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Section I. La répartition de la charge de la preuve électronique

A. Les dérogations à l’attribution du risque de la preuve en droit du travail

218.-Au regard de sa qualité quasi-systématique de demandeur, le salarié à qui il

incomberait de prouver les faits, supporterait aussi selon le droit commun le risque de la preuve, autrement désigné comme le « risque du doute »585 . Il verrait, en cas d’incertitude des juges, rejeter sa requête au bénéfice de l’employeur. Le législateur et la jurisprudence ont suivi une logique double pour rééquilibrer l’inégalité probatoire initiale occasionnée par le contrat de travail : ils ont d’abord attribué expressément le risque de la preuve à l’employeur lorsque le doute subsiste ; puis ont créé de nouveaux mécanismes de facilitation probatoire au bénéfice du salarié.

1. L’attribution du risque de la preuve à l’employeur

219.-Celui qui détient la charge de la preuve n’est pas celui qui supporte le risque de la

preuve dans le contentieux du contrat de travail. Selon l’article L 1235-1 du Code du travail portant sur la preuve des contestations et sanctions des irrégularités du licenciement : « si un doute subsiste, il profite au salarié ». Le risque probatoire qui incombe à l’employeur est donc intimement lié à la présence d’un doute dans l’esprit du juge.

220.-Le risque de la preuve dans le contentieux du licenciement. Le principe

d’attribution du risque à l’employeur a été confirmé par la jurisprudence586. Il ne fait dès lors plus figure d’exception puisqu’il s’applique au contentieux majoritaire des relations de travail, à savoir le contentieux du licenciement. S’il a été démontré plus avant que la charge de la preuve n’incombe pas particulièrement à l’une ou l’autre des parties587, le risque lui, n’est imputable qu’à l’employeur. La chambre sociale rappelle avec insistance qu’il appartient à l’employeur d’alléguer les faits sur lesquels il fonde le licenciement588 et que les simples soupçons doivent être rejetés par les juges du fond pour qualifier le

585 CESARO (J.-F.), Le doute en droit privé, LGDJ, 2003; LEGEAIS (R.), Les règles de preuve en droit civil : permanences et transformations, Thèse soutenue à Poitiers, 1954,p. 101.

586 Cass. soc. 16 juin 1993, D. 1993, IR 174 ; Cass. soc. 30 juin 1993, n°91-43426.

587 Cass. soc. 11 déc. 1997, n° 96-42045 ; Bull civ. V., n° 436; RJS 1999, p. 28, n° 21.

licenciement589. Aussi, l’issue du litige en droit du travail dépend essentiellement de l’ « aptitude de l’employeur à établir le caractère raisonnable de sa décision »590. A défaut, il perd le procès.

L’attribution du risque de la preuve à l’employeur suit une double finalité : encourager l’action en justice du salarié et assurer la protection de la partie faible au contrat591.

221.-Le poids du doute. Le poids du doute pèse également sur l’employeur. Cette

disposition légale signifie que « l’absence de doute chasse le risque »592. A contrario, s’il a le moindre doute, l’employeur en supporte l’intégralité des conséquences. En théorie ce mécanisme revient à dire que le juge « retient une proposition qui sera tenue pour vraie tant que la proposition contraire n’aura pas été établie »593.

Dans une affaire en date du 7 juin 2011, un salarié avait été licencié pour faute grave pour avoir envoyé un courrier électronique au président du conseil de surveillance, « dont le contenu [était] particulièrement choquant » et « caractérisait une attitude indigne et déloyale », alors qu’il était en congé maladie. La cour d’appel de Limoges a estimé que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse. Un doute subsistait sur l’intention prêtée au salarié, car ce mail pouvait très bien constituer « une manifestation de désarroi d’un salarié en état dépressif »594.

2. Les mécanismes de facilitation probatoire

222.-Les mécanismes de facilitation probatoire s’adressent aussi bien au salarié

lui-même qu’aux personnes qui entourent la relation contractuelle et peuvent servir par leurs témoignages la vérité judiciaire.

