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Section II. Axiome : Le contentieux prud’homal révélateur des caractéristiques juridiques de la preuve électronique

C. Le choix d’une étude du contrat de travail

34.-L’exclusion des problématiques collectives. Les réflexions collectives générales

doivent être exclues du champ de l’étude. Seules certaines problématiques collectives ayant une incidence directe sur l’exercice du contrat de travail par le salarié, telles que la mise en place d’un système de vidéosurveillance, seront étudiées ponctuellement. L’étude s’intéresse essentiellement à l’intervention de la justice dans le contrat de travail lorsqu’une preuve électronique est présentée au juge. C’est à la relation tripartite entre le juge, le salarié et l’employeur que ce travail est consacré. Or, le cadre collectif est moins révélateur des conflits interpersonnels. Le contentieux collectif des TIC regroupe essentiellement des questions formelles relatives à l’utilisation des Technologies de l’Information et de la Communication dans l’exercice du droit syndical et formulées devant le Tribunal d’instance122. Le choix de se concentrer sur les problématiques individuelles traitées exclusivement par le Conseil de prud’hommes semble plus à propos. Cette

121 Cass. soc. 19 dec 2003, D. 2004, 688, note KELLER (M.).

122 Le contentieux du vote électronique, de l’Intranet d’entreprise ou des panneaux d’affichages virtuels : « Droit syndical et nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) », Action juridique, n°162, sept. 2003, p. 5-10.

juridiction prend une place considérable dans l’étude de l’incidence de la preuve électronique en droit du travail. Il est édifiant de constater comment les conseillers prud’hommes s’immiscent directement dans la relation contractuelle, sans l’intermédiaire des représentants du personnel.

Le choix d’étudier la relation contractuelle de travail, ne rend pas moins probable l’idée que les solutions aux bouleversements qu’amènent les TIC dans le contrat de travail, se trouvent dans le collectif.

35.-Le juge, le contrat de travail et la preuve électronique. La structure du droit du

travail est dialectique. Il est aussi bien le « droit de l’autorité que le droit de garantie »123. Sous le regard historique, « le droit du travail esquisse simultanément le régime d’exploitation de l’Homme et les moyens d’en limiter la rigueur, de lutter contre lui »124. En matière procédurale, le juge du contrat de travail met le droit en perpétuelle construction. Il crée, utilise et renouvelle des notions appartenant au droit civil, au droit commercial ou au droit international. L’imagination du juge fait du contentieux prud’homal un véritable laboratoire d’étude.

L’altérité du droit probatoire du travail s’induit de l’ambiguïté des rapports qu’entretiennent le juge du contrat de travail et la preuve électronique. L’incompatibilité partielle des TIC avec la procédure prud’homale entraîne la mobilisation des pouvoirs du juge du contrat de travail lors de la phase d’administration de la preuve. Il devient un véritable acteur à l’instance et dispose d’un double statut de juge instructeur et de gardien de la preuve électronique. Cette dernière est alors source de crédibilité et de légitimité pour la décision judiciaire. Les juges du contrat de travail se montrent ensuite beaucoup plus réfractaires à la preuve électronique. Ils amorcent un processus de neutralisation125 des effets de cette preuve moderne en conditionnant sa recevabilité au procès à la présence d’un modèle

123 WAQUET (Ph.), « Le droit du travail : un droit paradoxal », Avant-propos étude : 13 paradoxes du droit du travail, SSL, supplément, 10 oct. 2011, n° 1508, p. 7-11.

124 LYON –CAEN (G.), « Les fondements historiques et rationnels du droit du travail », Dr. ouvr. 1951, p. 1. ; DOCKES (E.), « Le pouvoir dans les rapports de travail », Dr. soc. 2004, p. 620.

125 L’emploi du terme « neutralisation » se justifie à plusieurs égards. D’abord, le suffixe « tion » désigne un processus et non pas l’effet d’un seul acte. Il évoque l’idée d’une évolution. Ensuite, le choix de ce vocable apparaît pertinent au vu de la désillusion qu’il connote. Le processus amène à annihiler les effets d’une chose, ce qui présuppose que cette chose aurait dû avoir des conséquences importantes dans un milieu donné. Or, c’est précisément le sort que connaît la preuve électronique dans le procès prud’homal. Enfin, l’action de neutraliser suppose une intervention extérieure ce qui met en exergue la place du juge dans l’octroi d’une force argumentative relative à la preuve électronique.

juridique. Il est alors constaté la présence d’un véritable hiatus entre la phase d’administration de la preuve électronique et la phase de jugement.

