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Section I. La répartition de la charge de la preuve électronique

B. La résurgence de l’aptitude probatoire du salarié

205.-L’aptitude du salarié à la preuve peut resurgir avec une intensité différente selon

l’espèce en cause. Tout dépend de « la nature de la preuve produite et des circonstances de sa production [et de sa conservation] »562. La nature de la preuve électronique ainsi que les circonstances de sa production se démarquent fondamentalement des modes de preuve traditionnels. Par ses qualités d’ubiquité et d’accessibilité, elle offre une nouvelle forme d’aide juridique au salarié.

Dès lors, le rééquilibrage que les TIC opèrent dans la balance probatoire ne peut être minimisé au regard de l’objectif d’efficacité du régime d’aménagement de la charge de la preuve qui exige, que soit apportée au salarié, une aide « exactement proportionnée au handicap qu’il supporte»563.

1. L’aptitude probatoire du salarié en raison de la nature de la preuve électronique

206.-Le postulat selon lequel, c’est toujours dans les mains de l’ «

employeur-défendeur » que se trouve la preuve et ce, dès l’instance prud’homale, est désormais erroné. La nature contingente, volatile et quasi-orale564 du document électronique se reflète sur la preuve électronique qui devient facile à atteindre et à recueillir. Le mécanisme d’exception d’attribution du fardeau de la preuve prévu en droit du travail se révèle alors inadapté.

207.-La qualité d’oral-écrit de la preuve électronique. « Verba volant, scripta

manent ». Contrairement aux paroles, les écrits laissent des traces compromettantes pouvant servir d’argument lors d’un contentieux. La rédaction spontanée et informelle d’un SMS, d’un courriel ou d’un message posté sur un mur « Facebook » ou sur

562 MEKKI (M.), loc. cit.

« Tweeter » permet d’assimiler les échanges électroniques à une forme d’oral565. En parallèle, ils répondent bien à la définition de l’écrit de l’article 1316 du Code civil. Le contenu de la preuve électronique se caractérise essentiellement par la distanciation des interlocuteurs, le manque de maturation des idées ainsi que la difficulté de connaître le contexte d’écriture. Aussi, le contentieux du contrat de travail s’articule de plus en plus autour de « propos-écrits » qui ont dépassé la pensée de leur émetteur, y compris lorsqu’il s’agit de l’employeur. Ce dernier prend en effet, rarement le soin de faire relire son envoi électronique par le service des ressources humaines, comme il est d’usage pour la lettre sur support papier. Le filtre de la réflexion n’opère plus.

208.-Dans une affaire en date du 16 janvier 2013, la Cour de Poitiers, pour caractériser

l’existence d’un contrat de travail, s’est fondée sur les messages que l’employeur avait publiés sur le mur Facebook de la salariée566. Dans ces écrits électroniques, l’employeur désignait la salariée comme « sa vendeuse » et se plaignait d’être « déçu de son comportement ». Le contenu des messages présentait selon les juges « une analogie suffisante avec le contexte litigieux pour démontrer que Mme T. a bien été recrutée par Mme D. comme vendeuse ». Dans le même sens, l’arrêt du 25 septembre 2013567, très célèbre pour les injures infamantes que proférait un employeur à l’égard de sa salariée dans un courriel568, a reçu ce moyen de preuve pour contester la validité du licenciement.

564 AMRANI-MEKKI (S.), « L’impact des nouvelles technologies sur l’écrit et l’oral en procédure civile », in La parole, l’écrit et l’image en justice : quelle procédure au XXIe siècle ?, Presses Universitaires de Limoges 2010, p. 157-196.

565Ibid.

566 CA Poitiers 16 janv. 2013, n° 10/0321.

567 Cass. soc. 25 sept. 2013, n° 11-25884.

568 Cass. soc. 25 sept. 2013, n° 11-25884. Propos ainsi reproduits dans l’arrêt « Salut grosse vache Alors t'es contente que Marjorie t'ai appelé ? En tous cas sache que ça ne changera rien du tout ! ! ! ! J’attends toujours ta lettre de démission car après mon comportement tu dois bien comprendre que je ne veux plus voir ta gueule et qu'il est hors de question que je débourse un centime pour ton licenciement ! ! ! ! ! Et pas la peine que tu me casses les couilles avec tes conneries de prud'homme parce que moi j'ai un avocat et je t'enfoncerai encore plus que je l'ai déjà fait et crois-moi c'est possible " Alors ? ? ? Toujours pas les boules d'avoir quitté Sofinco et ton petit cdi tranquille ! Je tiens quand même à te remercier grâce à toi j'ai pu monter ma boîte à moindre frais et qui aurait cru que tu serais assez naïve pour me suivre après que je t'ai recrutée pour Epargne sans frontière alors que je savais depuis des mois qu'on allait déposer le bilan ! ! Pauvre conne ! tu croyais vraiment que je t'avais recruté pour tes compétences ? Alors je te préviens envoie-moi ta lettre et plus vite que ça, tu vas enfin bouger ton gros cul pour quelque chose ! ! ! ! ! Et t'avises pas d'essayer de me la faire à l'envers avec la Marjorie sinon tu vas voir ce que c'est du harcèlement, je vais te montrer ce que c'est moi une dépression grosse vache ! ! ! ! Alors ? ? ? ? ? ? tu regrettes toujours pas ? ? ? ? il aurait peut-être été plus simple de coucher finalement ! ! ! Maintenant t'a plus rien, plus de boulot, plus d'argent et toujours pas de mec tu peux la faire ta dépression ! ! ! ! Juste pour info change de secteur je t'ai grillé chez toutes les banques tu feras plus rien dans ce métier ».