223.-L’autorisation de la subtilisation de document. Elle consiste à réduire au silence

l’obligation de loyauté contractuelle du salarié s’il remplit certaines conditions. L’inaptitude probatoire du salarié se répercute sur les transgressions au contrat de travail

589 Cass. soc. 6 oct. 1999, RJS 1999, 834, n°1355

590 Pour une étude plus étayée de la charge de la preuve : TERROUX-SFAR (F.), Les règles de preuve et les évolutions du droit du travail, Thèse soutenue à l’Université Paris X Ouest-Nanterre, 27 janv. 2012.

591 MEKKI (M.), loc. cit.

592 MEKKI (M.), « Réflexions sur le risque de la preuve en droit des contrats (1ère partie) », RDC 2008, p. 681-701

593 CHEVALIER (J.), Cours de droit civil approfondi. La charge de la preuve, cité par M. Mekki, op. cit.

qui lui sont permises. Par exception à l’obligation de loyauté dans l’exécution de son contrat de travail595, le salarié peut produire en justice, lorsque cela est strictement nécessaire à l’exercice de ses droits dans le procès qui l’oppose à son employeur, les documents de l’entreprise dont il a connaissance à l’occasion de l’exercice de ses fonctions596 et à condition que cette utilisation ne porte pas préjudice à l’entreprise597. Cette dérogation au droit commun n’a pas toujours été reconnue par l’ensemble des systèmes procéduraux.

224.-Les chambres sociale et criminelle de la Cour de cassation ont longtemps eu des

avis divergents quant à la possibilité pour le salarié de subtiliser des documents de l’entreprise pour les produire à son procès598. La chambre sociale a d’abord admis dans un arrêt du 2 décembre 1998, au visa de l’article 1315 du Code civil, que « le salarié peut produire en justice, pour assurer sa défense dans le procès qui l’oppose à son employeur, les documents de l’entreprise dont il a connaissance à l’occasion de l’exercice de ses fonctions »599. La subtilisation de document par le salarié ne constituait pas selon le juge, un procédé déloyal et ne rendait donc pas la preuve irrecevable sous réserve qu’il en ait eu « connaissance à l’occasion de l’exercice de ses fonctions » ou qu’il s’agissait d’« informations dont les membres du personnel ont normalement connaissance » et qu’elles lui soient « strictement nécessaires à l’exercice des droits de sa défense ». La chambre criminelle se refusait à rejoindre cet avis en réaffirmant de manière constante que se rendait coupable de vol, délit défini à l’article 311-1 du Code pénal, « un présupposé qui, détenant matériellement certains documents appartenant à son employeur, en prend, à des fins personnelles, à l’insu et contre le gré du propriétaire, des photocopies et qui ainsi appréhende frauduleusement ces documents pendant le temps nécessaire à leur reproduction »600.

225.-Deux arrêts de la chambre criminelle en date du 11 mai 2004 mettent fin à cette

querelle. Afin d’éviter que le salarié soit « tiraillé entre le désir de gagner son procès

595 C. civ. art. 1134. En vertu de son obligation de loyauté dans l’exécution du contrat de travail, le salarié ne pourrait photocopier des documents de l’entreprise ou subtiliser des informations nécessaires au succès de ses prétentions : Cass. soc. 11 février 1981, Bull. civ. V., n° 121, p. 91.

596 Cass. soc. 30 juin 2004, JCP 2005, I, 122, n° 16, obs. PELISSIER (A.); D. 2004, obs. ROUJOU DE BOUBEE (G.).

597 Cass. soc. 19 juin 2008, JCP 2008, I, 2006, n° 16, obs. AMRANI-MEKKI (S.).

598 CORRIGNAN-CARSIN (D.), « La preuve à l’insu de…une logique de Chambres ? », in Le droit pénal à l’aube du troisième millénaire, Mélange I. Pradel, Cujas, 2006, p. 291-315.

