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Pour une conception nouvelle de la norme écologique dans les travaux publics

Section II : Une application insuffisante de la norme environnementale par le secteur des travaux publics : diagnostic et propositions

A. Pour une conception nouvelle de la norme écologique dans les travaux publics

Actuellement, la norme est produite en quantité, au détriment de la qualité des textes adoptés. C’est particulièrement le cas en droit de l’environnement. Si le secteur des travaux publics est encore relativement épargné, le volume de textes à portée écologique qui lui sont applicables ne cesse de s’accroître. Leur mise en œuvre est inégale. Pour parvenir à imposer l’application de la norme environnementale, comme c’est indispensable pour une obligation de résultat, il serait nécessaire de

changer les conceptions actuelles qu’ont les acteurs de l’environnement (1), en

1. Vers une nouvelle conception de l’outil normatif

L’entrepreneur de travaux publics qui met en œuvre une obligation environnementale contractuelle ou réglementaire doit avoir les possibilités techniques et humaines de la réaliser. Dans les cas où la réalisation n’est pas assurée,

seule l’obligation de moyens pourra être retenue379. S'il n'apparaît pas anormal

qu'une diligence appropriée n'aboutisse pas au résultat recherché, on dira que le résultat, qui n'est que souhaité, est aléatoire.

C’est là que souvent le caractère environnemental de l’obligation joue un rôle restrictif sur la nature des obligations à remplir. Les données environnementales et les réactions du milieu naturel sont souvent perçues comme imprévisibles et l’adoption de mesures de nature à réduire la dégradation d’une composante du patrimoine peut ne pas avoir l’effet escompté, du fait d’éléments sur lesquels l’entrepreneur n’a pas de prise.

L’aléa écologique est un élément central de la réflexion sur le droit de l’environnement, et quand bien même les obligations d’un entrepreneur de travaux publics ne présenteraient aucun caractère aléatoire, elles bénéficieront de cette présomption générale. Il apparaît pourtant inconcevable que toute obligation juridique de nature environnementale soit une simple obligation de moyens. Selon Joseph FROSSARD, « il n’y a aléa que si manifestement le créancier ne peut pas compter sur

la certitude du résultat attendu en raison des impondérables dépassant les possibilités humaines»380. De plus, le fait que la réglementation ne soit pas respectée ne peut être

considéré comme un aléa d’exécution : lorsqu’une norme est adoptée, elle l’est sur le fondement du fait qu’elle pourra et devra être appliquée. Dès lors, l’inexécution doit être considérée comme fautive.

Une question est soulevée par la doctrine concernant l’appréciation du résultat. A partir de quand peut-on considérer que le résultat poursuivi a été atteint ? Cette appréciation ne serait possible que par le biais d’un jugement de valeur qui excède le

379 Voir André TUNC, article précité, n° 6 ; STARCK, par H. ROLAND et L. BOYER, Droit civil des

obligations, 6èmeédition, n° 1181.

champ du droit et la compétence du juge. Un second questionnement est relatif à la finalité de la distinction obligation de moyens / de résultat. En effet, cette distinction est opérée afin de déterminer à partir de quand on considère qu’un préjudice est indemnisable. Or l’environnement est une chose sans maître, il n’y a pas de victime directe de l’acte de pollution.

Il apparaît donc nécessaire, en matière de droit de l’environnement, d’adopter la distinction entre obligation de résultat et de moyens indépendamment de l’appréciation du préjudice. De donner à cette distinction son autonomie, en l’appliquant indépendamment des indemnisations financières qui peuvent en découler. Ce n’est que par l’utilisation d’instruments normatifs adaptés que la réglementation environnementale pourra (re)trouver le statut d’obligation de résultat.