209.-Dans une autre affaire portée devant la chambre sociale le 13 mars 2013569, les juges du fond se sont fondés sur des échanges de courriels d’un directeur commercial avec sa secrétaire et les autres salariés, pour valider le licenciement pour faute grave. Ces courriels démontraient les critiques injurieuses qu’il proférait à l’égard de l’ensemble du personnel570.

210.-En outre, le SMS constitue un procédé propice aux dérives écrites, notamment

car le téléphone portable peut être utilisé à toute heure et dans des circonstances extra-professionnelles. De nouvelles techniques relationnelles apparaissent sous l’influence des TIC. Leur singularité se mesure à la rapidité avec laquelle elles s’installent. La Cour de cassation dans l’exercice de son contrôle de la qualification du harcèlement571, se voit régulièrement lire les épanchements déplacés de certains employeurs. Si la chambre sociale, dans un arrêt du 12 février 2014 a refusé la qualification de harcèlement sexuel au comportement de l’employeur qui envoie à sa salariée de brefs SMS sentimentaux qui « révèlent une proximité de ton et des relations détendues sans lien avec une relation hiérarchique »572, elle a en revanche annulé à plusieurs reprises le licenciement d’une salariée pour harcèlement sexuel ou moral, au regard des relevés d’appels téléphoniques et des SMS produits au débat573.

La qualité d’oral-écrit de l’information électronique contrevient au monopole probatoire de l’employeur, ce dernier n’étant plus le seul à détenir les éléments relatifs à la signature, à l’exercice et à la rupture du contrat.

211.-L’ubiquité574 de la preuve électronique. Avec l’apparition des TIC, l’information

se trouve n’importe où et partout à la fois. La profusion des documents électroniques et leur détention par un nombre exponentiel d’acteurs, démultiplient les chances des parties d’appréhender la preuve sur support électronique qui viendrait au soutien de leurs allégations. Les documents nécessaires à la défense du salarié sont prolifiques car les

569 Cass. soc. 13 mars 2013, n°11-23525.

570 Cass. soc. 13 mars 2013, n°11-23525. Propos ainsi reproduits dans l’arrêt : « à faire des copier-coller de parties de mails, le personnel va finir par ne plus rien comprendre (même toi tu fini par ne plus savoir que tu m’as déjà envoyé ce mail […] ».

571 Cass. soc. 24 sept 2008, n° 06-46517. La chambre sociale a accepté de contrôler la qualification de harcèlement alors qu’auparavant elle ne relevait que du pouvoir souverain des juges. Sur la position antérieure : Cass. soc. 27 oct. 2004, n°04-41008.

572 Cass. soc. 12 fév. 2014, n°12-26652.

573 Cass. soc. 3 mars 2009, n°07-44082 ; Cass. soc. 6 janv. 2011, n° 09-69560.

574 Le vocable ubiquité est tiré du latin « ubicumque »: « en tout lieu, partout » : GAFFIOT (F.), Le Gaffiot Dictionnaire Latin-français, Paris, Hachette, nouvelle éd., 2000.

échanges virtuels entre collaborateurs sont plus rapides et remplacent la simple discussion orale. En outre, la mise sous copie à un autre collaborateur est devenue instinctive et parfois irréfléchie. L’information est donc plus fournie et systématiquement partagée entre une myriade d’acteurs.

212.-S’agissant de la preuve du point de départ du contrat de travail, l’arrêt de la cour

d’appel de Paris en date du 27 septembre 2012 est significatif. Pour déterminer la date effective de commencement du contrat, la cour s’est fondée sur les différents courriels envoyés par les collaborateurs du salarié à partir du 11 janvier 2007 et non pas sur la prise d’effet prévue dans le contrat au 15 février 2007. Malgré l’absence du salarié dans l’entreprise, les courriels des collaborateurs confirmaient la présence du salarié dans une filiale en Italie575.

Le salarié qui conteste son licenciement trouve dans les différents tiers à la relation contractuelle, autant de détenteurs de l’information nécessaire à sa demande : administrateur réseau, collègues dans le même service, collaborateurs extérieurs, confidents, responsables des ressources humaines, institutions représentatives, etc. De même, la Haute juridiction autorise le salarié à produire les courriels envoyés entre les chefs de service sur les classifications et avancements de carrière, au soutien de l’existence d’une discrimination en raison de l’orientation sexuelle576.