prud’homal et la crainte d’être poursuivi et condamné pénalement »601, la chambre criminelle a opéré un revirement de jurisprudence. Cette nouvelle position assure l’harmonisation des décisions de jurisprudence en la matière et assure l’effectivité de la protection accordée au salarié. Poursuivant ces mêmes objectifs, la chambre sociale s’est alignée sur les propos de la chambre criminelle en faisant preuve de plus de sévérité dans son célèbre arrêt du 30 juin 2004. Désormais, « un salarié, lorsque cela est strictement nécessaire à l’exercice des droits de sa défense dans le litige l’opposant à son employeur, peut produire en justice des documents dont il a eu connaissance à l’occasion de ses fonctions »602. La jurisprudence a ainsi procédé à la consécration de la subtilisation de documents par le salarié tout en l’encadrant de manière plus stricte. Le cadre de cette facilitation probatoire au bénéfice du salarié est en effet respecté scrupuleusement par les juges qui n’hésitent pas à qualifier de vol, le comportement d’un salarié ne remplissant pas les conditions limitées de dérogation. A titre d’exemple, la chambre criminelle a confirmé l’arrêt de la cour d’appel ayant qualifié de vol, le fait pour un salarié de produire devant les services de gendarmerie la photocopie de lettres de voiture appartenant à l’employeur et démontrant les carences de l’entreprise de transport dans la protection des marchandises confiées par les clients603. L’employeur avait dans cette affaire porté plainte pour diffamation. La Haute juridiction de retenir, comme la cour d’appel, que le prévenu « a remis les photocopies litigieuses, non pour assurer sa défense dans un litige prud’homal, mais lors de son audition par les gendarmes sur la plainte déposée contre lui pour diffamation par la société de transport […] pour tenter de prouver la vérité des faits qu’il avait imputés à l’employeur ». Dès lors, « la nature du litige à l’origine de la production des documents prévaut sur la simple qualité [de salarié] du prévenu ou de la victime »604 et l’autorisation de subtilisation de documents ne peut être interprétée comme une totale liberté mais uniquement comme un processus de facilitation probatoire strictement conditionné à l’existence d’un litige entre les parties au contrat de travail.

600 Cass. crim 8 janv. 1979, Bull. crim. n° 13, Gaz. Pal. 1979, 2, p. 501.

601 Cass. crim. 16 mars 1999, JCP 1999, II, 10166, note BOURETZ (S.).

602 Cass. crim. 30 juin 2004, Bull civ. V 2004, n° 187, note DUQUESNE (F.), Dr. soc. 2004, p. 938 ; BONFILS (P.), Dr. et Pat. déc. 2004, p. 81 ; RADE (Ch.), Lexbase hebdo éd. soc. 17 juin 2004, n° 125 ; GIRAULT (C.), JCP E, 2004, 1449 ; BOULMIER (D.), JSL 2004, n° 157, p. 4.

603 Cass. crim. 9 juin 2009, n°08-86843, note BUGADA (A.), Sem. jur. soc. n°40, 29 sept. 2009, 1447.

604 BUGADA (A.), « Production de photocopies hors litige prud’homal : le vol est caractérisé », Sem. jur. soc. n° 40, 29 sept. 2009, 1447

226.-La protection des témoins. La preuve est également facilitée par la protection accordée au salarié qui témoigne d’un agissement discriminatoire605. L’article L. 1152-2 du Code du travail et l’article 3 de la loi du 27 mai 2008606 mettent en place le régime d’immunité du témoin de ce type d’agissements. Toute disposition, sanction ou mesure discriminatoire prise envers lui, serait frappée de nullité607.

La jurisprudence s’attache à déclarer nul de plein droit, le licenciement d’un salarié ayant relaté des faits de harcèlement moral, sous couvert de sa bonne foi608. Pour exemple, dans une affaire portée devant la chambre sociale le 13 juillet 2010, le licenciement pour faute grave d’un salarié ayant « mis gravement en cause l’employeur en l’accusant de harcèlement moral à l’endroit de sa collègue de travail » avait été déclaré recevable par la cour d’appel. La Haute de juridiction casse la décision des juges du fond et rappelle que « le grief tiré de la relation des agissements de harcèlement moral par le salarié, dont la mauvaise foi n’était pas établie, emportait à lui seul la nullité de plein droit du licenciement ».