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Section II. Les droits et obligations des parties dans l’administration de la preuve électronique

B. La mise en œuvre de la coopération à la preuve électronique

251.-Lorsque dans la phase de construction de la décision du juge, entrent en ligne de

compte des éléments probatoires sur support électronique, les devoirs à la charge des parties sont de deux natures. En premier lieu, ils peuvent avoir une nature fonctionnelle et s’intégrer au devoir renforcé de coopération dans l’administration de la preuve qui incombe aux parties. Les parties sont alors simplement tenues de produire la preuve. En second lieu, ils peuvent revêtir un caractère technique. Le juge refusant d’accomplir ce rôle, les parties sont détentrices d’un devoir plus spécifique lié à l’évolution des TIC : le devoir de certifier la validité et l’intégrité des preuves électroniques. De l’existence d’une preuve électronique au procès, résultent donc deux obligations concomitantes pour les parties : celle de communiquer la preuve électronique et celle de fournir la preuve de cette preuve électronique. En définitive, la mise en œuvre du principe de coopération à l’administration de la preuve électronique fait peser sur les parties une double preuve.

1. La communication de la preuve électronique

252.-En vertu de l’adage latin « Audiatur et altera pars » et de l’application des

dispositions communes de l’article 16 du Code de procédure civile, le juge du contrat de travail « doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction »671. L’obligation de communiquer les pièces trouve ainsi son origine dans le principe de loyauté des débats672, corollaire du principe du contradictoire673 et s’applique quelle que soit la nature du contentieux en cause674.

253.-La Cour de cassation dans un arrêt en date du 2 décembre 2004, a énoncé « qu’en

communiquant quelques instants avant la clôture, laquelle avait été reportée à deux

671 BERNARD (S.), « Contentieux social et régime probatoire : office du juge et exigences de la mise en état et du contradictoire », Dr. ouv. avr. 2010, n° 741, p. 187-194, spéc. p. 187 ; DESDEVISES, Dr. soc. 1986, p. 140 ; GRUMBACH (T.), SERVERIN (E.), « L’audience initiale devant le Conseil de prud’hommes », Dr. ouv. oct. 2009, n° 735, p. 469-483 ; LEBON-BLANCHARD, « Office du juge et exigences de la mise en état et du contradictoire », Dr. ouv. avr. 2010, n° 741, p. 195-198.

672 Cass. civ 3e, 27 sept. 2006, Bull. civ. III, n° 192.

673 Du principe du contradictoire, résulte la faculté propre à chaque partie de prendre connaissance et de discuter l’ensemble des pièces et moyens de fait et de droit présentés au juge prud’homal.

reprises, une pièce qu’il retenait depuis plusieurs mois, le plaideur avait délibérément tenté de surprendre son adversaire, une cour d’appel caractérise un comportement contraire à la loyauté des débats et justifie légalement sa décision d’écarter ladite pièce des débats »675. Cette incitation à l’intervention judiciaire se place dans la droite lignée du rapport

MAGENDIE dont l’objectif assumé est d’encourager la célérité du procès et de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’hommes et des libertés fondamentales aux termes duquel, « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, […]».

254.-Le champ sémantique qui entoure le régime de la communication des pièces dans

le Code de procédure civile a trait à la notion de temps : « spontanée », « le juge fixe le délai », « en temps utile ». La tutelle du juge sur le déroulement de l’instance se concrétise par la maîtrise du calendrier que lui offre l’article 3 du Code de procédure civile676. Suivant cette prérogative, il peut fixer par le biais d’injonctions les délais pour le dépôt des conclusions et communication des pièces, il détermine les délais pour l’exécution des mesures d’instruction et il apprécie le moment où l’affaire est suffisamment instruite pour être portée à l’audience et être jugée. Enfin, il dispose de sanctions lorsque le délai imparti n’est pas respecté, telles que le prononcé d’une astreinte ou le rejet des pièces et des conclusions.