2. L’utilisation d’outils normatifs adaptés pour la création d’obligations de résultat environnementales

Les lois de protection de l’environnement ne fixent que rarement des objectifs quantifiés à atteindre ou des seuils de pollution à ne pas franchir. A cela deux raisons majeures. La première est la difficulté à évaluer et à vérifier que les objectifs

quantifiés ont été remplis381. Ainsi, la fixation d’un seuil maximal de bruit sur un

chantier de travaux publics peut être contrôlée, mais le dépassement du seuil ne pourra pas toujours, du fait des modalités de déroulement et de la présence fréquemment simultanée de plusieurs entreprises sur site, être imputé à un entrepreneur plutôt qu’à un autre. C’est de ce fait que les associations représentatives des collectivités territoriales s’interrogent quant à l’efficacité, en matière

d’environnement, d’imposer des obligations de faire382.

En matière de travaux publics pourtant, cette évaluation serait facile. Les déchets de chantier sont en effet spécifiques et ne peuvent être confondus avec des déchets

381 Voir à ce sujet les développements relatifs à l’évaluation du préjudice environnemental dans

l’introduction.

382 Position exprimée par Marine DOUIN, de l’Assemblée des départements de France lors d’un

ménagers, du fait de leur volume et de leur nature. De même en ce qui concerne les nuisances sonores provoquées par le chantier : il existe peu de risques que la source de nuisances sonores ne soit pas identifiée, sauf dans le cas de travaux menés conjointement en plusieurs sites voisins, comme ce peut être le cas lorsqu’il y a création d’une nouvelle zone d’activité ou d’un lotissement.

En matière de travaux publics, donc, il apparaît possible de fixer des objectifs quantitatifs de protection de l’environnement dans la réglementation. Ceux-ci sont d’ailleurs fixés parfois dans le cahier des clauses techniques particulières, au cas d’espèce. Mais la réglementation applicable en matière de travaux publics, qui n’est pas une réglementation spécifique mais une déclinaison des normes générales, suit l’orientation du droit commun, qui est peu enclin à l’adoption de seuils et d’objectifs quantitatifs à respecter.

La seconde raison de la non-adoption de normes quantifiées – sans doute déterminante en matière de travaux publics – est la résistance des acteurs du secteur concerné. Le lobbying industriel est ainsi le plus souvent axé sur la volonté des instances professionnelles de limiter les obligations réglementaires applicables par

leurs membres383, qui pourraient les amener à changer leurs pratiques dans un sens

favorable à l’environnement, mais surtout qui pourraient être génératrices de surcoûts d’exploitation ou de dépenses d’investissement et rendre les entreprises nationales moins compétitives.

Ainsi, en matière de travaux publics, secteur industriel financièrement et humainement lourd, il n’existe pas de réglementation environnementale

spécialement applicable384. Les seules pratiques environnementales adoptées par le

secteur sont des pratiques volontaires menées par les entreprises du secteur et

soutenues au niveau national385. Et la grande majorité des actes adoptés par l’Etat

concernant le secteur sont non contraignants. C’est le cas par exemple de la circulaire du 15 février 2000 relative à la gestion des déchets de chantier du bâtiment et des travaux publics.

383Cf introduction, section II.

384Voir analyse relative à la réglementation, présent chapitre, section I. 385Voir deuxième partie, chapitre I.

Et même dans les cas où des normes quantitatives à ne pas dépasser ont été fixées, demeure une culture de l’obligation de moyens en matière environnementale. En effet, bien souvent, si les quotas fixés sont dépassés ou si une entreprise ne remplit qu’une partie des obligations auxquelles elle s’était engagée – hors le cas des installations classées ou des industries présentant des risques technologiques importants - le plus souvent elle fera l’objet d’une certaine mansuétude, les autorités publiques considérant qu’un effort en faveur de l’environnement a été fait par la société concernée. Ainsi, dès lors, même si elle n’a réalisé qu’une partie des engagements auxquels elle était astreinte, les insuffisances de sa pratique professionnelle ne seront pas verbalisées ni sanctionnées.

En effet, le plus souvent, aucune mesure répressive n’est mise en place386. Les choses

pourraient toutefois évoluer si les acteurs des travaux publics étaient consultés lors

de l’élaboration de nouvelles normes387. De même, chaque réglementation pourrait

être évaluée : les insuffisances d’application pourraient ainsi être recensées et expliquées méthodiquement. Comprendre ses erreurs permet en effet de ne pas les reproduire.

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