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Section II. Le cadre juridique de la preuve moderne en droit du travail

B. Le contentieux lié à la teneur des communications

144.-La volatilité des informations et leur accessibilité génèrent une nouvelle forme de

contentieux en droit du travail. Certains salariés accèdent à des données dont ils n’auraient pas dû avoir connaissance en vertu du secret des échanges, ou émettent des propos qui n’avaient pas vocation à parvenir à la connaissance de l’employeur. Aussi, l’accessibilité des données électroniques enrichit sensiblement le contentieux relatif au respect des obligations contractuelles du salarié. Le contrôle par les juges du fond de la teneur des communications est autorisé lorsque les informations promulguées atteignent un degré important de gravité.

145.-L’atteinte judiciaire à la liberté d’expression du salarié est essentiellement portée

lorsque la teneur des propos ou écrits du salarié relèvent d’un dénigrement de l’entreprise. En témoigne, l’arrêt du 22 mars 2007384 dans lequel la Chambre sociale a jugé que la diffusion anonyme à partir du matériel informatique de l’entreprise d’un rapport d’audit comptable et financier, en discussion devant le comité d’entreprise, laissant entendre que des informations importantes en ce qui concerne la poursuite de l’activité avait été dissimulées, ne constituait pas une faute suffisamment sérieuse pour justifier le licenciement. A contrario, le degré de gravité requis a été atteint dans une affaire portée devant la Chambre sociale le 29 avril 2009385 où le contenu de deux mails excédait la liberté d’expression du salarié et caractérisait l’intention de nuire à l’entreprise. La Cour a estimé que « loin de se borner à critiquer la politique menée par la direction et la rudesse de ton du président, les messages adressés par voie électrique par le salarié à de nombreux collègues et aux dirigeants de la société mère allemande à l’occasion d’un litige qui ne les concernait pas, caricaturaient les méthodes de gestion du dirigeant de la société française dans des termes excessifs et mettaient en cause son honnêteté et sa loyauté envers l’entreprise en procédant par insinuations et questions insolentes ». Dans le même sens, la Cour de cassation dans un arrêt en date du 11 juillet 2012, a considéré que le

384 Cass. soc. 22 mars 2007, n° 05-45062.

salarié qui envoie plusieurs mails au « ton agressif et méprisant » à son supérieur hiérarchique, commet une faute, caractérisée par « un abus de liberté d’expression et du droit de critique »386 et susceptible de justifier son licenciement.

146.-Le contentieux portant sur la conciliation entre le pouvoir de sanction de

l’employeur et la liberté d’expression du salarié dans l’entreprise est nourri par l’usage quotidien des blogs et des réseaux sociaux, sorte d’ « agoras virtuelles », de lieux publics de communication. L’éclosion d’un nouveau contentieux en droit du travail a eu lieu387. Par le très médiatisé jugement en date du 19 novembre 2010, le tribunal de Boulogne Billancourtse prononçait en faveur de la régularité du licenciement des salariés d’Alten sur le fondement de « la mise en cause de la hiérarchie et du dénigrement de l’entreprise ». De l’analyse des faits, il ressortait qu’en 2008, une employée écrivait sur le mur de son collègue : « François a intégré le cercle très fermé des néfastes ». Les autres salariés commentent alors : « sans déconner… et puis-je savoir qui vous a intronisé dans ce club très fermé… parce que normalement il y a tout un rite, tout d’abord vous devez vous foutre de la gueule de votre supérieure hiérarchique toute la journée et sans qu’elle s’en rende compte. Ensuite, il vous faudra lui rendre la vie impossible pendant plusieurs mois et seulement là nous pourrons considérer votre candidature ». Le paramètre choisi, à savoir le partage des informations avec « les amis des amis » a eu pour incidence de faire passer la discussion au-delà de la sphère privée (le tribunal ne dit pas : dans la sphère publique) et ainsi de caractériser le dénigrement de l’entreprise.

La cour d’appel de Rouen a suivi ce raisonnement dans son arrêt en date du 15 novembre 2011 pour invalider le licenciement d’une salariée prononcé pour propos injurieux à l’égard de l’employeur, au motif que rien ne permettait de conclure que le

compte Facebook « autorisait le partage avec les ‘amis’ de ses ‘amis’ ou tout autre

forme de partage à des personnes indéterminées, de nature à faire perdre aux échanges litigieux leur caractère de correspondance privée »388.

386 Cass. soc. 11 juil. 2012, n°11-23486.

387 Notons également l’apparition en droit civil d’un contentieux relatif aux injures ou aux diffamations portées à l’encontre des dirigeants d’entreprise. Les propos émis par un salarié sur un réseau social tombent sous le coup de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et peuvent donner droit aux victimes à des dommages et intérêts : Cass. civ 1ère 10 av. 2013, n°11-19530. BOSSU (B.), « Le salarié, le réseau social et l’injure », JCP S, 4 juin 2013, n° 23, p. 18-20.

147.-Le détournement d’informations et les actes anti-concurrentiels sont facilités par l’emploi des TIC au travail et génèrent un contentieux manifeste. Le salarié peut rapidement détourner des informations confidentielles portant sur l’entreprise et ainsi porter atteinte à son obligation de loyauté dans l’exécution de son contrat de travail. Tel était le cas dans une affaire jugée par la cour d’appel de Bordeaux le 27 mars 2012 dans laquelle un salarié avait transféré 261 dossiers professionnels vers son adresse électronique personnelle. Les juges du fond ont déclaré le licenciement pour faute grave, justifié389.

