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Section II. Les droits et obligations des parties dans l’administration de la preuve électronique

A. Le principe de coopération à la preuve électronique

244.-Le principe de coopération des parties à la preuve se définit comme « la

proposition fondamentale sur laquelle repose l’organisation des rôles processuels »642. Elle conditionne la définition des modes d’action de chaque acteur à la preuve. Ce principe se démarque par sa valeur constitutionnelle et par son appartenance à la catégorie des principes directeurs du procès. Son application justifie la méthode employée dans la construction de la décision du juge en présence d’une preuve électronique et produit inévitablement un résultat sur la répartition des rôles processuels en droit du travail.

1. La nature du principe

245.-Au sens littéral, la coopération traduit l’action d’ « opérer conjointement avec

quelqu’un »643. Empruntée du latin chrétien « cooperatio »644, elle désigne la « part prise à une œuvre commune »645. Ainsi la volonté d’atteindre un intérêt commun est-elle implicitement requise dans la mise en œuvre de cette méthode judiciaire646.

246.-En matière juridique, l’exigence de la coopération s’est construite en droit des

contrats, en réaction à la montée de l’individualisme dans les relations contractuelles647. Définie parmi ses nombreuses significations648, comme « la voie par laquelle les normes de moralisation et de comportement issues de sources diverses pénètrent le contrat pour le dynamiser et le revitaliser »649, cette méthode juridique de répartition des rôles s’est largement développée en dehors du contrat, principalement dans les prétoires. La

642 CADIET (L.), JEULAND (E.), Droit judiciaire privé, Droit judiciaire privé, LexisNexis, 7e éd., 2011, n° 523, p. 387.

643 LITTRE (E.), Dictionnaire de la langue française, Encyclopaedia Britannica, Paris, 1987.

644 GAFFIOT (F.), Le Gaffiot Dictionnaire Latin-français, Paris, Hachette, nouvelle éd., 2000.

645 Académie française, DRUON (M.), Dictionnaire de l’Académie française, 9e éd. Fayard, Paris, 2005.

646 C’est pourquoi le professeur S. GUINCHARD distingue le principe de coopération du principe du dialogue entre les parties et le juge qui ne tend pas forcément à la réalisation d’un objectif commun : GUINCHARD (S.), BANDRAC (M.), LAGARDE ( X.), DOUCHY (M.), Droit processuel-Droit commun du procès, Dalloz, éd, 2001, n° 546, p.649.

647 DEMOGUE (R.), Traité des obligations en général, T. IV « Sources des obligations », Paris, Rousseau, 1924, n°3, p. 9 : chaque partie « doit travailler dans un but commun qui est a somme des buts individuels poursuivis par chacun ».

648 V. pour une étude conceptuelle et étymologique plus approfondie de la coopération : DIESSE (F.), Le devoir de coopération dans le contrat, Thèse soutenue à l’Université de Lille II, 1998.

649 DIESSE (F.), « Le devoir de coopération comme principe directeur du contrat », APD, 1999, n° 43, p. 259-302, article rédigé à partir de la thèse de DIESSE (F.), Le devoir de coopération dans le contrat, thèse soutenue à l’Université de Lille II, 1998.

coopération des parties et du juge dans l’administration judiciaire de la preuve650, s’entend plus particulièrement de la manière dont les moyens de preuve admissibles doivent être mis en œuvre, au cours de l’instance par chacun des acteurs juridiques et ce, dans un souci d’efficacité. Pour les parties, il s’agirait non pas de faire valoir leurs intérêts respectifs mais d’approcher au maximum l’objectif de vérité du procès651, au sens de l’« aptitude technique du droit, à travers les preuves, à tendre vers la vérité »652. Au procès, la collaboration des parties à la preuve relève de l’adhésion des parties à l’œuvre de justice. Le droit communautaire et le droit français s’accordent à dire que ce devoir de coopération porte sur chacune d’elles et ce, qu’elles supportent ou non la charge de la preuve653.

