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Section II. Les droits et obligations des parties dans l’administration de la preuve électronique

A. Les conventions sur la preuve électronique

261.-La convention sur la preuve se définit comme une prérogative offerte aux parties

de déterminer dans l’acte juridique qu’elles signent les moyens probatoires et l’ordre de la preuve qui semblent les plus adaptés au bon déroulement de leur relation contractuelle. Cette pratique s’approcherait de la théorie civiliste de la solidarité contractuelle du début du XXème siècle prônant l’association et la coopération entre les parties695, et serait admise par la doctrine depuis cette époque696.

693 TERRE (F.), « Lettres à un jeune juriste in Le droit privé français à la fin du XXe siècle », inétudes offertes à P. CATALA, Paris, Litec, 2001, p. 989- 1002. Cette possibilité est également motivée par les enjeux économiques que les banques ont su mettre en avant.

694 LEGEAIS (R.), thèse op. cit., p. 132.

695Gaz. Pal. 20 juil. 2000, n° 202, p. 4, note MARTIN (S.), TESSALONIKOS (A.).

696 BARTIN (E.), Notes sur la preuve in Traité d’AUBRY et RAU, 5e éd., T. XII, 1922, § 749, note 20 bis, p. 84 et 91; LE BALLE (R.), Des conventions sur les procédés de preuve en droit civil, Dalloz, Paris, 1923.

Toutefois, si la plupart des possibilités issues de l’appropriation de la technologie par le droit commun sont transposables en droit du travail, toutes ne le servent pas. Elles peuvent parfois contrevenir à l’objectif même d’équilibre probatoire dans la relation contractuelle. A titre d’exemple, la convention sur la preuve, confortée par la législation sur la preuve électronique, se révèlerait inadaptée à la relation de travail. Le lien intellectuel entre l’acte et la signature, nécessaire à sa conclusion, serait mis en doute par l’inégalité des parties au contrat de travail.

1. La transposition des conventions sur la preuve électronique en droit du travail

262.-Le développement des TIC en droit processuel a concouru à la promotion de la

signature entre les parties de conventions sur la preuve697. La loi du 13 mars 2000 consacre la validité de ce type d’accord et l’insère dans le Code civil à l’article 1316-2 : « lorsque la loi n’a pas fixé d’autres principes, et à défaut de convention valable entre les parties, le juge règle les conflits de preuve littérale en déterminant par tous moyens le titre le plus vraisemblable, quel qu’en soit le support ».698. Ce texte entérine la célèbre jurisprudence « Crédicas »699 en admettant que les parties puissent en toute légalité opérer un renversement de la charge de la preuve ou l’aménagement des dispositions relatives à la preuve dans un acte juridique. La Cour de cassation a d’abord consacré la validité de cette forme de convention insérée dans les contrats porteurs, conclus entre les établissements de crédit et les utilisateurs de cartes de paiement. Elle visait à admettre que la composition du « code PIN » de la carte bancaire vaut signature et « fait preuve de l’ordre de paiement donné au banquier »700.

263.-La pratique des conventions sur la preuve ou de l’insertion de clauses dans des

documents contractuels a vocation à s’étendre, en raison de la profusion des moyens

697 Il est prévu que ce type de convention fera l’objet d’une réflexion dans le cadre de la réforme du droit des obligations.

698« Lorsque la loi n’a pas fixé d’autres principes, et à défaut de convention valable entre les parties, le juge règle les conflits de preuve littérale en déterminant par tous moyens le titre le plus vraisemblable, quel qu’en soit le support ».

699 Selon la Cour d’appel de Montpellier dans son arrêt en date du 9 avril 1987 : « la société Crédicas apporte preuve suffisante de ses créances par les enregistrements de la machine qui n’ont été rendus possibles que par l’utilisation simultanée de la carte et du numéro de code secret, alors qu’il n’est allégué par ailleurs aucun dérèglement du système informatique ni perte de son numéro secret par le débiteur ». Cass. civ. 1ère 8 nov. 1989, n° 86-16197; Bull. civ. I, n° 342, note HUET (J.); JCP G 1990, II, 21576.

communicants. Dans une affaire récente opposant une association de défense de consommateurs à un établissement bancaire, la première chambre civile a validé les clauses contractuelles « prévoyant respectivement que les relevés de compte remis ou transmis par voie informatique font preuve des opérations et écritures qu’ils comportent»701.

264.-Cette forme d’accommodement pourrait a priori trouver application en droit du

travail où le modus vivendi est un principe important dans la signature des actes juridiques. De plus, hormis lorsqu’un aménagement de la charge probatoire est prévu par le Code du travail en raison de l’objet de la preuve702, le système probatoire applicable n’est pas d’ordre public703. Les principes de l’autonomie de la volonté et de la liberté des conventions encouragent donc l’aménagement des règles de preuve « inter partes ». Les parties au contrat, pour des soucis d’amélioration du droit probatoire existant et d’appréhension de la nouveauté technologique, collaboreraient et pourraient renoncer à certaines dispositions ou décider de ne se conformer qu’à certaines d’entre elles704. La convention sur la preuve électronique leur permettrait de choisir, lors de la conclusion du contrat de travail, la forme électronique pour l’ensemble des documents avenants.

