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Section II. Le cadre juridique de la preuve moderne en droit du travail

B. Le paradoxe de la lettre recommandée électronique

163.-A côté de la lettre remise en main propre contre décharge, les articles L1232-2 et

L1233-11 du code du travail, autorisent l’emploi de la lettre recommandée pour convoquer

429 Cass. soc. 20 avril 2005, n°03-41802.

430 Ces articles étaient contenus dans l’ancien article L212-4-9 du Code du travail.

431Ibid.

432 RADE (Ch.), « Information des salariés et usage de l’intranet », Lexbase Hebdo, 5 mai 2005 n° 166.

le salarié à l’entretien préalable de licenciement. De même, la notification d’une sanction disciplinaire434 ou d’un licenciement s’effectue par lettre recommandée avec avis de réception435. L’emploi de la lettre recommandée électronique pour remplir ces obligations, provoque des réactions ambivalentes aussi bien chez la doctrine que dans les prétoires. En témoigne l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 12 décembre 2006436 qui fait montre d’une aversion sévère et assumée à l’égard de ce nouveau mode de préconstitution probatoire. La jurisprudence se montre particulièrement frileuse437 quant à l’utilisation de ce type de document et ce, malgré sa consécration par le décret d’application du 2 février 2011 « relatif à l’envoi d’une lettre recommandée par courrier électronique pour la conclusion ou l’exécution d’un contrat »438. La lettre recommandée électronique semble subir le même sort que la télécopie439. Ainsi, nous ne disposons actuellement que d’un nombre d’arrêts non représentatifs du contentieux sur la lettre recommandée électronique440, c’est donc avec précaution que certaines hypothèses, les plus plausibles, pourraient être défendues ; d’autres réfutées.

164.-Le rôle probatoire de la lettre recommandée électronique. La lettre

recommandée représente un pan important du formalisme procédural en droit du travail. La détermination précise de la date de rupture du contrat est en effet, fixée au jour de l’émission de la lettre recommandée441. Elle initie également la date d’appréciation de

434 C. trav. art. R1332-2 : « La sanction prévue à l’article L. 1332-2 fait l’objet d’une décision écrite et motivée. La décision est notifiée au salarié soit par lettre remise contre récépissé, soit par lettre recommandée, dans le délai d’un mois prévu par l’article L. 1332-2 ».

435 C. trav. art. L1232-6 : « Lorsque l'employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec avis de réception. Cette lettre comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur. Elle ne peut être expédiée moins de deux jours ouvrables après la date prévue de l'entretien préalable au licenciement auquel le salarié a été convoqué. Un décret en Conseil d'Etat détermine les modalités d'application du présent article ».

436 C.A Paris, 18 e ch., n°06/00651.

437 Il est édifiant de constater que les juges et la doctrine sont aussi prudents vis-à-vis de ce procédé que les professionnels du droit ne le plébiscitent : BALLET (Ph.), BENSOUSSAN-BRULE (V.), « La lettre recommandée électronique, enfin ? », Gaz. Pal., 22 av. 2011, n° 112-113, p. 9-12 ; CAPRIOLI (E.), « Les lettres recommandées électroniques », Cahiers de droit de l’entreprise, mai 2011, n° 3, p. 68-72 ; RENARD (I.), « Le courrier recommandé électronique : une alternative au recommandé postal ? », JCP E, 19 mai 2011, n°20, p. 9-10.

L’accueil favorable qu’à réservé la profession d’avocat à la lettre recommandée électronique se mesure au regard de l’important contentieux qu’à rapidement fait naître son utilisation entre les membres du Barreau. La Cour de cassation à ce sujet, a été saisie pour avis par le premier président de la CA Amiens en matière de contestation d’honoraires d’avocats sur la recevabilité d’un appel en matière de représentation non obligatoire, régularisé par la lettre recommandée avec accusé de réception électronique revêtue d’une signature numérique : Cass avis, 12 déc. 2011, n°11-00007.

438 D. n° 2011-144, JO 4 févr. 2011, p. 2274.

439 Cass. soc. 13 sept. 2006, n°04-45698 ; Bull. civ. V., n° 267.

440 Cass. avis 12 déc. 2011, n°11-00007 : l’emploi de la lettre recommandée électronique est quasi-inexistant dans les relations entre particuliers. Cass. 26 janv. 2012, n°10-27245.

l’ancienneté du salarié442. La signature de la lettre recommandée présume la réception de cette dernière et entraîne l’inversion de la charge de la preuve. Le rôle fondamental de cette dernière en matière probatoire justifie un contrôle rigoureux du juge.