148.-Le contentieux de l’exécution des clauses contractuelles n’échappe pas davantage

à l’influence des TIC. Dans un arrêt en date du 16 avril 2012, la cour d’appel de Douai a sanctionné la violation d’une clause de confidentialité d’un ancien salarié qui avait diffusé sur Internet « des informations sur son ancien employeur et sur les méthodes commerciales et de travail dont il avait eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions »390.

149.-Lorsque la teneur des sites consultés par le salarié, pendant son temps de travail,

a un caractère pornographique, la chambre sociale procède à une appréciation in concreto de la faute. En témoignent deux affaires jugées le 10 mai 2012. Dans la première espèce, la Haute juridiction a estimé, pour déclarer le licenciement sans cause réelle et sérieuse, que le salarié avait de son propre chef signalé « la propagation du virus qui s’était introduit dans le système informatique » par sa faute et que « si le taux de téléchargement en provenance de son ordinateur était élevé, la pratique existait dans l’entreprise même en l’absence du salarié » 391 (il n’était donc pas le seul à s’adonner à ce type d’actes). Dans le second arrêt, la Cour a confirmé le licenciement au motif que le salarié avait « utilisé de manière répétée pendant les heures de services les ordinateurs que son employeur avait mis à sa disposition pour l’exécution de sa prestation de travail en se connectant pendant les heures de service, au vu et au su du personnel, à des sites pornographiques»392.

Au reste, l’usage de la connexion Internet de l’entreprise peut entraîner des poursuites pénales, sauf lorsqu’il est prouvé un dysfonctionnement de l’ordinateur393. Tel est le cas si le salarié détourne la connexion Internet de l’entreprise de son usage professionnel, pour la consultation ou l'animation de sites pornographiques. Cette

389 CA Bordeaux 27 mars 2012, n°10-06433.

390 CA Douai 16 av. 2012, n°11-00059.

391 Cass. soc. 10 mai 2012, n°11-11060.

392 Cass. soc. 10 mai 2012, n°10-28585.

pratique consiste à détourner un bien (ici l’ordinateur et la connexion internet de l’entreprise), de l'usage pour lesquels ils avaient été mis à sa disposition, et caractérise le délit d’abus de confiance selon l’arrêt de la chambre criminelle datant du 19 mai 2004394.

De même, le téléchargement illégal d’œuvres musicales par le salarié depuis l’ordinateur de l’entreprise constitue une faute grave justifiant le licenciement, et peut entraîner des poursuites pénales395.

150.-Les TIC participent à la reconnaissance et à l’expression du pouvoir de direction

et du pouvoir disciplinaire de l’employeur. Elles fournissent à l’employeur de nouveaux moyens de contrôler l’activité du salarié (cybersurveillance) et occasionnent l’étirement du lien de subordination396 (par le télétravail397 et autre cybertraçage). Ainsi, le renforcement des obligations contractuelles qu’engendre l’irruption des TIC dans les relations de travail, corrobore directement la thèse contractuelle, selon laquelle l’employeur tire son pouvoir juridique du contrat individuel de travail398.

§II. L’implantation du formalisme électronique en droit du travail

151.-Rien ne s’oppose à ce que les dispositions des articles 1369-1 à 1369-8 du code

civil s’appliquent à la relation de travail. Bien au contraire, l’article 1221-1 du Code du travail, qui soumet le contrat de travail aux règles de droit commun et autorise sa conclusion sous quelque forme que ce soit, accueille favorablement la formalité électronique. La procédure civile dématérialisée fait son entrée au tribunal des relations de travail, offrant ainsi aux juges de nouveaux objets de contrôle et d’appréciation. L’accomplissement de divers actes juridiques par voie électronique est ainsi une nouvelle

394 Cass. soc. 19 mai 2004, n°03-83953.

395 CA Versailles, 31 mars 2011, n° 09-00742.

396 Déjà en 1992 dans son rapport, G. LYON-CAEN, affirmait que « la ligne de partage [entre lien de subordination et vie privée] ne saurait plus être tracée à la sortie des lieux de travail et à l’expiration de l’horaire. Tout est devenu plus complexe et plus flou ». L’auteur décrivait un « nouvel espace police, véritable ordre technologique qui n’a plus rien de commun avec l’ancienne subordination car le salarié n’est plus sous les ordres de quelqu’un. Il est surveillé par la machine, à la limite par lui-même, par tous et par personne » : LYON-CAEN (G.), Les libertés publiques et l'emploi, Rapport, La documentation française, Paris, 1992.

397 PROBST (A.), Le droit du travail à l’épreuve du télétravail au domicile, Thèse soutenue à l’Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne), 2005.

source de normativité. Il nourrit tant les textes législatifs et réglementaires399 que le contentieux du contrat de travail400.

Ainsi, le droit du travail concède une véritable place au formalisme électronique et à la preuve électronique (A.). De ces nouveautés, résultent des conséquences pratiques et juridiques, dont la teneur et l’ampleur n’ont que trop peu été analysées401. Le formalisme électronique permet-il un renforcement du lien contractuel ou provoque-t-il un étirement de celui-ci ? Offre-t-il un cadre probatoire étendu et rassurant aux parties au contrat de travail? La lettre recommandée électronique est un exemple édifiant des questions pratiques que suscite l’utilisation du cadre juridique de la preuve électronique en droit du travail (B.).