36.-Méthode de recherche. L’étude par son caractère moderne et évolutif, nécessite le

choix d’une méthode dynamique et réactive fondée sur le suivi attentif de l’évolution des techniques et de l’actualité juridique. L’apparition de nouvelles technologies aux prétoires lors de la réalisation du travail126, les débats sociétaux animés sur le sujet127 exigent une étude du droit positif sans cesse renouvelée et menée sous la forme d’investigations pour démontrer la réalisation de l’hypothèse.

L’étude regroupe l’analyse substantielle des nombreuses décisions de justice, les constatations et les comparaisons avec la réception des autres formes de preuve par les juges du contrat de travail. Les sources primaires telles que la jurisprudence et les lois sont mobilisées. L’étude s’appuie également sur les sources secondaires du droit que représente la doctrine et a nécessité la confrontation des analyses de recherche avec l’avis de praticiens (experts à la Cour, conseillers prud’hommes, Conseillers à la chambre sociale, membres du Conseil Supérieur de la Prud’homie).

L’étendue du travail de recherche et les approches successives adoptées pour traiter le sujet justifient l’ajout d’un sous-titre et le choix du qualificatif « essai ». L’étude est menée avec le parti pris de dépasser les frontières d’un sujet de droit positif classique pour l’enrichir des réflexions théoriques issues des savoirs extérieurs au droit et à la science du droit128. Elle s’alimente aux sources de l’interdisciplinarité, en ce sens qu’elle « prend appui sur une autre discipline de manière à porter un regard différent sur les objets juridiques, sur les impensés de la discipline »129. Cette option scientifique résulte également d’un constat pratique : le droit ne fournit pas l’ensemble des réponses que posent l’étude de la preuve électronique. Aussi, la démarche choisie vise à s’inspirer des avancées des autres disciplines pour résoudre un problème juridique.

126 Sur l’utilisation de la clé USB : Cass. soc. 12 fév. 2013, n° 11-28649. BOSSU (B.), « La consultation par l’employeur de la clé USB du salarié », JCP S, 21 mai 2013, n° 21, p. 23-25.

127 Sur l’emploi en qualité de preuve de la page « Facebook » : CPH Boulogne-Billancourt, 19 nov. 2010, n° 10-00853, D. 2010, p. 2846, note ASTAIX (A.) ; VERKINDT (P.-Y.), « Les ‘amis’ de nos ‘amis’… », La Semaine Juridique Entreprise et Affaires, 2 déc. 2010, N) 48, act. 641.

128 CHAMPEIL-DESPLATS (V.), Méthodologies du droit et des sciences du droit, Dalloz, 2014, n° 564, p. 340-345.

Le choix de solliciter des données et savoirs extérieurs au droit positif exige la plus grande prudence. Il ne s’agit pas de se réapproprier la posture scientifique, la manière de construire l’objet de recherche, la définition des hypothèses ou les instruments d’analyse des disciplines invoquées. Dans le travail de recherche, la posture ainsi que le degré d’engagement adoptés envers une autre discipline tiennent compte du fait qu’il est impossible de maîtriser l’ensemble de ces savoirs. Il s’appuie donc sur les recherches effectuées par des chercheurs spécialistes, notamment en sociologie, philosophie, psychologie et histoire. A titre d’exemple, le travail d’ampleur réalisé par Laurent WILLEMEZ, sociologue du travail qui a regroupé les entretiens d’une centaine de conseillers prud’hommes, a été mis au service de cette recherche130.

En outre, le travail de recherche n’a pas pour ambition de s’ancrer dans le droit comparé de la preuve électronique mais ne peut toutefois, faire l’économie de références à certains concepts élaborés par les législations étrangères. Dans cette optique, il utilise des bribes de pluridisciplinarité et procède dans certains cas à la réappropriation des outils juridiques canadiens.

Section III. Hypothèse : la réponse mitigée du juge du contrat de travail à