247.-La détermination de la nature du devoir de coopération n’emporte pas

l’unanimité dans la doctrine654. De manière marginale, certains auteurs définissent ce devoir comme une « responsabilité probatoire »655. Assurément, il lui est reconnu une valeur constitutionnelle. Le Conseil Constitutionnel, dans le considérant 8 de sa décision en date du 13 mai 2011656, met en relation directe le principe du contradictoire et le devoir de coopération des parties : « les dispositions contestées n'interdisent ni au partenaire lésé par la pratique restrictive de concurrence d'engager lui-même une action en justice […], ni à l'entreprise poursuivie d'appeler en cause son cocontractant, de le faire entendre ou d'obtenir de lui la production de documents nécessaires à sa défense ; que, par conséquent, elles ne sont pas contraires au principe du contradictoire ». Aussi, le devoir de coopération entretient-il des liens ténus avec le principe d’égalité des armes et le droit à

650 Les auteurs en faveur d’un droit processuel reconnaissent le principe de coopération des parties et du juge à l’œuvre de justice : CADIET (L.), JEULAND (E.), Droit judiciaire privé, Paris, Litec, 7e éd., 2011, n° 523, p. 387-388.

651 Sur la qualité relative de la vérité en droit : PUIGELIER (C.), « Vrai, Véridique et vraisemblable », in La preuve, Paris, Economica, 2004, p. 195 s.; CORNU (G.), « La vérité et le droit », in L’art du droit en quête de sagesse, 1998, p. 211 ; PONSARD (V.), « Vérité et justice (la vérité et le procès) », rapport français, in La vérité et le droit, Trav. Ass. Capitant, Journées canadiennes, T. XXXVIII, 1987, éd. 1989, p. 673 s.; AVELA (C.), « Le droit de la preuve en France », Gaz. Pal., 12 fév. 2012, n° 43-45, p.15-16 ; LE MASSON (J-H.), « La recherche de la vérité dans le procès civil », Droit et Société, 1998, n°38, p. 24 ; « Vérité du terrain, vérité judiciaire : la preuve en droit social », Dr. Ouvr., avr. 2010, p. 165.

652 TERRE (F.), Introduction générale au droit, 8e éd., Dalloz, 2009, n° 563, p. 481.

653 C.E.D.H. 16 mars 1997, n° 21497/93 ; Cass civ 1ère 30 mars 2005, n° 02-20429 : « alors que chaque partie est tenue d’apporter son concours aux mesures d’instruction, sauf au juge à en tirer toute conséquence d’une abstention ou d’un refus sans avoir égard aux règles gouvernant la charge de la preuve ».

654 GUINCHARD (S.), BANDRAC (M.), LAGARDE ( X.), DOUCHY (M.), Droit processuel-Droit commun du procès, Dalloz, éd, 2001, n° 546, p.649.

655 AVELA (C.), « Le droit de la preuve en France », Gaz. Pal. 12 fév. 2012, n° 43-45, p. 15

656 Déc. n° 2011-126 QPC du 13 mai 2011. « Considérant qu’aux termes de l’article 16 de la Déclaration de 1789 ‘Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution’ ; que sont garantis par cette disposition le droit des personnes intéressées à exercer un recours juridictionnel effectif, le droit à un procès équitable, ainsi que le principe du contradictoire ».

un procès équitable de l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme657, sans pour autant se confondre avec le principe du contradictoire658. C’est à ce titre que le devoir de coopération des parties à la preuve a toute légitimité à entrer dans la catégorie des nouveaux principes directeurs du procès659. D’autant que l’inscription de l’article 11660 au Chapitre 1er du Code de procédure civile intitulé « Les principes directeurs du procès » met fin aux doutes subsistant quant à la nature du devoir de coopération à la preuve.

2. La teneur du principe

248.-La coopération des parties à la preuve électronique, appréhendée sous son sens

fonctionnel, se résumerait par la mise en commun des moyens probatoires dont disposent les parties pour servir l’objectif de vérité judiciaire. Les rédacteurs du Code de procédure civile ont assuré la mise en œuvre pratique de ce principe en édictant des dispositions techniques prescrivant aux parties le devoir de collaborer matériellement à la recherche et à la production de la preuve. Selon les articles 132661 et 135662 du Code de procédure civile, la communication des pièces et des preuves doit être spontanée, intégrale, préalable et veiller à ne pas mettre en échec le principe de la contradiction663. Dès lors, le devoir de coopération attribué aux parties semble avoir un contenu variable et contingent.

249.-De manière générale, il engloberait l’ensemble des nouvelles obligations

attribuées aux parties au procès sous l’influence des diverses propositions visant à

657 La Convention européenne est directement applicable dans l’ordre juridique interne et l’article 55 de la Constitution lui confère une autorité supérieure à celle des lois.

658 Le principe du contradictoire est reconnu comme un principe directeur du procès : art. 14 à 17 CPC, il est considéré par le Conseil Constitutionnel comme un corollaire du principe des droits de la défense : dec. n° 89-268 DC du 29 déc. 1989 et dec. n° 99-416 dec. du 23 juil. 1999 et figure parmi les garanties de l’article 6-1 de la CEDH.

