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Section I. Le cadre juridique de la preuve moderne en général

A. Les recommandations et interventions européennes

124.-La preuve sur support électronique s’incorpore dans « un cadre de pensée

construit en dehors d’elle »320, largement influencé par une dynamique communautaire. D’autant que l’utilisation des TIC au service du procès n’est certainement pas à l’origine, et cela a été démontré, une préoccupation nationale.

L’importance des desiderata de l’Union européenne, en matière de preuve électronique, se mesure non seulement au nombre de textes émis par le Conseil et le Parlement européen et relatifs à l’élaboration d’un cadre juridique de la société d’information, mais encore à l’étendue du domaine que ces textes ont vocation à régir. Nombreux sont ceux visant à réglementer directement ou indirectement l’utilisation des technologies en qualité d’éléments probatoires. Aussi semble-t-il profitable pour l’étude, d’exclure toute lecture exhaustive de ces derniers et de limiter l’analyse à la mise en lumière des évolutions juridiques les plus significatives.

125.-Les directives de l’Union européenne. Parmi les instruments recensés, les

directives sont les actes normatifs des institutions de l’Union européenne par excellence. Pourvues d’un caractère impératif, elles posent des objectifs clairs à atteindre aux Etats membres et exigent d’être transposées dans le droit national au délai fixé. En matière de preuve électronique, ces textes ont une importance notoire car ils posent les jalons d’une ligne de conduite que maintiendront l’ensemble des textes dotés ou non de force contraignante.

Les directives 95/46/CE du 24 octobre 1995 relatives à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données et 97/66/CE du 15 décembre 1997 concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des télécommunications, mettent en place un cadre juridique communautaire

dans le domaine des données à caractère personnel321. Le secret des communications

est garanti par l’article 5 de la directive de 1997 qui énonce que « les Etats membres doivent interdire tout type d’interception illicite ou la surveillance de telles communications par d’autres que les expéditeurs et les récepteurs ».

320 CADIET (L.), « Le procès civil à l'épreuve des nouvelles technologies : Rapport de synthèse », Procédures, 1er av. 2010, n° 4, p. 40-45.

La directive 1999/93/CE du Parlement européen et du Conseil, en date du 13 décembre 1999, sur un cadre communautaire pour les signatures électroniques, se conçoit comme la genèse de l’encadrement juridique de la preuve électronique. Relevant l’entrave au commerce électronique que crée la divergence des systèmes juridiques des Etats membres en matière de reconnaissance juridique des signatures électroniques et d’accréditation des prestataires de service de certification, le Parlement y préconise « l'établissement d'un cadre communautaire clair concernant les conditions applicables aux signatures électroniques ». Celui-ci « contribuera à renforcer la confiance dans les nouvelles technologies et à en favoriser l'acceptation générale; la diversité des législations des États membres ne saurait entraver la libre circulation des marchandises et des services dans le marché intérieur »322. Pour ce faire, la directive met en place une « interopérabilité des produits de la signature électronique ». Elle reconnaît juridiquement la signature électronique puis crée un cadre légal pour l’activité des prestataires de service de certification.323

Ces directives ont soulevé différents types d’obstacles juridiques : « la divergence des législations ainsi que l’insécurité juridique des régimes nationaux applicables à ces services »324. Remédiant à ces difficultés, le pouvoir légiférant a entendu éliminer les disparités dans la jurisprudence des Etats membres et opérer, dans le respect du principe de subsidiarité, une harmonisation des législations en matière d’échanges électroniques par l’adoption de la directive du 8 juin 2000 « relative à certains aspects juridiques du commerce électronique dans le marché commun »325. Ce texte définit le cadre juridique de référence pour le développement des services en ligne326 et se fixe pour objectif de « contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur en assurant la libre circulation des services de la société d’information »327, tout en maintenant un haut niveau de protection des

322Ibid.

323 Arr. du 31 mai 2002 relatif à la reconnaissance de la qualification des prestataires de certification électronique et à l`accréditation des organismes chargés de l`évaluation, JO, 8 juin 2002 ; D. nº 2002-997 du 16 juillet 2002 relatif à l`obligation mise à la charge des fournisseurs de prestations de cryptologie en application de l`article 11-1 de la L nº 91-646 du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des télécommunications et abrogée le 1er mai 2012.

324 « Introduction » : Dir. 2000/31/CE du 8 juin 2000, JO n° L013 du 19 janv. 2000 p. 12.

325 Dir. 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil sur le commerce électronique du 8 juin 2000, JO des Communautés européennes 17 juil. 2000.

326 STROWEL (A.), IDE (N.), VERHOESTRAETE (F.), « La directive du 8 juin 2000 sur le commerce électronique : un cadre juridique pour l’Internet », Journal des Tribunaux, 17 février 2001, n° 6000, p. 133-145.