A titre d’exemple, la charge de la preuve d’un contrat de travail appartient, en application des principes directeurs du procès, à la partie qui invoque l’existence du contrat de travail705. Aussi, c’est communément au salarié d’apporter l’ensemble des éléments susceptibles de caractériser le lien de subordination. En théorie, il serait donc possible de prévoir une clause renversant la charge de la preuve du contrat de travail au détriment de l’employeur. Ce procédé constituerait une aide au salarié, lorsqu’il ignore l’existence ou le

700 HUET (J.), « Aspects juridiques du télépaiement », JCP E n° 39, 25 sept. 1991, I, 3524.

701 Cass. soc. 8 janv. 2009, n°06-17630.

702 Cf. Supra, n° 188 s. Selon l’article L2251-1 du Code du travail, « une convention ou un accord peut comporter des stipulations plus favorables aux salariés que les dispositions légales en vigueur. Ils ne peuvent déroger aux dispositions qui revêtent un caractère d’ordre public ». La Cour de cassation a rappelé que « la circonstance que l’une ou l’autre des parties, mêmes les deux, aient pu manifester l’intention de déroger à une règle d’ordre public est nécessairement sans effet » : Cass. soc. 7 nov. 1995, n°92-44498. A titre d’exemple les règles de preuve en matière de harcèlement et de discrimination sont d’ordre public : Cass. soc. 13 déc. 2007, n°06-44080.

703 Cass. soc. 19 juin 1946, Gaz. Pal. 1947, 2, 84. Dès lors, en matière de preuve sur support électronique, l’ordre public ne s’assimile pas à l’ « ordre public absolu » et n’inhibe pas systématiquement la liberté contractuelle : CANUT (F.), L’ordre public en droit du travail, éd. Bibliothèque de l’Institut André Tunc, Paris, 2007. Sur la complémentarité des règles de preuve du droit civil avec le caractère général d’ordre public des dispositions sociales : « les dispositions législatives et réglementaires régissant la matière étant d’ordre public » : Cass. soc. 16 avr. 1986, n° 84-11975 ; Cass. soc. 12 oct. 2000, n° 98-15831.

704 Pour exemple : Cass. com. 8 nov. 1989, D.1990, 369, note GAVALDA (Ch.) ; somm. 327, obs. HUET (J.) ; JCP 1990, II, 21576, note VIRASSAMY (G.).

lieu de conservation de la preuve électronique ou lorsqu’il désire palier aux refus de témoignage en l’absence d’un statut protecteur de ses collègues témoins. Nul besoin de démontrer que cette hypothèse ne trouvera pas de résonance pratique.

En revanche, parmi les dispositions du Code de procédure civile susceptibles d’être modulées, le choix de la preuve employée pour démontrer l’existence d’un contrat de travail ou pour prouver que l’employeur a bien rempli ses obligations d’information des salariés et des institutions représentatives, tiendrait une place de choix.

2. L’inadéquation des conventions sur la preuve électronique au droit du travail

265.-Parmi la myriade de notions et de concepts fondamentaux du droit commun

qu’elles sollicitent, les TIC interrogent le sens et l’interprétation du concept de consentement. Cette problématique se pose avec d’autant plus d’acuité en droit du travail, que le salarié se place dans une situation contractuelle singulière. La convention sur la preuve électronique pose alors un nouveau défi au droit du travail et met en lumière l’insuffisance du concept de consentement, défini comme « l’acte libre de la pensée par lequel on s’engage entièrement à accepter ou à accomplir quelque chose »706, pour appréhender les évolutions des TIC dans le contentieux du contrat de travail.

266.-La difficulté première est de nature contractuelle. Elle réside dans la situation de

faiblesse dans laquelle le salarié se trouve lorsqu’il donne son consentement. Il est littéralement « démuni » lors de la conclusion du contrat, à savoir privé d’une force spécifique lui permettant de comprendre et de se défendre, face aux arguments économiques de l’employeur. Le paradoxe du contrat de travail fait sens lors de sa signature, puisqu’il traduit la « mise sous contrainte consentie »707 du salarié.

705 Cass. soc. 31 mars 1982, n° 81-40448 ; Cass. soc. 21 juin 1984, n° 82-42409 ; Cass. soc. 17 juill. 1996, n° 93-46766 ; Cass. soc. 18 juin 1997, n° 95-43853 ; Cass. soc. 14 déc. 2011, n° 11-14333.

706 Dictionnaire du CNRTL, en ligne : [www.cnrtl.fr].

707 En ce sens, il faut rappeler que CARBONNIER définit le contrat de travail comme « une aliénation de l’énergie musculaire » : CARBONNIER (J.), Droit civil 1. Introduction. Les personnes, PUF, Paris, 13e éd. 1980, p. 228, n° 48.