255.-Le rapport MAGENDIE, dans un esprit innovant, préconisait un principe de

concentration des preuves, des pièces et des documents. L’objectif premier de la communication par les parties, dès les premières conclusions, de « l’intégralité des pièces connues et disponibles »677, s’interprète comme la volonté de garantir un « débat plus transparent et efficace » et de mettre un terme aux « appels en cascade qui retardent considérablement l’issue du procès »678. Ces évolutions permettraient alors d’assurer « un traitement égal de tous les justiciables, quelle que soit la cour d’appel saisie sur le territoire : l’égalité devant la loi - et donc devant le juge – est une exigence constitutionnelle»679.

675 Cass. civ. 2e, 2 déc. 2004, D. 2005, IR 315; Cass. civ. 3e, 27 sept. 2006, Bull. civ. III, n° 192.

676 Le juge a la maîtrise du calendrier, du temps du procès selon l’article 3 C.P.C. : « Le juge veille au bon déroulement de l’instance ; il a le pouvoir d’impartir les délais et d’ordonner les mesures nécessaires » ; SOLUS (H.), PERROT (R.), loc. cit. ; AMRANI-MEKKI (S.), Le temps et le procès civil, Dalloz, Paris, 2002.

677 MAGENDIE (J.-C.), op. cit., p. 50-51.

678Ibid.

679 Art. 6 D.D.H.C., 26 août 1789. En ligne : [ www.legifrance.gouv.fr/Droit-français/Constitution/Declaration-des-Droits-de-l-Homme-et-du-Citoyen-de-1789] ; MAGENDIE (J.-Cl.), Id., p. 51.

En outre, il s’agirait de créer un socle procédural680 plus strict encadrant les actes d’administration des parties. « Le code de procédure civile pourrait définir les délais maximaux, que le juge aurait la faculté de réduire en fonction des circonstances. Une éventuelle prorogation ne pourrait être prononcée que sur justification d’une cause grave et légitime. Ce mécanisme légal pourrait être utilement complété par les magistrats des cours concernées et les auxiliaires de justice intéressés. Cette méthode permettrait d’éviter les effets pervers d’une rigidification des règles procédurales, et de développer une culture du dialogue entre le juge et les parties »681.

2. La preuve de la preuve électronique

256.-La présence d’éléments probatoires sur support électronique engage les parties à

certifier la preuve électronique. Au sens général, « certifier » une preuve, emprunté du latin « certificare »682, signifie rendre la preuve certaine, l’assurer comme valable ou la garantir683. La certification du message électronique consiste alors en l’acte constatant la validité de ce message en qualité de pièce ou d’écrit et en l’authentification de son auteur.

257.-S’agissant des actes juridiques, et notamment du contrat de travail électronique,

l’obligation de certification opèrerait un renforcement des rôles processuels des parties, puisqu’elle exigerait de chacune d’elle, d’avoir la capacité de démontrer la réalisation des conditions de l’article 1316-1 du Code civil, tandis qu’elle imposerait au juge la vérification technique de la présence des critères de ce même article. Aussi, de nouvelles prérogatives sont offertes au juge qui a pour devoir de vérifier la preuve de l’acte électronique avant de l’intégrer à sa décision. Il s’agit bien là d’une coopération technique et fonctionnelle des parties et du juge dans la construction de la décision judiciaire. Dans un arrêt datant du 4 décembre 2008684, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation,

