaux sur la personne et les biens du créancier (2).

1. La situation des participants à l’obligation réglementaire dans les travaux publics

DEMOGUE proposait une distinction opposant les professions libérales aux

métiers373. Cette distinction est inopérante dans la mesure où les obligations de

moyens et de résultat couvrent des obligations autres que strictement liées à l’exercice d’une profession. Mais une autre distinction liée à la profession du débiteur de l’obligation environnementale en matière de travaux publics semble plus efficiente. Cette obligation dépasse le strict cadre du domaine contractuel, même si elle peut y être rattachée.

372In L’évolution des concepts d’obligation de moyens et d’obligation de résultat, Henry Blaise (directeur),

Thèse Aix-Marseille juillet 1990.

373Ainsi, les professions libérales étaient soumises à une obligation de moyens tandis que les corps de

métiers étaient astreints à une obligation de résultat. Il justifiait cette différence par le fait que, en ce qui concerne les métiers « le résultat peut être atteint sûrement avec la technique appropriée » (DEMOGUE,

Traité des obligations en général, tome V, n° 1237). Si certaines professions libérales aujourd’hui, telles que l’avocat, l’avoué ou encore le commissaire aux comptes, sont bien astreintes à une simple obligation de moyens, la distinction établie par DEMOGUE a néanmoins perdu de sa pertinence. En effet, certaines tâches annexes des membres des professions libérales constituent des obligations de résultat. Ainsi, l’avocat est tenu, pour le compte de son client, à l’accomplissement d’un certain nombre d’actes de procédure, qui constituent des obligations de résultat. Il est directement responsable du retard dans la transmission d’une pièce de procédure (CA Paris, 18 mai 1963, Dalloz 1963, 692) ou encore de n’avoir pas transmis à son client de compte-rendu d’audience (Civ 1ère, 4

octobre 2000, n° 97-18.743). Pour d’autres professions libérales, telles que le notariat, l’obligation de résultat constitue l’obligation principale (Voir à ce sujet Jean-Luc AUBERT, « Responsabilité professionnelle des notaires », Répertoire Defrénois 1977, n° 58). Si le notaire a failli à sa mission et qu’un acte ne prend pas forme authentique, sa responsabilité pourra être recherchée (Cass Civ 1ère, 8

février 1980, Dalloz Sirey 1980, IR 271, au sujet d’un notaire qui avait oublié de mentionner la date du jour dans lequel l’acte est passé).

Les acteurs des travaux publics doivent veiller au respect de la réglementation dans le cadre des chantiers. La réglementation, maillon du contrat social, leur impose un certain nombre d’obligations à respecter. Les bénéficiaires de ces obligations sont les tiers au chantier, les riverains ou toutes les personnes susceptibles d’être affectées par les nuisances de travaux publics. Les acteurs des travaux publics ont donc un certain nombre d’obligations à respecter. Le non-respect de ces obligations devrait pouvoir aboutir à des actions en responsabilité des tiers sur le fondement d’une obligation de résultat, la réglementation devant être appliquée dans son entier. Le fait de tendre vers le respect de l’application de la loi ne saurait être considéré comme suffisant. C’est en restant dans ce même cadre qu’on pourra isoler autre critère de distinction entre obligation de résultat et de moyens : celui des effets dommageables sur la personne ou les biens des tiers créanciers de l’obligation de respecter l’environnement.

2. Les effets dommageables sur la personne et les biens du créancier

« Chacun a droit à sa vie et à son intégrité corporelle ; chacun a droit à l’intégrité matérielle

des biens qui lui appartiennent»374. Certains professionnels sont ainsi redevables d’une

obligation de résultat. C’est le cas des restaurateurs, qui doivent assurer à leurs clients que les aliments délivrés ne sont pas nuisibles pour leur santé375. Cette rigueur

dans l’obligation est motivée, selon Nouri SAID BENYAHIA376, par la passivité du

créancier. Celui-ci ne peut que se reposer sur l’honnêteté et la compétence de son prestataire.

Cette interprétation est transposable aux obligations des entrepreneurs de travaux publics à l’égard des tiers riverains, concernant les nuisances de chantier. En effet, les tiers qui subissent les nuisances sont passifs : ils n’ont pas sollicité la réalisation des travaux et ne sont pas mis en situation de se protéger contre les nuisances produites. Certes, il n’existe pas de lien contractuel entre l’entrepreneur de travaux publics et les

374Boris STARK, Droit civil, obligations, 1972, n° 58. 375Tribunal civil de la Seine, 19 juin 1958, JCP 1958, 11278.