327 Art. 1 Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil sur le commerce électronique du 8 juin 2000, JO des Communautés européennes, 17 juil. 2000.

consommateurs par des mesures d’assistance et d’information. La Directive a pour principale finalité de garantir « la sécurité juridique et la confiance du consommateur »328, par la mise en place de mécanismes électroniques sécurisés visant à strictement encadrer le contrat électronique et les obligations contractuelles qui en découlent329. Nonobstant l’étendue de son application à divers contrats, le texte de la directive exclut expressément le contrat de travail de son champ d’application330. A contrario, les autres textes cités s’appliquent à la relation de travail et s’instituent comme un guide de conduite processuel pour le juge du contrat de travail.

126.-Les recommandations de l’Union européenne. Elles ont un effet indirect sur la

construction de la décision du juge. Bien qu’elles se définissent négativement, par leur absence de force obligatoire - « Tout au plus accepte-t-on de lui reconnaître une valeur politique, ou même simplement morale »331 - elles auraient des effets significatifs sur le droit de la preuve électronique. La consultation, parce qu’elle entraîne à 90% la rédaction d’une directive européenne, s’avère également être une source potentielle du droit de la preuve électronique.

Pour exemple, les principes de proportionnalité et d’information du salarié sur l’installation d’un dispositif de surveillance ainsi que l’exigence de loyauté dans la recherche de la preuve ont été créés au plan européen. En 1989, la recommandation sur la protection des données à caractère personnel utilisées à des fins d’emploi incitait déjà les employeurs, à « informer ou consulter leurs employés ou les représentants de ceux-ci préalablement à l’introduction ou à la modification de systèmes automatisés pour la collecte et l’utilisation de données à caractère personnel concernant les employés »332.

Par la négociation de nouvelles recommandations, l’Union européenne est sans cesse force de proposition et de modernisation dans le domaine des TIC. Pour exemple, la recommandation du 19 septembre 2003 sur l'archivage des documents électroniques

328 Art. 1, point 7, Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil sur le commerce électronique du 8 juin 2000, JO des Communautés européennes, 17 juil. 2000.

329Le contrat électronique, Travaux de l’Association Capitant, éd. Panthéon-Assas, 2002.

330 Considération 18 de la Directive : « La relation contractuelle entre un employé et son employeur n’est pas un service de la société de l’information »

331 VIRALLY (M.), La pensée juridique, LGDJ, Paris, 1960, p. 44 ; « La valeur juridique des recommandations des organisations internationales », Annuaire français de droit international, Vol. 2, 1956, p. 66-96 ; SIBERT (M.), Traité de droit international public, Paris, 1951, Vol. I., p. 775 ; BRUGIERE (P. F.), Les pouvoirs de l’Assemblée générale des Nations Unies, A. Pedone, Paris, 1955, p. 225.

dans le secteur juridique333, indique que « le nombre croissant des utilisateurs d'ordinateurs et des communications électroniques, la numérisation de l'enregistrement du son et de la vidéo, et l'introduction de systèmes informatiques plus puissants ne manqueront pas d'accroître l'utilisation des documents électroniques dans le secteur juridique » et « qu’un nombre croissant de documents juridiques seront produits sous forme électronique conformément à la législation sur la signature électronique » nécessitent de trouver « des solutions appropriées pour l'archivage des documents électroniques dans le secteur juridique ». Pour cela elle conseille aux Etats, tout en leur apportant des solutions techniques, d’archiver les documents électroniques de manière à préserver leur intégrité, leur authentification,

leur fiabilité et leur confidentialité, d’assurer leur lisibilité et leur accessibilité dans le temps et de définir les conditions d’archivage. Pour remplir ces fonctions, les archivistes se voient conférer une place de choix (ils procèdent au calibrage du délai de conservation et de communicabilité au public, au décryptage, etc.).

127.-Dès lors, le droit interne de la preuve électronique n’est jamais figé, il est en

perpétuelle mutation sous l’influence de l’Europe. En attestent encore, la future révision de la directive sur les signatures électroniques et la préparation d'une initiative sur la reconnaissance mutuelle de l'identification et de l'authentification électroniques. La Commission européenne a en effet clôturé le 15 avril 2011, une consultation publique sur les signatures et l’identification électronique. Ces documents augurent la mise au point de nouveaux systèmes d'identification et d'authentification des signatures en ligne, en remplacement, par exemple, de l'infrastructure à clés publiques (PKI) actuellement utilisée pour gérer facilement les signatures électroniques, ou des cartes d'identité électroniques. La Commission soutient aussi un projet pilote à grande échelle baptisé «STORK» (« Secure idenTity acrOss boRders linKed »), qui « vise à permettre aux citoyens de l'UE de prouver leur identité et d'utiliser des systèmes nationaux d'identité électronique (mots de passe,

332 Art. 3 Recommandation n° R(89) du comité des ministres du Conseils de l’Europe aux Etats membres. En ligne : [http://www.coe.int/t/dghl/standardsetting/dataprotection/EM/EM_Rec(89)2_FR.pdf], consulté le 14 mai 2012.

333 Rec(2003)15 adoptée par le Comité des Ministres des Etats membres le 9 septembre 2003. En ligne : [https://edoc.coe.int/fr/], consulté le 14 mai 2012.

cartes d'identité, téléphones mobiles…) dans l'ensemble de l'Union, et non plus uniquement dans leur pays d'origine »334.