680 CADIET (L.), NORMAND (J.), AMRANI-MEKKI (S.), Théorie générale du procès, op. cit., n° 23, p. 96-97.

681 MAGENDIE (J.-Cl.), op. cit., p. 52.

682 GAFFIOT (F.), Le Gaffiot Dictionnaire Latin-français, Paris, Hachette, nouvelle éd., 2000.

683 Académie française, DRUON (M.), Dictionnaire de l’Académie française, 9e éd. Fayard, Paris, 2005.

684 Cass. civ. 2e, 4 déc. 2008, n° 07-17622 ; Cass. 2e civ., 23 sept. 2010, n° 09-68367. L’arrêt du 23 septembre 2010 de la 2e Chambre civile reprend le même attendu de principe «l’écrit électronique ne vaut preuve qu’à condition que son auteur puisse être dument identifié et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité» et vise l’article 1316-1 du code civil. Une caisse d’allocation familiale avait saisi une juridiction de sécurité sociale en répétition d’un indu à l’encontre d’époux bénéficiaires Il s’agissait en l’espèce pour les juges, afin de qualifier la prescription, d’appliquer les exigences des articles visés à des copies des notifications faites aux parties dans une base de données. RENARD (I.), « Premier arrêt de la Cour de cassation sur la preuve électronique », 15 fév. 2009.

au visa de l’article 1316-1 du Code civil, pose en principe que « l’écrit sous forme électronique ne vaut preuve qu’à la condition que son auteur puisse être dûment identifié et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité ». Elle ajoute : « sans rechercher si le fichier informatique litigieux avait bien été établi le 20 janvier 2003 et conservé dans des conditions interdisant à la Caisse de modifier le contenu de ce document, la Cour d’Appel a privé sa décision de toute base légale ». L’écrit numérique doit remplir les conditions de l’article 1316-1 et être horodaté. La partie soumise à l’exigence de rapporter la preuve de l’existence et du contenu de cet écrit électronique doit démontrer en cas de contestation de la partie adverse, l’origine certaine du document. Par la suite, la Cour de cassation s’est attachée à réitérer ces exigences techniques et ce, quel que soit le contentieux dans lequel entre en jeu la preuve électronique d’un acte juridique. Elle rappelle, concernant les messages électroniques entre un bailleur et son locataire, que la cour d’appel était tenue de « vérifier […] dès lors que le bailleur, déniait être l’auteur des messages produits par la preneuse, si les conditions mises par les articles 1316-1 et 1316-4 du code civil à la validité de l’écrit ou de la signature électronique étaient satisfaisantes »685.

258.-Si la fonction officielle de l’écrit électronique est de prouver la sincérité des actes

juridiques, il est également et avant tout en droit du travail, un outil juridique efficace pour établir la preuve des faits juridiques. La Cour de cassation a rappelé que les dispositions de l’article 1316-1 du Code civil ne s’appliquent pas à un courrier électronique produit pour établir la preuve d’un fait686. Toutefois, cela n’empêche en rien les juges de vérifier l’origine et la conformité du document électronique présenté devant eux. Les exigences imposées aux parties du contrat de travail quant à l’intégrité de la preuve électronique qu’elles rapportent et à l’authentification de son auteur, dépendent ainsi de la volonté des juges du fond d’exercer leur pouvoir souverain d’appréciation.

Il serait par ailleurs déraisonnable de penser, qu’après avoir appliqué implicitement les critères de l’article 1316-1 du Code civil au document électronique faisant preuve d’un fait juridique, les juges du fond aient abandonné toute idée de vérification technique. Les

685 Cass. civ. 1ère 30 sept. 2010, n° 09-68555 ; Arrêt du 30 septembre 2010 au visa des articles 1316-1 et 1316-4 : la Cour d’appel avait condamné un bailleur à payer un trop perçu au preneur retenant qu’il ressort des termes du message « qu’il a transmis à sa locataire par voie électronique le 13 octobre et qui tout comme l’ensemble des écrits sous forme électronique émanant de la preneuse doivent être admis en preuve dès lors que le signataire ne communique aucun document de nature à combattre la présomption de fiabilité édictée par l’article 1316-1 du code civil. Que le bailleur avait bien reçu ce congé le 28 août 2006 et qu’il acceptait de faire courir le délais de préavis à compter de cette date ».