659 V. critères de qualification d’un principe directeur du procès : CARBONNIER (J.), Droit civil : introduction, PUF, Paris, 2002, p. 374.; GUINCHARD (S.), « Quels principes directeurs pour les procès de demain ? », in Mélanges J. Van Campernolle, Bruylant, Bruxelles, 2004, p. 201-248, spéc. p. 210.

660 C.P.C. Art. 11 : « Les parties sont tenues d'apporter leur concours aux mesures d'instruction sauf au juge à tirer toute conséquence d'une abstention ou d'un refus. Si une partie détient un élément de preuve, le juge peut, à la requête de l'autre partie, lui enjoindre de le produire, au besoin à peine d'astreinte. Il peut, à la requête de l'une des parties, demander ou ordonner, au besoin sous la même peine, la production de tous documents détenus par des tiers s'il n'existe pas d'empêchement légitime ».

661 « La partie qui fait état d’une pièce s’oblige à la communiquer à toute autre partie à l’instance. La communication doit être spontanée » ; ODENT (B.) et BALAT (J.-C. ), La communication dans le procès, Justice et Cassation, 2006, p. 91 ; Cass. civ. 10 oct. 1990, Gaz. Pal. 1991, somm. 356, obs. CROZE (H.) et MOREL : la pièce doit être communiquée par celui qui fonde sa demande sur elle, alors même qu’elle émane de l’autre partie.

662« Le juge peut écarter du débat les pièces qui n’ont pas été communiquées en temps utile ».

améliorer la qualité et la célérité de la procédure civile contemporaine664. L’introduction de nouveaux principes procéduraux, sur la dynamique du Professeur GUINCHARD665, tels que le principe de concentration qui « impose une obligation supplémentaire aux parties, celle de présenter toutes leurs demandes au seuil de l’instance [ou plus largement lors de la première procédure], sans possibilité d’en ajouter par la suite »666, enrichit de manière non négligeable les devoirs des parties. Le principe de coopération des parties à l’œuvre de justice serait de ce fait directement lié à la modernisation du procès et aux instruments procéduraux qu’offre l’installation des TIC dans les prétoires.

250.-Le principe de coopération désignerait, dans une conception plus restrictive, les

actes matériels que doivent réaliser les parties pour mener à bien l’instance, le lien juridique d’instance prenant « naissance avec la demande et se termin[ant] avec le jugement »667. Aussi, comme tout « rapport de droit »668, il est générateur de charges et d’obligations pour les parties, lesquelles sont tenues d’accomplir les actes de procédure et plus particulièrement les opérations nécessaires à l’administration de la preuve, dans « les formes et les délais requis »669. Ces exigences émises quant à l’administration de la preuve « s’analysent en des charges et devoirs de nature fonctionnelle »670 qui se trouvent alourdies par l’apparition aux prétoires des Technologies de l’Information et de la Communication. Le détachement de la preuve de tout support matériel favorise en effet la réalisation rapide et efficace des actes matériels qui orchestrent la communication des éléments de preuve.

664 AMRANI-MEKKI (S.), « L’avenir du nouveau Code de procédure civile », in De la commémoration d’un Code à l’autre, 200 ans de procédure civile en France, L. CADIET et G. CANIVET(dir.), Litec, Paris, 2006, p. 241-259.

665 Le Professeur S. GUINCHARD a été auditionné par la Mission Magendie, le 28 janvier 2008 : MAGENDIE (J.-C.), Rapport au Garde des Sceaux, Célérité et qualité de la justice- La gestion du temps dans le procès, Paris, La documentation française, Paris, 2004, p. 52 ; GUINCHARD (S.), « Quels principes directeurs pour les procès de demain ? », in Mélange J. Van Compernolle, Bruylant, Bruxelles, 2004, p. 201-248 ; GUINCHARD (S.) et alii., Droit processuel. Droit commun et droit comparé du procès équitable, Dalloz, Paris, 2009, p. 31. GUINCHARD (S.) et alii.,, Droit processuel : droits fondamentaux du procès, Dalloz, Paris, 2013.

666 AMRANI-MEKKI (S.), op. cit., p. 252.

667 SOLUS (H.), PERROT (R.), Droit judiciaire privé, T. III, Sirey, Paris, 1991.

668 SOLUS (H.), PERROT (R.), Ibid.

669 C.P.C. art. 2.