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OU LE GRAND RENFERMEMENT MONASTIQUE DE LA FIN DU MOYEN ÂGE

3. UNE ÎLE ASSIÉGÉE PAR LES SARRASINS, ENTRE MYTHE

3.5. UNE MENACE PERSISTANTE

(FIN XII

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-XV

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SIÈCLE)

potentiels agresseurs. En juin 1181, la commune de Gênes conclut ainsi un traité avec le seigneur des îles Baléares151. Conservé en langue arabe et

accompagné d’ une paraphrase latine au verso du parchemin, ce traité est ensuite renouvelé152. Alors

que les îles de Lérins se trouvent à la limite entre les territoires protégés et un littoral provençal plus exposé, l’ abbé de Lérins s’ engage, le 19 juillet 1181, à céder en fief la moitié de l’ île Sainte- Marguerite à la commune de Gênes, afin que celle-ci y construise « un château et un bourg153 »

(« castrum et burgum »). Par un autre acte dressé le même jour, les consuls de Gênes se font fort de

protéger et défendre le monastère insulaire, ainsi que les églises et les habitants de l’ île voisine de Sainte-Marguerite, et à exiger des Sarrasins, avec qui ils viennent de conclure la paix, un même respect pour les îles, leurs églises et les moines154.

Cependant, la fondation génoise ne voit pas le jour et les moines continuent de fortifier leur monastère, en recourant au soutien des papes. Ce n’ est pas avant la fin du xiiie siècle que les

pouvoirs princiers se préoccupent de la défense côtière : il revient à Charles II d’ Anjou (1285- 1309) d’ avoir mis en place un premier réseau de postes de guet et de fortifications tout au long de la côte provençale ; en 1302, des ordonnances émises par les officiers angevins incitent les communautés du littoral, de Nice à la Camargue, à se prémunir « contre les invasions fréquentes des pirates ». En 1323, alors que le roi Robert s’ apprête à quitter la Provence (où il séjourne depuis 1319) pour Naples, un réseau d’ alerte de trente-cinq farocia est organisé le long du littoral, tandis qu’ un commissaire est chargé d’ inspecter les fortifications « in loca maritima », de vérifier les munitions d’ armes et de vivres et de s’ assurer de la garde. On connaît, pour la fin du xive siècle, une liste et les lieux d’ implantation

des vigies littorales, établies également sur les îles, en particulier à Saint-Honorat et à Sainte- Marguerite  : les gardiens de chaque fanal (un ou deux hommes) doivent faire des signaux lumineux la nuit et de fumée durant la journée, chaque fois qu’ ils repèrent des navires155.

Si les Sarrasins ne sont pas les seuls ennemis potentiels du pouvoir angevin, ils contribuent à l’ insécurité de la région. L’ un des principaux objectifs de la piraterie ou de la course musulmane, particulièrement active aux xive et xve  siècles,

consiste à faire des captifs156. On entrevoit ce trafic

à la lecture d’ un type d’ actes notariés qui apparaît dans les archives à la fin du xive siècle : la Promissio

redemptionis, conclue entre la famille ou les amis

d’ un captif et un « intermédiaire », souvent un marchand s’ apprêtant à aller en pays musulman et

« promettant » de s’ employer à la « rédemption » d’ un prisonnier en payant sa rançon. Certains de ces documents évoquent les circonstances de la capture, à la faveur d’ un débarquement sur la côte provençale, en particulier au début du printemps, période durant laquelle la venue des Sarrasins est la plus redoutée. Plusieurs captifs sont originaires de villages du littoral varois ; marins et pêcheurs sont principalement exposés lorsque leur embarcation se situe au large157. Ainsi, à la

fin des années 1420, Jean Benezet, tisserand d’ Hyères, se trouve dans un bateau avec plusieurs pèlerins de sa ville en direction de Saint-Honorat. Ils sont capturés par les Sarrasins, et il reste captif de longues années à Bougie. Le 23 octobre 1432, de retour chez lui, il cherche à dédommager les héritiers du bienfaiteur qui a payé sa rançon. Un acte notarié relate son histoire (fig. 19). À partir du milieu du xve siècle, l’ essor de la

puissance ottomane en Méditerranée orientale favorise l’ activité des corsaires barbaresques. Pour les moines, la menace musulmane persiste donc. En juin 1530, une importante flotte attaque La Napoule, qui est incendiée, et dont les habitants sont capturés  ; l’ année suivante, les Barbaresques font des razzias dans la région de Hyères et de Toulon158. Sous l’ abbatiat du

cardinal de Bourbon (1568-1575), arguant du péril de « l’ armée du grand Turc » – dont la flotte croise au large de la Provence orientale en 1534 et en 1543 – et de difficultés à défendre leur île, les moines soumettent au souverain le projet de construire un monastère fortifié sur l’ île voisine de Sainte-Marguerite, destiné à accueillir une cinquantaine de religieuses159. L’ affaire n’ a

toutefois pas plus de suite que n’ en eut le projet de fortification de Sainte-Marguerite par les Génois à la fin du xiie  siècle  : cette partie du

littoral, qui n’ est guère troublée que par les raids barbaresques, n’ est pas alors la préoccupation principale du souverain160.

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L’ incarcération de groupes de musulmans sur l’ île Sainte-Marguerite dans la seconde moitié du xixe  siècle paraît un lointain écho des

événements et des discours liés aux incursions des siècles précédents sur l’ île Saint-Honorat. À l’ époque de la guerre de conquête de l’ Algérie, qui prend fin en 1847 avec la reddition d’ Abd el-Kader, puis des insurrections qui se succèdent jusque dans les années 1880, des « prisonniers de guerre », puis des « malfaiteurs » algériens sont en effet internés en nombre sur le sol français, au sein de « châteaux ou forteresses » comme l’ avait prescrit un arrêté du Maréchal Soult, ministre de la Guerre, en 1841. C’ est dans ce contexte que sont détenus au fort de Sainte- Marguerite entre trois cents et cinq cents

hommes, femmes et enfants, appartenant en particulier à la smala d’ Abd el-Kader, ainsi que d’ autres prisonniers arabes161. Par un curieux

retour de l’ histoire, au moment même où les moines se réinstallent sur l’ île Saint-Honorat, Sainte-Marguerite assume donc l’ antique fonction insulaire de lieu d’ exil et d’ enfermement d’ une population qui avait nourri, à Lérins tout particulièrement, l’ imaginaire monastique occidental. Les cartes postales tirées des photographies de Jean Gilletta attestent qu’ à l’ époque de l’ « invention de la Côte d’ Azur », cette nouvelle présence musulmane sur le littoral représente une curiosité locale (fig. 20).

ML

Fig. 20

Prisonniers arabes sur l’ île Sainte-Marguerite, le fort en arrière-plan, fin xixe siècle.

4. LA VIE MONASTIQUE

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