A travers le prisme de l’argumentation, l’accord du salarié peut alors s’interpréter comme une action visant à « reprendre à son compte les arguments qu’un autre a fait valoir »708. Le salarié négocierait les arguments fixés au départ par l’employeur, pour les amener au maximum vers ses attentes. Dès lors, aucun élément ne permettrait de conclure que le salarié participe à la « co-élaboration » du projet auquel il adhère. Au mieux offrirait-il un « consentement guidé » 709 lors de son embauche, au pire un « simple assentiment à une formulation toute prête, qu’il n’aurait plus, en fin de compte, qu’à contresigner »710.

267.-Le second écueil porte sur la nature scientifique de l’objet du consentement : la

preuve sur support électronique qui sera employée. La nécessité d’un consentement éclairé, libre et explicite s’avère difficile à atteindre car l’employeur comme le salarié, sont majoritairement des profanes en matière de technologies. En qualité d’ « utilisateurs moyens des outils technologiques »711, ils ne disposent pas des connaissances techniques nécessaires pour comprendre les effets du choix de tel ou tel procédé technique comme moyen de preuve712. Dans un tel cas d’incompétence partagée, la prédominance contractuelle de l’un prendrait le pas sur la volonté de l’autre. Aussi, la théorie des conventions sur la preuve électronique mettrait en exergue les répercussions du déséquilibre contractuel en matière probatoire.

L’exemple de la signature de conventions sur la preuve par SMS et des limites qui lui sont opposées en droit commercial est instructif en droit du travail, celui-ci admettant des similitudes avec cette matière en ce qui concerne le régime de la liberté probatoire et le déséquilibre au contrat713. Lorsqu’une convention relative à l’emploi de moyens technologiques engage un professionnel et un consommateur, le premier doit se soumettre

708 G. CANGUILHEM renvoie à « la nécessité d’un contrôle synthétique en lequel s’exprime une volonté d’indépendance qui dépasse à la fois le droit la science et l’opinion. ‘ Un contrôle philosophique’» : CANGUILHEM (G.) cité par CHAMAYOU (G.), Les corps vils. Expérimenter sur les êtres humains aux XVIII et XIX siècles, La Découverte, Paris, 2008, p. 307.

709 V. sur ce thème l’étude philosophique du consentement, notamment : CANGUILHEM (G.), Le normal et le pathologique, PUF, Paris, 11e éd., 2009 ; FOUCAULT (M.), Dits et Ecrits II, « Structuralisme et poststructuralisme », Gallimard, Paris, « Quarto », 2001, p. 1250-1276 ; LAURENCON (F.), Généalogie et idéologie chez Nietzsche et Foucault : La fabrication du consentement dans les sociétés libérales, thèse ENS Lyon, 2011.

710 CHAMAYOU (G.), Les corps vils. Expérimenter sur les êtres humains aux XVIIIe et XIXe siècles, La Découverte, Paris, 2008, p. 307-309.

711Cf. Partie II. Titre I. Chap. I.

712 TURK (A.), La vie privée en péril, Des citoyens sous contrôle, Odile Jacob, 2011 ; En Angleterre et aux Pays Bas, le consentement est envisagé de manière objective : il existe nul besoin de vérifier la réunion de ses qualités ; CAHEN (M.-I.), « Le consentement sur Internet », Rev. Droit-TIC, 1/03/2004, n° 27, p. 6-9 ; émergence actuellement aussi bien dans la presse spécialiste que non spécialiste V. le site en ligne :

au respect de certaines prescriptions impératives pour garantir l’information du second. Les clauses insérées dans le contrat liant le professionnel au consommateur seront soumises à la règlementation des clauses abusives. Ainsi, pour être valables, les conventions sur la preuve ne doivent pas avantager l'une des parties et ne doivent pas priver l'autre partie de la possibilité de rapporter la preuve contraire714. À titre d'exemple, les conditions générales des contrats de services des opérateurs de téléphonie mobile prévoient couramment que certaines informations sur le contrat peuvent être portées à la connaissance du client par voie de SMS. Le contrat de services doit alors préciser que lorsque l'opérateur « s'engage à contacter le client, il remplit son obligation par écrit ou par téléphone ou en cas d'impossibilité de joindre le client, en laissant un message sur le répondeur de son téléphone mobile ou en lui envoyant un SMS ou un e-mail ». La doctrine spécialisée va jusqu’à proposer, pour plus de clarté, d’insérer dans les contrats liant les professionnels et les consommateurs une clause libellée comme suit : « dans les relations entre les parties, la preuve peut être rapportée par tous moyens, y compris par email ou par SMS »715.

268.-L’inadaptation telle quelle de certains procédés issus du droit commun, comme la

convention sur la preuve électronique, démontre que l’emploi des TIC dans le contentieux du contrat de travail, bien que souhaitable, nécessite la vigilance accrue du législateur et l’attribution au juge du travail de pouvoirs et de compétences techniques suffisants pour juger de leur validité.