La lettre recommandée électronique dispose d’intérêts pratiques. A première vue, elle permet pour un moindre coût, de manière simple et accessible d’apporter la preuve de l’envoi, de la réception d’un document et du contenu du document. A travers le prisme procédural, la forme électronique a d’autres avantages : elle réduit les risques de refus ou d’erreur de réception443 et met à mal l’argument selon lequel le salarié aurait changé d’adresse444. Toutefois, le texte de l’article 1369-8 du Code civil appliqué en droit du travail fait naître des exigences supplémentaires à la validité d’une lettre recommandée électronique445. Elle nécessite l’accord du salarié, que celui-ci « ait demandé l’envoi par ce moyen » ou qu’il « ait accepté l’usage au cours d’échanges antérieurs ». Ces exigences sont donc plus sévères qu’en cas d’envoi d’une lettre recommandée papier. Les obligations du tiers acheminant sont également plus strictes que celles qui incombent communément à La Poste446.

165.-Les risques inhérents à la lettre recommandée électronique en droit du travail.

Le Décret de 2011 limite l’application de la lettre électronique aux phases de conclusion ou d’exécution du contrat, créant une incertitude quant au champ d’application exact d’un tel procédé juridique. D’autant que le 11 juin 2013, en réponse à la question d’un député, la Garde des Sceaux a précisé la portée de l’article 1369-8 du code civil : « si la résiliation du contrat par lettre recommandée électronique n’est pas mentionnée de manière expresse dans l’article, une telle modalité pourrait être envisagée dès lors que la résiliation, qui permet à l’une des parties de mettre fin à un contrat, notamment lorsque l’autre partie n’exécute pas ses obligations, est une modalité relative à l’exécution du contrat »447.

Or, en droit du travail, la frontière entre la phase d’exécution et de rupture du contrat de travail est parfois difficile à tracer. Si l’exécution du contrat de travail s’étend assurément aux domaines les plus divers comme le repos hebdomadaire, les

442 Cass. soc 26 sept 2006, n° 05-43841

443 Cass. 23 juil. 1980, Bull. civ. V, n° 695.

444 Cass. soc. 26 fév. 1992, RJS 1992.270, n°471.

445 RUDIER (N.), « Variations de la force probatoire de la lettre recommandée », Revue juridique de l’Ouest, oct. 2011, n° 4, p. 417-448.

446 Pour les exigences procédurales strictes en matière de lettre recommandée électronique V. Contrat de travail -L’envoi du contrat en lettre recommandée électronique est désormais possible, Liaisons Sociales Quotidien, 11/02/2011

447 « Panorama d’actualité en droit des nouvelles technologies du cabinet FERAL-SCHUHL/ SAINTE MARIE, Société avocat », Lexbase Hebdo éd. Affaires, 18 juil. 2013, n° 347.

salaires, le temps de travail ou les conditions de travail, d’autres matières liées à la relation de travail sont plus difficiles à qualifier. A titre d’exemple, la question de la classification de la modification du contrat de travail dans la phase d’exécution du contrat ou de résiliation du contrat reste entière. Si l’on interprète strictement les textes, la lettre recommandée électronique évoquant simplement la possibilité d’une modification du contrat de travail serait valable, tandis que la lettre de licenciement suivant un refus de modification ne le serait pas. Cette situation, en obligeant les parties à changer de support selon le type d’information concerné, risquerait d’entraîner une rupture dans la chaîne d’informations.

166.-De plus, si la résiliation du contrat de travail semble exclure l’utilisation de ce

type d’écrit électronique, « caractérisant une volonté de ne pas ouvrir la procédure de rupture du contrat à de nouvelles formes pourtant omniprésentes dans les relations de travail aujourd’hui »448, il doit être signalé que le juge a admis récemment que la convocation à l’entretien préalable puisse se faire par Chronopost449, sous réserve qu’il ait lieu avec décharge signée par le salarié contre remise en main propre du facteur. Dans cette espèce, deux éléments laissent prévoir une extension du champ d’application de la lettre recommandée électronique à la rupture du contrat. D’abord, l’interprétation de l’article L1232-2 du Code du travail par la Haute juridiction se révèle extensive. Elle rappelle que ce « mode de convocation n’est qu’un moyen légal de prévenir toute contestation sur la date de réception de la convocation ». Suivant ce raisonnement, tout procédé dont la fonction assure avec certitude la date d’expédition et de réception de la lettre, pourrait être reçu. Ensuite, la notion de « remise en main propre de la convocation par l’employeur »450

semble avoir été étirée pour finalement englober la remise de la lettre par une personne extérieure de l'entreprise. Accepter la lettre recommandée électronique ne constituerait qu’un pas de plus vers la rupture du lien réel451.

