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Le développement de l’évaluation des règles environnementales applicables

Section II : Une application insuffisante de la norme environnementale par le secteur des travaux publics : diagnostic et propositions

B. Le développement de l’évaluation des règles environnementales applicables

Les lois environnementales sont souvent « tardive[s], tâtonnante[s] et défensive[s] »388.

Le droit de l’environnement reste « un droit à la recherche de ses techniques propres et qui

n’a pas, après une croissance assez rapide, encore atteint son plein épanouissement, non plus que son point d’équilibre»389. Pour identifier les techniques efficaces en droit de

l’environnement, il est nécessaire d’évaluer la mise en œuvre des réglementations

386Pour une réflexion en ce sens, voir deuxième partie, chapitre II, section II.

387 Une telle évolution ne sera pas aisée. On constate en effet que sous la pression du droit

communautaire, certains projets de textes importants en matière environnementale sont soumis à consultation du public. Toutefois, la participation est le plus souvent faible, si on excepte celle des

lobbies organisés. Ce fut par exemple le cas de la consultation sur l’avant-projet de loi sur la responsabilité environnementale (voir Arnaud GOSSEMONT, « Avant-projet de loi sur la responsabilité environnementale : ver le principe pollué-payeur ? », Droit de l’environnement n° 145 janvier/février 2007, pages 24-28.

388Michel DESPAX, Droit de l’environnement, Litec droit 1980, page 785 : le constat se vérifie toujours

aujourd’hui.

existantes et d’en tirer des enseignements. Cette observation générale des règles permettra ensuite d’établir quelles techniques fonctionnent en matière de travaux publics.

L’évaluation des impacts de la réglementation est une pratique récente. Développée aux Etats-Unis dans les années 1970, puis diffusée en Europe dans les années 1990,

soutenue par l’OCDE390, la pratique s’est difficilement installée en France. En effet

pour les juristes français, le droit est porteur de valeurs et son utilité ne saurait être évaluée ou remise en cause391.

Dans un premier temps, une résolution de l’Assemblée nationale du 18 juin 1990392 a

disposé que, dans le cas où l’Assemblée serait saisie d’un « projet ou d’une proposition

de loi dont l’application est susceptible d’avoir un effet sur la nature», les rapports parlementaires comporteraient « en annexe un bilan écologique, constitué d’éléments

d’information quant aux incidences de la législation proposée». Cette résolution a été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel393, mais n’a pas été

appliquée ensuite394.

Cette orientation a été réaffirmée par un décret du 22 janvier 1990395 qui a créé trois

instances chargées de l’évaluation des textes et des politiques publiques : le comité interministériel de l’évaluation (CIME), qui devait coordonner les politiques gouvernementales, le Fonds national de développement de l’évaluation pour le financement d’initiatives d’évaluation et le Conseil scientifique de l’évaluation chargé de centraliser et de synthétiser les pratiques existantes. Ces trois instances ont disparu avec la création du Conseil national de l’évaluation396.

390 Recommandation du Conseil de l’OCDE concernant l’amélioration de la qualité de la

réglementation officielle de 1995 ; OCDE, Analyse de l’impact de la réglementation, meilleures pratiques

dans les pays de l’OCDE, 1997.

391 Ejan MAC KAAY, « L’analyse économique du droit dans les systèmes civilistes », in L’analyse

économique du droit dans les pays de droit civil, Cujas 2002, page 11.

392JORFdu 7 juillet 1990, pages 8051-8052.

393CC, 5 juillet 1990, n° 90-276, JORF du 7 juillet 1990, pages 8051-8052.

394Voir Raphaël ROMI, L’Europe et la protection juridique de l’environnement, Victoires éditions 2004. 395Décret n° 90-82 relatif à l’évaluation des politiques publiques.

Une circulaire du 26 janvier 1998397organise l’étude d’impact des textes : elle évalue a

priori les effets administratifs, juridiques, sociaux, économiques et budgétaires des mesures envisagées et s’assure que la totalité de leurs conséquences a été envisagée préalablement à la décision publique. La réglementation adoptée doit être en adéquation avec le but recherché.