213.-Les TIC créent une « collectivité de preuves ». Elles rompent le lien probatoire

univoque qui existait entre un salarié et son employeur en raison de la relation contractuelle. L’accessibilité des éléments de preuve sur support électronique a par conséquent, une influence notoire sur le comportement processuel du salarié : elle suscite la confiance dans l’action juridique et agit en faveur de son implication dans le jeu probatoire.

2. L’aptitude probatoire du salarié en raison des

circonstances de production et de conservation de la preuve électronique

575 CA Paris 27 sept. 2012 soumis au contrôle : Cass. soc. 19 mars 2014, n° 12-28326.

214.-La création d’un espace multidimensionnel de production des preuves. D’un point de vue technique, les TIC créent un espace où chacun est visible ; où chacun voit. Elles épousent les techniques qui les précèdent, les intègrent et donnent naissance à de nouvelles possibilités d’interactions continues dans le temps et dans l’espace. Par conséquent, les TIC facilitent l’accès à la preuve par le salarié en ce qu’elles génèrent un nouvel espace de production, d’expression, de communication et de savoir en entreprise. Elles facilitent, sinon la liberté d’expression en entreprise, à tout le moins l’enregistrement des discussions entre les membres de l’entreprise. La circulation des données est ainsi optimisée.

215.-La création d’un espace virtuel de conservation des preuves. Les TIC se

caractérisent également par la création d’un espace virtuel de conservation des preuves. L’entreprise n’est définitivement plus ipso facto « le lieu naturel de conservation et donc de préconstitution de la preuve des conditions d’exercice du contrat de travail »577. La conservation des éléments de preuve devient alors externe et technique, ce qui représente un avantage notable pour le salarié : elle permet de réduire les risques de disparition des preuves. En effet, la perte des preuves est fréquente dans le microcosme des relations de travail en raison notamment des modifications du lieu de travail, de la modification éventuelle de la situation juridique de l’employeur ou plus couramment de la volonté de l’employeur de se défaire de documents gênants. Dès lors, le nouvel espace immatériel et infini qu’offre l’utilisation des TIC sur le lieu de travail, permet de conserver des données indispensables à la défense du salarié. D’autant que l’utilisation des technologies modernes optimise la qualité de conservation des éléments probatoires. Le document électronique a pour particularité de détenir l’information de manière pérenne.

§II. Le risque de la preuve électronique

216.-L’attribution du risque de la preuve est essentiellement un moyen de politique

juridique578 tendant à atteindre un équilibre juste579. Au premier rang des objectifs de la jurisprudence et du législateur du travail, se place le souci d’éviter que l’attribution de la charge de la preuve n’entrave l’effectivité de la règle de fond. Aussi la question de l’effectivité580 du droit est-elle consubstantielle à celle de la charge de la preuve581.

217.-L’attribution du risque de la preuve au « salarié-demandeur » reviendrait à

instituer en droit du travail « une présomption de régularité des décisions de l’employeur »582 et contribuerait à ce que le salarié perde systématiquement le procès, voire renonce à faire valoir ses droits. En cas de licenciement, la transposition du mécanisme classique en droit du travail placerait l’employeur dans une situation de monopole probatoire puisque c’est lui qui, dans la plupart des cas, met fin à la relation contractuelle : « seul l’employeur, auteur de la décision, connaît les raisons, avouables ou non qui la justifient »583. L’employeur détient des moyens de surveillance, de contrôle et d’évaluation des salariés584, car ceux-ci se placent dans un environnement et dans des conditions de travail dont seul l’employeur est l’organisateur.

Aussi le droit du travail s’est-il détaché du régime de droit commun pour élaborer son propre régime du risque probatoire (A.). L’existence d’une preuve électronique au litige bouleverse cette organisation et fait peser sur l’employeur le double risque de la preuve

(B.).

578 FAVENNEC-HERY (F.), La preuve en droit du travail, thèse soutenue à l’Université Paris X Nanterre, 1983, p.7.

579 DEVEZE (J.), Contribution à l’étude de la charge de la preuve en matière civile, thèse soutenue à l’Université de Toulouse, 1980.

580 Cette notion phare de sociologie du droit aussi bien présente chez KANT que WEBER, semble inspirer l’autonomie du droit du travail quant aux règles générales d’attribution de la charge de la preuve. « Questionner le système juridique sur son efficacité sociale. […] c’est introduire de nouveaux acteurs œuvrant sur d’autres terrains et faisant usage de normes différentes de celles que le système juridique met habituellement en œuvre » : LASCOUMES (P.), SERVERIN (E.), « Théories et pratiques de l’effectivité du droit », Droit et société, fév. 1986, p. 127-150.

581 COMMAILLES (J.) : « Rien n’est plus au cœur des relations entre droit et société que la question de l’effectivité. Celle-ci peut être définie comme le degré de réalisation, dans les pratiques sociales, des règles énoncées par le droit » : in ALLAND (D.), RIALS (S.), Dictionnaire de la culture juridique, Paris, PUF, « Effectivité ».

582 FAVENNEC-HERY (F.), op. cit., p. 59.

583 JACOTOT (D.), op. cit. , p. 285.

A.Les dérogations à l’attribution du risque de la preuve en droit du