376In L’évolution des concepts d’obligation de moyens et d’obligation de résultat, Henry Blaise (directeur),

riverains. Cependant le contrat social, qui impose que tous les citoyens vivent dans le respect les uns des autres, crée une forme d’obligation. Cette dernière est prolongée de manière intéressante par les chartes adoptées dans le cadre de certaines opérations : conventions chantiers verts, chartes de bonne conduite… Ces deux types

d’engagement ne sont pas juridiquement contraignants377, mais ils ont une valeur

morale, qui devrait aboutir à un plus strict respect.

Pourtant, le législateur et la jurisprudence se sont montrés indulgents à l’égard des débiteurs d’obligations. Dans certains cas, c’est du fait du caractère gratuit du contrat conclu, cas qui pourrait s’appliquer en matière de travaux publics. Dans nombre de cas, cette indulgence conduit à exonérer de fait les contrevenants à la réglementation de toute responsabilité, ne laissant place qu’à une simple obligation de moyens dans la réglementation environnementale.

b. … à une obligation de moyens dans les faits

En droit français, l’obligation de moyens s’applique en matière de contrats et repose sur le contenu de l’obligation. Dans ce cadre, le débiteur au contrat s’engage à fournir un certain résultat ou à mettre en œuvre les moyens dont il dispose pour satisfaire la demande du créancier.

L’obligation de moyens présente des avantages en droit commun des contrats. Mais elle a des effets néfastes en matière de contrats environnementaux. En effet, bien souvent ils sont conçus à l’origine pour produire une obligation de résultat, mais les acteurs ne se sentent contraints qu’à faire diligence pour exécuter le contrat, ce qui est caractéristique de l’obligation de moyens378.

Le débiteur d’un contrat environnemental ne pense pas s'engager à atteindre un objectif précis - un résultat, mais seulement être tenu à essayer de l'atteindre. Il n’essaie donc pas d’accomplir l’obligation qui lui incombe, mais plutôt de faire un effort constant pour se rapprocher de l'objectif, en prenant en compte ses capacités et

377Concernant la valeur juridique des chartes, voir chapitre I de la deuxième partie. 378Cass. 3e civ, 7 mars 1978 : Bull. civ. III, n° 108.

les données actuelles de sa discipline. Et ce type de raisonnement a tendance à être généralisé à toute la matière environnementale.

En matière de droit de l’environnement, le doute ne saurait exister sur la certitude du résultat à atteindre. Pourtant, il semble que le même raisonnement qu’en matière de contrat soit tenu. Cela expliquerait – sans l’excuser – le fait que chaque entrepreneur de travaux publics ne se sente lié au respect de la réglementation environnementale que dans le cadre d’une obligation de moyens.

Ainsi, un certain nombre de réglementations environnementales sont réduites au rang d’obligations de moyens alors qu’elles devraient constituer des obligations de résultat. Pour faire un autre rapprochement avec le droit commun des obligations, il semblerait que l’acceptation du risque par le créancier – en l’espèce l’Etat, organe normatif – réduise toute obligation de résultat au statut de simple obligation de moyens. Mais en l’espèce, comment déduire que l’Etat a accepté l’idée d’une inexécution au moins partielle des normes qu’il prescrit ? C’est un point délicat à trancher. L’absence de poursuites ou de recherche de sanctions contre les contrevenants pourrait apparaître comme un indice d’acceptation du risque, de même que l’énonciation d’obligations générales en termes d’objectifs généraux non quantifiés, définissant des idéaux vers lesquels tendre sans fixer de seuils de réalisation.

En la matière pourtant, l’acceptation du risque par le créancier ne saurait dédouaner le débiteur qui a manqué de diligence et qui n’a pas rempli ses obligations, même s’il existe de bonnes pratiques mises en œuvre par ses voisins, au risque d’une perte de compétitivité pour ces entreprises par ailleurs méritantes.

Dès lors, ce ne sont pas des obligations quantitatives qui sont fixées à peine de sanction, mais des objectifs vers lesquels les autorités publiques et les acteurs concernés doivent tendre. Pour permettre une véritable protection de l’environnement dans les travaux publics, la valeur accordée à la réglementation écologique doit être révisée.

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