L’OCDE peine à évaluer la pratique française tant elle est disparate : les documents produits sont de densité et de qualité inégales, et leur contenu n’éclaire pas toujours

la décision qu’ils accompagnent. Selon le rapport MANDELKERN de 2002398 et

l’analyse du Conseil d’Etat de la même année, ces documents restent formels, produits uniquement en raison de l’obligation de les réaliser. Leur qualité est insuffisante.

L’évaluation reste donc une démarche peu naturelle pour les services publics. Des difficultés pratiques tout d’abord se font jour : une évaluation approfondie coûte cher et prend du temps, or les décideurs sont liés par des exigences temporelles et ne peuvent attendre le résultat de longues études. Plus prosaïquement, il semble que les acteurs publics tiennent à conserver un certain flou dans leurs pratiques, l’opacité étant alors perçue comme un facteur d’autonomie.

L’évaluation tend toutefois à se développer. La crise de la légitimité de l’action publique rend nécessaire une argumentation plus solide et plus construite autour des interventions et des dépenses publiques. La transposition ou l’intégration en droit interne de normes internationales impose de plus que l’Etat français rende compte des normes et procédures instaurées, ainsi que des conséquences que cette mise en place a entraînées.

Un rapport récent relance ainsi l’idée d’élaborer une étude d’impact des textes399.

Tester la nécessité et la pertinence des projets de textes y est présenté comme une mesure indispensable. Il s’agirait, dans ce cadre, non de justifier une solution

397Circulaire relative à l’étude d’impact des projets de loi et de décret en Conseil d’Etat, JORF n° 31 du

6 février 1998, page 1912.

398 Rapport du groupe de travail interministériel sur la qualité de la réglementation, Mandelkern

(président), 2002.

399 PREMIER MINISTRE, SECRETARIAT GENERAL DU GOUVERNEMENT, Rapport du groupe de

prédéterminée, celle contenue dans le projet de texte, mais d’étudier les options alternatives réalistes, telles qu’elles peuvent exister dans le cadre de la réglementation, mais aussi en marge de celle-ci. Une méthodologie de l’étude d’impact est proposée en annexe de ce rapport.

C’est pour répondre à cette nécessité nouvelle d’évaluer les textes et les actions publiques qu’un secrétariat d’Etat chargé de la prospective et de l’évaluation des

politiques publiques a été créé au sein du Gouvernement FILLON400. Il doit proposer

et pérenniser un processus d’évaluation préalable des projets de lois et promouvoir et organiser l’évaluation des politiques publiques. Son action a « notamment » pour domaines d’intervention les domaines économique et social, sans que cela soit exclusif d’interventions dans d’autres domaines de l’action publique, comme la protection de l’environnement. Il est toutefois à prévoir que l’évaluation environnementale ne soit pas développée dans l’immédiat.

Dans l’attente, plusieurs instances sont susceptibles de procéder à une évaluation en matière environnementale. Si l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, créé en 1983, fournit une importante réflexion en matière d’environnement, il œuvre dans une perspective scientifique et non juridique. L’office parlementaire d’évaluation de la législation, créé en 1996401, n’a eu

que peu d’occasions de se manifester en matière environnementale402. Le comité

interministériel d’évaluation des politiques publiques, créé en 1990403, pourrait

également œuvrer en ce sens, de même que l’office parlementaire d’évaluation des politiques publiques. Mais aucune de ces instances ne s’est actuellement saisie de problématiques environnementales. De même, si certains ministères créent une

instance interne d’évaluation404, aucune démarche en ce sens n’a à ce jour été engagée

par le Ministère de l’écologie et du développement durable.

400Décret n° 2007-1006 du 12 juin 2007 relatif aux attributions déléguées au secrétaire d’Etat auprès du

Premier ministre, chargé de la prospective et de l’évaluation des politiques publiques.

401Loi n° 96-516 du 14 juin 1996.

402 Voir à cet égard le rapport de l’ASSEMBLEE NATIONALE, L’exercice de l’action civile par les

associations, Patrick Albertini (rédacteur), rapport n° 1583 du 6 mai 1999.

403Décret n° 90-82 du 22 janvier 1990.