conseils de prud’hommes ou les cours d’appel ont plusieurs fois endossé le rôle d’experts informatiques pour écarter un courriel des débats car « il est techniquement impossible en connaissant les codes d’accès à un ordinateur en réseau de donner faussement l’apparence de l’envoi d’un mail à partir de tel ou tel poste »687. Avant son revirement de jurisprudence en date du 25 septembre 2013688, la chambre sociale cautionnait ce « contrôle implicite d’authenticité technique », largement inspiré des conditions de validité de la preuve électronique d’une obligation ou de celle d’un paiement. Elle a notamment confirmé l’arrêt de la cour d’appel dans son arrêt du 24 juin 2009 aux motifs qu’ « appréciant souverainement la valeur probante de l’unique document produit par l’employeur, la cour d’appel a estimé que le courriel recueilli dans des circonstances impropres à en garantir l’authenticité et selon un cheminement informatique qui n’est pas clairement explicité, ne permettait pas l’identification de son auteur de sorte que le grief énoncé dans la lettre de licenciement n’était pas établi »689.

Aussi, outre la licéité de son obtention, la partie doit prouver par différents moyens techniques, tels que l’archivage numérique, que la preuve électronique qu’elle produit rassemble les critères d’ensemble de fidélité et de durabilité.

259.-Afin de remplir les exigences de conservation et de fiabilité, l’employeur comme

le salarié disposent d’un instrument procédural dont l’utilisation se révèle exponentielle : celui de saisir le juge du TGI qui autorisera à procéder à l’ouverture de la boîte mail par un tiers extérieur à l’entreprise (principalement l’huissier de justice), avec mise sous scellé du matériel informatique. Le recours à un officier ministériel, reconnu comme valable par la Cour de cassation690, ne nécessite pas l’information préalable du salarié et assure la pérennité et la stabilité des informations écrites et leur utilisation en qualité de preuve. La doctrine préconise pour remédier à ces incertitudes technologiques, la création d’un processus informatique simple qui prendrait en compte ab initio les exigences judiciaires traduites en termes fonctionnels et techniques691. Cette « politique d’archivage »692

686 Cass. soc. 25 sept. 2013, n° 11-25884.

687 CA Metz, 24 sept. 2012, n° 12-0583 et 10-03492.

688 Cass. soc. 25 sept. 2013, n° 11-25884.

689 Cass. soc. 24 juin 2009, n° 08-41087.

690 Le constat d’huissier n’est pas un procédé clandestin de surveillance, mais il lui est néanmoins interdit de recourir à un stratagème pour recueillir une preuve : Cass. soc. 18 mars 2008, D. 2008, 993 ; Procédures 2008, n°137, obs. PERROT (R.).

691 RENARD (I.), « Premier arrêt de la Cour de cassation sur la preuve électronique », 15 fév. 2009, p. 5. En ligne : [www.fedisa.eu].

adaptable au monde de l’entreprise, se déclinerait en « déclarations de pratique d’archivage » et permettrait de démontrer que le document électronique n’a pas subi de modification susceptible d’altérer son contenu.

§II. Les droits des parties dans l’administration de la preuve électronique

260.-L’existence d’une preuve électronique dans le contentieux du contrat de travail,

initie ou renouvelle l’application des dispositifs participatifs mis en place par le législateur à destination des parties.

La liberté offerte aux parties de s’entendre sur la preuve, et a fortiori sur l’ordre de la preuve, trouve une nouvelle source de motivation dans la nécessité de prendre en compte les progrès techniques et informatiques693. S’accaparer ces nouveaux moyens de preuve est un enjeu procédural réel qui exige que chacun dispose des prérogatives nécessaires pour y parvenir. C’est pourquoi, encore aujourd’hui, la « multiplication et le perfectionnement des procédés de preuve donnent au statut de liberté [des parties] un intérêt qui ne cesse de s’accroître »694.

Parmi les dispositifs de participation à la preuve qui offrent aux parties des droits importants, on recense essentiellement d’un côté, les conventions sur la preuve accréditées par la loi du 13 mars 2000 portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l’information et relative à la signature électronique (A.) ; d’un autre côté, la consécration d’un véritable arsenal juridique mis au service des parties qui s’apparente au droit à la preuve électronique (B.).