448 TOURNAUX (S.), « Régularité de la convocation à l’entretien préalable de licenciement par Chronopost », Lexbase hebdoéd sociale, 24 fév. 2011, n° 429.

449 Cass soc 8 février 2011, n°09-40.027 note BUGADA (A.), Procédures, n°4, av. 2011, comm. 142.

450Ibid.

451 La cour d’appel de Reims dans un arrêt en date du 29 sept. 2010 suit le même raisonnement. Elle a considéré que « le document écrit énonçant les motifs de la rupture qui doit être adressé au salarié ne peut être un courrier électronique et doit nécessairement être un courrier papier ». Cass. 26 janv. 2012, n°10-27245.

167.-La légitimité du refus par le système français d’employer la lettre électronique ou le SMS recommandés452 comme lettre de licenciement répondant aux exigences formelles de l’article L1232-2 du code du travail453 a été discutée. Force est de constater que l’emploi de la lettre recommandée électronique pour signifier la rupture du contrat de travail, relève d’un paradoxe. Sous un angle purement procédural et comme cela est autorisé dans d’autres pays européens, rien ne contreviendrait à l’emploi de la LRE pour convoquer un salarié à l’entretien préalable ou lui notifier son licenciement, puisqu’elle ne fait que remplir son rôle probatoire.

Cependant, plusieurs arguments viennent dédire cette application extrême des règles de procédure civile. Un argument fonctionnel s’y oppose d’abord : le support électronique atténuerait le rôle préventif du formalisme dont la vocation première est de lutter contre les décisions irréfléchies et de dépassionner les relations. L’intérêt du formalisme réside alors dans l’information et la prise de décision éclairée qu’il suscite : « édictant une règle générale et raisonnant pour cela sur des ensembles, [le législateur] constate que certaines formes empêchent les engagements irréfléchis et ceux qui seraient le fruit de la captation ; que d’autres empêchent les fraudes envers les tiers ; que d’autres volontairement dépouillées procurent une rapidité et une sécurité auxquelles le consensualisme n’atteint pas toujours »454. Or, la nature oralisée des TIC ne garantit pas le temps de réflexion nécessaire à la prise d’un acte juridique unilatéral d’une telle gravité. S’ajoute l’argument légal, selon lequel l’esprit des textes relatifs au licenciement vise la stabilité du salarié dans son emploi et l’encadrement strict de son départ de l’entreprise. Enfin, un argument moral peut être soulevé : le phénomène du « clic éjectable » est à proscrire. Licencier d’un simple mouvement de souris paraît humainement choquant et contrevient à la nature anthropologique du contrat de travail455.

De la même manière, la lettre recommandée électronique rencontrerait des obstacles majeurs à être utilisée dans le cadre d’une démission. Elle ne répondrait pas

452 Sur la polémique suscitée V. par exemple l’article : « Licencié après avoir été convoqué par SMS », journal Libération 04/11/10; les procédés employés aux Etats Unis comme le SMS ou le message sur boîte vocale pour licencier les salariés.

453 La loi du 13 juillet 1973 vient parachever le formalisme du licenciement, crée la convocation à l’entretien préalable « par lettre recommandée ou par lettre remise en main propre contre décharge ».

454 TERRE (F.), Introduction générale au droit, 9e ed., Dalloz, Paris, 2012.

455 Selon la célèbre acception de RIPERT c’est « la personne humaine qui est en réalité l’objet du contrat en même temps qu’elle en est le sujet » : RIPERT (G.) et BOULANGER (P.) Traité de droit civil, vol. I, LGDJ, Paris, 1956. DUPEYROUX soutient également cette idée en affirmant « là où le droit civil n’aperçoit que des contractants anonymes, (le droit du travail) voit, lui, un employeur et un travailleur » : DUPEYROUX (J.-J.), « Avant-propos – Droit civil et droit du travail : l’impasse », Dr. soc. mai 1988, n°5, p. 371-373.

aux préoccupations premières du législateur qui depuis longtemps considère comme inopérantes les démissions données sous le coup de l’émotion ou de la colère456. La loi, en fixant un préavis pour la démission, avait en effet pour objectif de contenir toute décision hâtive et non réfléchie. Or, l’écrit électronique a pour principales caractéristiques sa rapidité et sa facilité d’envoi.

Ces constats mettent en lumière l’inapplicabilité telle quelle des règles probatoires en droit du travail. Le caractère anthropologique du contrat de travail vient se heurter à des exigences pratiques, parmi lesquelles la rapidité et le coût de l’échange. Poussée à son paroxysme, cette réflexion amènerait à discuter de la pertinence de la lettre électronique en général et à privilégier la remise en main propre de lettre avec récépissé. Cependant cette proposition théorique rencontrerait des obstacles pratiques que l’on ne peut négliger.