404 Par exemple, le Conseil de l’évaluation au Ministère de l’équipement, créé par arrêté du 17

La norme environnementale doit pourtant retrouver son statut d’obligation de résultat. Mais dans cette attente, la situation doit être régulée par le biais d’autres mécanismes. Le plus naturel en droit – en droit public particulièrement - est la jurisprudence, qui pallie souvent les insuffisances d’un droit qui évolue lentement.

L’ordonnancement du droit de l’environnement doit permettre de construire un système juridique cohérent, articulé autour de principes permettant d’apprécier et de réguler l’action publique. La norme a donc un rôle irremplaçable, mais en matière de protection de l’environnement dans les travaux publics, elle présente des imperfections405.

En effet, les acteurs des travaux publics, secteur industriel important, refusent de se voir imposer des exigences de protection de l’environnement, qu’ils estiment coûteuses. Pour cette raison, en matière de travaux publics, « la majorité des règles

adoptées ne répond pas aux défis posés, étant donné qu’elles sont le produit de compromis écartant les enjeux écologiques. […] L’optimisme n’est plus de mise à propos de l’avenir d’un droit perpétuellement condamné à s’écraser sous les impératifs d’autres politiques telles que celles du développement économique…»406.

Pour pallier les insuffisances du droit, le juge a un rôle important à jouer. Il a, dès l’origine, pris une part importante dans les étapes préparatoires à l’émergence d'un

droit de l'environnement autonome407. Le juge dispose en effet d’un certain pouvoir

normatif408. Marcel WALINE constatait ainsi que « la jurisprudence agit comme si elle

avait un pouvoir normatif ; elle le prouve en marchant ; elle s’arroge ce pouvoir»409.

En droit de l’environnement, les dispositions normatives sont souvent imprécises. Certains auteurs considèrent de ce fait que la jurisprudence est la seule source du

405Voir supra, présent chapitre.

406Nicolas DE SAADELER, « Les principes comme instruments d’une plus grande cohérence et d’une

efficacité accrue du droit de l’environnement », in Quel avenir pour le droit de l’environnement ?, Actes du colloque organisé par le CEDRE, VUB éditions Bruxelles 1996, pages 239 et 240.

407Jacques de LANVERSIN, « Contribution du juge au développement du droit de l’environnement »,

in Mélanges Waline, 1974, page 519.

408Voir par exemple Simon BELAID, Essai sur le pouvoir créateur et normatif du juge, LGDJ 1974, page

296.

droit qui incite à la protection de l’environnement410 et à une réelle efficacité dans la

poursuite de cet objectif.

La jurisprudence peut également permettre une meilleure application du droit, en sanctionnant les atteintes commises, soit par le biais du contentieux de la légalité, soit par le biais du contentieux de la réparation. Le juge administratif, s’il s’est vu reprocher sa lenteur ou son manque d’efficacité, joue un rôle véritable dans la

protection de l’environnement411. Le juge s’est le plus souvent employé à intégrer

l’objectif de protection de l’environnement dans les principes et concepts jurisprudentiels qu’il a progressivement fait émerger pour contrôler l’action de l’administration dans différents domaines de l’intervention publique.

La découverte, par les associations de protection de l’environnement, des vertus du contentieux administratif, et la jurisprudence libérale concernant l’intérêt à agir des groupements, ont eu pour conséquence un développement exponentiel des

contentieux de l’environnement et de l’urbanisme412. Le volume des contentieux est

donc important, et on peut imaginer l’influence que serait susceptible d’avoir un contentieux sévère sur les acteurs des travaux publics : il serait à même de compenser les insuffisances de la norme.

410 Voir par exemple Christian HUGLO, « Droit de l’environnement : affichage ou vérité ? Il faudra

choisir », Environnement janvier 2005, page 3.

411Yves PITTARD les qualifie d’ailleurs de « juges verts », in « Le juge administratif, juge vert ? », Revue

juridique de l’environnement1995, n° spécial.

412 La loi n° 2006-872 portant engagement national pour le logement a réduit ce droit à agir des

associations. Ne peuvent désormais plus contester une autorisation administrative les associations dont les statuts ont été déposés en préfecture après l’introduction de la demande d’autorisation.

Chapitre II :

Une jurisprudence peu mobilisée pour la

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